En cette année de la foi, la Semaine Sainte
que nous avons inaugurée ce dimanche et que nous prolongeons en ce soir, prend
une coloration toute particulière. Comme chaque année, elle nous plonge au cœur
même de notre foi ; mais plus que les autres années, elle nous invite à
une cohérence de vie, à une unification de notre être chrétien. En effet,
comment tirer tous les fruits de cette année de la foi si elle ne nous permet
pas d’entrer dans cette cohérence nécessaire entre ce que nous disons et ce que
nous faisons. Toute la liturgie de ce Jeudi Saint nous invite à entrer dans
cette cohérence en tenant ensemble notre vie de tous les jours et notre vie de
foi.
La première lecture, qui nous rappelle
fort justement l’institution de la première Pâque et les rites qui y sont liés,
s’achève par ces mots : Ce jour-là
sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage.
C’est une loi perpétuelle : d’âge en âge vous la fêterez. Celui qui
croit au Dieu de l’Alliance, au Dieu qui a sauvé son peuple de l’esclavage en
Egypte, celui-là tiendra pour acquis la célébration de cette fête. C’est un
mémorial, pas un souvenir ; ce qui veut bien dire qu’en célébrant cette
fête année après année, selon la loi du Seigneur lui-même, le fidèle rendra
présent ce salut et y participera pour sa part, quel que soit le temps qui le
sépare de cette première Pâque. En la célébrant en mémorial, il se rend
participant de cette première Pâque et il rend ce salut, jadis offert par Dieu à
un peuple particulier à une époque particulière, il rend ce salut donc actuel,
toujours efficace. Le croyant qui veut se sentir pleinement sauvé par Dieu célèbrera
cette Pâque, quoi qu’il arrive ! S’il se dit croyant, s’il se reconnaît
devant être sauvé par Dieu, il n’oubliera pas cette fête et il y participera
pour bénéficier pleinement de l’œuvre du salut que Dieu réalise, toujours et
encore, pour son peuple.
Lorsque Jésus célèbre cette Pâque pour
la dernière fois avec ses disciples, il les invite à la même cohérence. Nous avons
entendu Paul redire aux chrétiens de Corinthe le testament qu’il a reçu : la nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus
prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci
est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le
repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la
nouvelle Alliance établie par mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites
cela en mémoire de moi. » Faites cela en mémoire de moi ! A
nouveau, une invitation à vivre ce même rite pour participer, à travers le
temps et l’histoire, à ce même repas que Jésus a pris avec les Douze. Une invitation
à vivre de ce rite, car chaque fois que
vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur,
dans l’espérance de sa venue. Participer à l’eucharistie n’est donc pas
quelque chose de facultatif ; c’est l’expression même de notre foi la plus
profonde en ce Jésus qui s’est donné, qui a souffert la passion, qui est
ressuscité, et dont nous attendons la venue. Comme nos frères Juifs célèbrent
en mémorial, chaque année, la libération d’Egypte, nous célébrons, en mémorial,
la mort et la résurrection de Jésus, pour y avoir part, définitivement, et
vivre avec lui toujours. Un chrétien ne peut se soustraire à cette obligation
sans courir le risque de voir sa foi se vider de sa substance même ; un
chrétien ne peut se soustraire à cette obligation sans courir le risque d’y
perdre sa foi ! Participer à la prière de l’Eglise, célébrer les
sacrements que Dieu lui-même nous donne comme des signes efficaces de sa présence,
voilà la première cohérence à vivre. Pour être très clair, si tu es croyant, tu
pratiques ! Mais cela ne suffit pas !
La seconde cohérence à vivre, et à tenir
avec la première, c’est la cohérence de la vie quotidienne. Au cours de ce
dernier repas, Jésus n’a pas seulement rompu le pain et partagé la coupe ;
il a aussi lavé les pieds de ses disciples. Il est vraiment dommage et dommageable
que ce rite ne soit plus systématiquement pratiqué en cette nuit. Parce qu’il
nous rappelle très concrètement que la vie avec le Seigneur n’est pas que la
vie de prière et de célébration ; elle aussi vie de service, d’attention à
l’autre, en particulier l’autre souffrant, l’autre rejeté, l’autre exploité. De
même qu’une vie chrétienne qui ne serait pas rythmée par la célébration des
sacrements serait une vie chrétienne affadie et en danger, de même une vie
chrétienne sans attention élémentaire aux autres, sans service de tout homme et
de tous les hommes, serait pareillement, une vie chrétienne affadie et en
danger. Comprenez-vous ce que je viens de
faire ? Vous m’appelez « Maître » et «Seigneur », et vous
avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je
vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns les
autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous
aussi, comme j’ai fait pour vous. Le service des frères devient le
sacrement de l’amour et de la présence de Dieu au quotidien ; il puise sa
force et sa grandeur dans le sacrement de la présence réelle du Christ au monde
dans le pain et le vin partagé. Les deux sont donc indissociables, comme sont
indissociables l’amour de Dieu et l’amour du frère. Pour être très clair, si tu
es croyant, tu vis concrètement la charité avec celles et ceux que le Seigneur place
sur ta route.
C’est
un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai
fait pour vous.
Croire au Dieu de Jésus Christ, c’est nous unir à lui pour lui ressembler
chaque jour davantage. Etre disciple de Jésus Christ, c’est imiter sa vie en
toute chose et vivre la totalité de son enseignement. Fils de Dieu, il a vécu
en fils des hommes, au milieu d’eux ; puisque notre baptême nous configure
à lui, nous devons, fils des hommes, vivre comme le Fils de Dieu afin d’être en
tout conforme à ce qu’il attend de nous. En cette nuit où Jésus se donne à nous
sous le double signe du pain partagé et du service accompli, engageons-nous à
le suivre et à vivre nous aussi d’un double signe : le signe d’une vie
reçue de Dieu, vie pour laquelle nous le remercions par la prière et la
célébration des sacrements et le signe d’une vie donnée aux autres, vie pour
laquelle nous nous battons avec les armes de la charité. Ainsi nous deviendrons
toujours plus ce que nous sommes et que nous recevrons ce soir : le corps
du Christ, offert pour la vie du monde. Amen.
(Dessin de Coolus, Blog du Lapin bleu)
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