Tous saints, vraiment ?
(Détail d'un tableau d'Arcabas)
Avec encore en tête l’évangile de dimanche dans lequel Jésus nous rappelait que ce qui donne sens et beauté à notre vie, c’est l’amour de Dieu et des autres, toujours, indéfectiblement liés, nous abordons cette fête de la Toussaint avec appréhension, car reconnaissons-le, nous n’aimons pas pleurer ; nous ne voulons pas faire partie des doux, des miséricordieux et des artisans de paix, si cela signifie être considérés par le monde comme faibles et prompts à se laisser marcher sur les pieds ; nous voulons bien nous battre pour la justice à condition qu’elle soit en notre faveur, mais certainement pas être persécutés en son nom ; et nous préférons nous cacher d’être chrétien plutôt que d’être insultés à cause du Christ et de son Eglise. Puisque ce sont là les critères de sainteté, nous en sommes loin soudain, notre amour lui-même n’étant pas à la hauteur de l’amour de Dieu pour nous. Et nous pouvons donc nous interroger : tous saints, vraiment ?
Si nous considérons la sainteté comme un état de perfection, alors oui, nous sommes à plaindre, parce que peu y parviendront. Pour célébrer la Toussaint sereinement, il nous resterait alors à la considérer comme une fête pour les autres, ceux qui étaient avant nous, ceux qui vivaient dans ce monde merveilleux du passé, où selon certains, tout était mieux, bien mieux qu’aujourd’hui ; mais cela nous apporterait quoi ? Si elle est bien la fête de celles et ceux qui nous précèdent dans le Royaume et dont l’Eglise reconnaît la vie comme un modèle, un chemin pour nous, la Toussaint est aussi une fête pour nous rappeler à quoi nous sommes appelés. Et peut-être tout est-il dans ce verbe : être appelé. Il nous rappelle que notre sainteté est une vocation. J’ai en moi le désir d’être saint, parce que c’est ce à quoi Dieu m’appelle. Et s’il m’y appelle, il me donne les moyens de réussir. Dieu ne nous appelle pas à quelque chose qui serait hors de notre portée. Arrêtons de voir les saints comme des gens qui ont réussi là où nous échouons sans cesse ; regardons-les comme des gens qui ont suivis amoureusement le chemin que Dieu leur avait préparé, et qui l’ont suivi jusqu’au bout. Dieu les a choisis au jour de leur baptême, comme il nous a tous choisis. Parce que Dieu les a choisis, ils ont choisi Dieu, à travers les joies et les difficultés de leur vie, ils ont choisi de lui rester fidèles, ils ont choisi de toujours croire en lui, même quand cela semblait difficile. Certains l’ont fait spontanément, d’autres après bien des péripéties. Ce choix, nous pouvons le faire aussi. Et nous pouvons le refaire autant de fois que nécessaire.
Si la sainteté est un appel de Dieu, elle est aussi un don de Dieu. Il nous rend saint en son Fils Jésus, lui qui s’est livré pour nous, pour notre vie, pour notre salut. Notre vie, avec ses joies et ses épreuves, nous ne l’affrontons pas seuls. Le Christ est présent avec nous, jusqu’à la fin des temps, et c’est lui qui nous permet de passer la grande épreuve dont parle l’Apocalypse. C’est par le sang de l’Agneau qu’ils ont blanchi leurs robes, ceux qui se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau. Sans le Christ, la sainteté est impossible ; avec le Christ, elle est un don que Dieu fait à tous les hommes. Notre baptême nous a rendus saints, il nous a faits enfants de Dieu, et nous le sommes, nous assure saint Jean. La sainteté resplendit en nous depuis notre baptême. Il faut donc la considérer, non pas comme une récompense à gagner, mais comme un cadeau toujours à accueillir, toujours à utiliser. Notre sainteté ne s’use que si nous ne nous en servons pas. Ne soyons pas comme des enfants gâtés qui ont tout reçu, mais qui n'utilisent jamais leur cadeau ! En nous donnant l’Esprit Saint, tout nous a été donné. Désormais, dans la force de l’Esprit, nous pouvons pleurer avec ceux qui pleurent sans être abattus et sans espérance ; désormais, dans la force de l’Esprit, nous pouvons être doux, miséricordieux et artisans de paix sans nous sentir faibles ; désormais, dans la force de l’Esprit, nous pouvons avoir faim et soif de justice pour tous, et même accepter d’être persécutés pour elle ; désormais, dans la force de l’Esprit, nous pouvons être fiers d’être au Christ, sans ressentir le besoin de nous cacher parce que son Eglise est imparfaite et pécheresse. Désormais, dans la force de l’Esprit, nous pouvons cultiver cette sainteté que Dieu nous offre sans risque de la perdre. Ne la considérons pas comme un talent à cacher en terre et à restituer le jour venu ; considérons-la comme un talent à risquer dans le monde où nous sommes. Ce n’est pas l’échec qui nous tiendra loin du Royaume ; c’est de n’avoir pas osé essayer !
En cette fête qui nous fait célébrer nos amis les saints et les saintes de Dieu, n’oublions pas de célébrer la sainteté qui est en nous. Que notre eucharistie ravive en nous le désir d’être saints, de vivre avec Dieu chaque jour de notre vie, pour partager un jour, la joie de son éternité. Alors, nous serons tous parfaitement saints, parce que nous lui serons semblables éternellement. Amen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire