Quand l'homme n'en peut plus...
Deux hommes, deux épreuves : Elie opposé depuis trop longtemps à la reine Jézabel ; et Jésus qui est confronté à la versatilité de la foule, prompte à brûler un jour ce qu’elle a adoré la veille. Deux épreuves différentes mais liées par la fidélité à la mission confiée par Dieu. Essayons de comprendre pour vivre mieux nos propres épreuves.
Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Ce cri de désespoir du prophète Elie est révélateur de l’épreuve qu’il endure. L’hostilité déclarée entre la reine Jézabel et lui le force sans cesse à se méfier, se cacher. Le prophète vit dans la peur. Ce maintenant, c’en est trop, indique que la lutte qu’il a mené contre les idoles et ceux qui les servent, l’écrase. Il n’en peut plus ; il veut mourir. Pour que cet homme de Dieu en arrive là, il faut vraiment que la coupe soit pleine. Sa fidélité au Dieu des Pères le rend coupable aux yeux du pouvoir politique. Il faut dire qu’il vient d’égorger quatre-cent-cinquante prophètes de Baal après un concours de sacrifice particulièrement épique. Quatre-cent-cinquante prophètes et Baal d’un côté, Elie et le Dieu d’Israël de l’autre. La reine Jézabel, épouse du roi Achab, est celle qui a introduit le culte de Baal en Israël et qui a détourné le roi du Dieu de l’Alliance. Vous comprendrez qu’elle ne fut pas particulièrement réjouie à l’annonce de la mort de tous ses prophètes. Et encore moins réjouie par le signe fort qu’Elie venait de faire au mont Carmel. Quatre-cent-cinquante prophètes incapables de réveiller Baal pour qu’il mette le feu à un bûcher de bois sec, même après une journée d’invocation, de danse et de scarification. Elie, en une prière, fait intervenir Dieu qui met le feu à un bûcher détrempé en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Pour impressionner, ça a impressionné ! On en parle encore aujourd’hui… dans toutes nos bibles ! Fort d’une telle victoire, Elie devrait se sentir fort. Mais la haine que lui voue Jézabel le pousse à bout. Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Mais Dieu a d’autres projets, et un ange du Seigneur vient réconforter et nourrir le prophète, pour qu’il reprenne des forces et poursuive l’œuvre de Dieu. Quand celui qui est fidèle à Dieu rencontre l’opposition des hommes, Dieu veille sur lui. Dieu prend toujours soin de son peuple ; Dieu prend toujours soin de ses serviteurs.
Dans l’Evangile, Jésus aussi rencontre l’opposition des hommes. Ce n’est pas encore au point où la foule veut le tuer, mais ça commence à grogner. Pourtant, c’est cette même foule qui a couru après Jésus pour entendre son enseignement ; c’est cette même foule qui a été nourrie avec cinq pains et deux poissons ; c’est cette même foule qui est partie à sa recherche pour avoir encore de ce pain à satiété. Hier, elle l’adorait ; aujourd’hui elle récrimine. Pourquoi ? Parce que Jésus a dit : Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. Vous comprenez, il y en a, là, qui connaissent Jésus, depuis longtemps. Ils connaissent ses parents. Alors comment peut-il dire maintenant : Je suis descendu du ciel ? Pour qui se prend-t-il ? Ils ont bien compris, je crois, mais ils ne peuvent l’admettre ? Ce n’est pas acceptable de sa part de dire cela ; encore un peu, et il va se prendre pour Dieu ! A la différence d’Elie, Jésus peut encore discuter, expliquer, chercher à convaincre. Mais son explication rend crédible leur pire crainte. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Ceux qui récriminent le plus fort ne peuvent plus avoir de doute : il se situe clairement comme fils de Dieu. L’incompréhension va s’installer ; elle parviendra au rejet complet qui culminera la veille de la Pâque par le sacrifice sur la croix de Jésus. L’attitude changeante de la foule, selon que ce que dit ou fait Jésus plaît ou déplaît, ne change rien, ni à son discours, ni à sa manière de faire. Il ne cherche pas à plaire ; il a une mission à remplir, et rien ne saurait l’en détourner. Voilà pour Jésus, mais pour nous ?
Deux choses à envisager. La première, nous pouvons être comme Jésus, en proie à l’hostilité pour ce que nous disons ou faisons de juste et de bon. En paroisse, celles et ceux qui s’engagent ne le savent que trop bien. Il est difficile de faire bouger les lignes, quand bien même nous aurions raison. Les résistances sont nombreuses : on n’a jamais fait comme ça ; on a toujours fait comme ça. Il n’y a pas de raison de changer. Vous pouvez faire ce que vous demande l’Eglise, et le faire bien, il y en aura toujours que cela dérangera. Jésus nous dit : expliquez et soyez fidèles. Mais il y a une deuxième manière pour nous d’entendre l’Evangile de ce dimanche, en nous plaçant dans la foule qui récrimine. Les paroles difficiles à entendre de la part de Jésus, sont une réalité dans l’Evangile. Et il arrive que l’homme trouve que c’en est trop. Il faut nous souvenir alors que Jésus n’est pas venu nous raconter de belles histoires ; il est venu nous entraîner à sa suite, à la rencontre de Dieu. Et nous savons que cela demande des conversions de notre part. Quelquefois, ça grince. Je ne peux pas l’entendre ; j’ignore cette page d’Evangile. Ce n’est pas pour moi ; c’est pour les autres. Quand cela nous arrive, nous pouvons récriminer comme la foule, ou entendre encore et toujours Jésus qui parle en vérité. Il nous faudra patienter deux semaines avant d’entendre comment la foule, jadis, a réagi à cet enseignement de Jésus. Mais nous pouvons déjà comprendre qu’il nous faudra prendre position. Jésus est-il assez important pour nous, pour que nous l’écoutions encore, quand bien même ce qu’il dit ne nous convient pas ?
Pour la deuxième fois, Jésus nous dit qu’il est
notre nourriture, notre unique nécessaire pour parvenir à la vie véritable. Nous
laisserons-nous enseigner par lui, quoi qu’il nous en coûte ? Accepterons-nous
Jésus pour qui il est et pour ce qu’il veut faire pour nous ? Ne répondons
pas trop vite ; goûtons le Pain de sa Parole ; goûtons le Pain de son
Eucharistie. Quand l’homme n’en peut plus, ni des autres, ni de Dieu, c’est à
ces deux tables qu’il peut venir prendre des forces et se forger une intime
conviction. Il pourra s’y tenir et progresser dans sa connaissance de Jésus et
de sa mission. Approchons-nous de lui avec confiance : il est celui qui
nous fait vivre éternellement. Amen.
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