Partage ou repli sur soi ?
Dieu ne cesse de m’étonner ! En ce premier dimanche où nous sommes appelés à choisir nos députés, ceux qui nous représentent et font les lois, voilà que nous entendons cet extrait de la deuxième lettre aux Corinthiens qui parle d’un don généreux fait par les Corinthiens pour les chrétiens de Jérusalem. Voilà qui doit nous interroger et nous apprendre à discerner encore avant de glisser un bulletin dans une urne.
Ce qui est intéressant, c’est la manière dont Paul parle du don. Il rapproche nos gestes de partages du don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. Il donne à notre sens du partage une dimension théologique. Ce que nous faisons pour les plus pauvres, pour ceux qui ont besoin de nous, rejoint ce que le Christ a fait pour chacun de nous. Nos gestes de partage prolongent le geste de salut que le Christ a fait en s’incarnant, en devenant l’un de nous alors qu’il était Dieu. Il a tout laissé de sa vie pour que nous puissions tout avoir ! Voilà un premier point de discernement.
Paul n’est pas un doux rêveur, il a le sens des réalités. Ecoutez plutôt : Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, il s’agit d’égalité. Dans la circonstance présente, ce que vous avez en abondance comblera leurs besoins, afin que, réciproquement, ce qu’ils ont en abondance puisse combler vos besoins. La rencontre avec l’autre, le différent, l’étranger, n’est jamais source d’appauvrissement, même si cela nous demande de partager ce que nous avons. La rencontre avec l’autre est toujours source d’enrichissement réciproque. De nouveaux mondes, de nouvelles perspectives s’ouvrent quand nous ne nous refermons pas sur nous-même. Et Paul parle bien d’égalité. Pourquoi aurions-nous tout quand d’autres n’ont rien ?
Je n’oublie pas plus que Paul le principe de réalité. Je sais que la vie est difficile et que tout augmente. Mais ce n’est pas en désignant l’étranger comme responsable que notre vie sera plus facile. Aujourd’hui, la riche Europe et la riche France – parce que oui nous sommes encore un pays riche – accueille moins que certains pays réellement pauvres du continent africain. Même si, en partageant, nous nous appauvrissons un peu, nous serons toujours plus riches que beaucoup d’hommes et de femmes dans le monde. Désigner le différent, l’étranger comme bouc émissaire de toutes nos difficultés, ne les fera pas disparaître. Par contre, se retrousser les manches avec les autres, pour trouver ensemble des solutions qui nous rendrons plus égaux, voilà qui est prometteur. Si mon unique solution à mes difficultés est de trouver un bouc émissaire, je risque fort un jour d’être celui d’un autre qui estimera que j’ai trop, que je profite trop, et que sans moi, la vie serait plus facile pour lui. Nous sommes tous le riche de quelqu’un et le pauvre d’un autre ; nous sommes tous l’étranger de quelqu’un ; nous sommes tous le responsable des maux des autres et la victime de leurs maux. Préférer l’entre-soi n’a jamais enrichi personne. Préférer l’entre-soi n’a jamais réglé les difficultés que nos sociétés occidentales connaissent. Ce dont nous parle Paul, c’est d’égalité, de justice et donc de paix. Il n’y a pas de paix possible sur des demi vérités. Il n’y a pas de paix possible sur le rejet des différences. Il n’y a pas de paix possible quand l’autre est vu comme le problème et jamais comme la solution.
Après
quinze jours d’incertitudes et d’angoisses, le moment est venu pour nous de
faire un choix. Pas d’abord le choix d’hommes ou de femmes pour nous
représenter. Non, il s’agit d’abord de choisir dans quel monde nous voulons
vivre aujourd’hui et faire vivre nos enfants demain. Il nous faut choisir entre
ouverture pour tous, nous y compris, ou fermeture pour tous, nous y compris. Nous
ne pouvons pas estimer que nous valons mieux que les autres et que nous avons
droit à plus et à mieux que les autres. C’est une question d’égalité ! C’est
une question d’honnêteté. Nos plus anciens ont connu un monde dans lequel un
homme estimait que lui et les siens valaient plus que tous les autres. Est-ce vraiment
ce monde que nous voulons reproduire ? A l’Est de l’Europe, il y a un
homme qui estime que lui et les siens valent mieux que nous et qu’ils sont
le salut du monde ; demandez à l’Ukraine si c’est bien vrai et si elle vit mieux
depuis ! Que la sagesse de Paul nous inspire de désirer un monde où l’égalité est
recherchée et le partage promu, pour le bien de tous, nous y compris. Amen.