Un art de vivre conforme à l'amour de Dieu.
Comment vais-je dire les choses ? Reconnaissons-le : il y a des évangiles plus sexy que celui que nous d’entendre ! Nous avons là un catalogue de choses à faire qui ne donne pas très envie. Qui a envie de faire du bien à ceux qui le haïssent ? Qui a envie de souhaiter du bien à ceux qui le maudissent ? Qui a envie de présenter l’autre joue à celui qui le frappe sur une joue ? Qui a envie de laisser sa tunique à celui qui lui prend déjà son manteau ? Qui ne réclame pas son bien à celui qui le lui a pris ? Ce que demande Jésus, c’est tout le contraire de ce que nous ferions de prime abord. Peut-on seulement encore l’écouter ?
Faisons un pas de côté et regardons cette autre histoire qui nous est racontée ce matin, cette tranche de vie du futur roi David. Nous sommes à un moment de son histoire où il a déjà été choisi par Dieu pour succéder à Saül, mais ce dernier est non seulement toujours vivant, mais en guerre ouverte contre le jeune David. Il cherche, une fois de plus, à tuer David dont il est jaloux. Il se passe cette chose étrange. David sait que Saül veut le tuer ; ce n’est pas la première fois qu’il cherche à l’éliminer. Or voilà que le traqueur, Saül, se trouve endormi au milieu de ses hommes, tous aussi endormis que lui. Abishaï, le compagnon de David, comprend : Aujourd’hui, Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Laisse-moi donc le clouer à terre avec sa propre lance, d’un seul coup. Sans doute Dieu est-il favorable à David qu’il a choisi pour succéder à Saül ; le fait que celui-ci soit endormi avec l’élite d’Israël, est un signe de Dieu ; l’écrivain biblique ne le dément pas, lui qui précise un peu plus loin : Le Seigneur avait fait tomber sur eux un sommeil mystérieux. Pour Abishaï, la solution est simple : l’ennemi est là, endormi : tuons-le ! C’est facile, efficace ; c’est la volonté de Dieu. Mais David dit à Abishaï : ‘Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ?’ Et David renonce à tuer celui qui pourtant cherche à faire de même pour lui. Il va même plus loin, puisqu’il en fait un acte théologique : le Seigneur rendra à chacun selon sa justice et sa fidélité. Aujourd’hui, le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur. Pour David, ce n’est pas aussi simple que cela. Peut-être voit-il là une épreuve pour lui, pour vérifier sa fidélité à Dieu. Saül a été choisi par Dieu pour être le premier roi. David a été choisi par Dieu pour lui succéder, certes. Mais ce n’est pas à lui d’accélérer la marche de l’histoire. David sera fidèle à Dieu ; il sera roi au moment fixé par Dieu ; il ne commettra pas ce meurtre et ne permettra pas qu’il soit commis. Saül est toujours le messie du Seigneur.
Ce pas de côté nous permet alors de
revenir à l’évangile de ce dimanche, parce que les situations qu’il évoque sont
de même nature que l’histoire de David. Ce que Jésus nous demande de vivre, c’est
ce que David avait compris devant Saül endormi : cet homme, son ennemi,
est l’instrument de Dieu, il a été choisi par lui. Qui est-il, David, pour
faire revenir Dieu sur son choix en supprimant celui qui cherche à le tuer ?
Vaudrait-il mieux que Saül s’il se laissait aller à pareille extrémité ? Faites
du bien à ceux qui vous haïssent, dira Jésus, des siècles plus tard, lui
qui est de la descendance de David ! Et nous pouvons comprendre mieux
alors les paroles de Jésus grâce à David, son ancêtre. Ce que Jésus nous
demande, c’est un autre style de vie que celui de ceux qui nous veulent ou nous
font du mal. Il ne s’agit pas de se faire avoir ou de se laisser maltraiter :
il s’agit de montrer plus d’amour que ceux qui nous haïssent ; il s’agit
de vivre d’amour véritable plutôt que de vivre comme eux de la haine. Il s’agit
de faire triompher l’amour vrai, celui qui endure tout, supporte tout et ne
fait rien de mal. Il s’agit de passer des belles phrases sur l’amour à un
amour vécu, au quotidien, même quand ce quotidien peut sembler infernal, c'est-à-dire
cerné par les forces du Mal. Et si le début de l’évangile de ce dimanche peut
sembler difficile à entendre et à vivre, reconnaissons que Jésus n’a pas tort
quand il dit qu’il n’y a pas de mérite à aimer ceux qui nous aiment déjà ;
même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Jésus n’a pas tort non plus
quand il dit qu’il n’y a rien d’extraordinaire à faire du bien à ceux qui
nous en font ; même les pécheurs en font autant. Jésus n’a pas
davantage tort quand il affirme qu’il n’y a pas d’exploit à prêter à ceux
dont on espère recevoir en retour ; même les pécheurs prêtent aux
pécheurs. Des gens bons, aimants, ça existe en-dehors des croyants,
heureusement ! Si donc le croyant doit se démarquer par son art de vivre,
il doit faire plus, il doit faire mieux que la
norme communément admise. Il aimera
de l’amour même de Dieu qui est bon pour les ingrats et les méchants. Jésus
le résume admirablement dans ce verset : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Autrement dit, que votre art de vivre soit
une Parole de Dieu ; que votre art de vivre reflète l’art de vivre de Dieu
lui-même puisque vous vous dites fils
du Très-Haut.
Voilà
que cette page d’évangile prend une saveur nouvelle, en nous rappelant que
notre baptême nous oblige à une vie conforme dans nos relations aux autres. Devenus
fils et filles de Dieu, nous ne pouvons pas vivre autrement que Dieu, notre
Père. Son amour offert doit devenir notre amour vécu pour celles et ceux qui
croisent notre route. Puisse le Pain de l’Eucharistie nous donner la force de
vivre de cette Parole de Dieu aujourd’hui entendue. Amen.
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