La
liturgie du Vendredi Saint a ceci de particulier qu’elle commence et s’achève
sur un silence. En fait, toute la liturgie de ce jour, pour riche qu’elle soit
en symboles, textes et prières, est rythmée par ce silence qui, en ce jour
précis, devient le silence de Dieu. Aujourd’hui, le Dieu qui s’est fait chair
et parole en Jésus, choisit de se taire. Il ne dit plus un mot ! Il n’y a
que le silence.
Que
Dieu se taise, voilà qui devrait réjouir les hommes. Enfin libres, penseront certains.
Si Dieu ne parle plus, c’est comme s’il n’existait plus ! Nous en sommes
enfin débarrassés ! Les tenants d’une laïcité de combat qui s’apparente
plus à un laïcisme étroit peuvent exulter ! Il se tait ; il n’a plus
rien à dire ! C’est le triomphe de l’homme, l’homme seul maître à
bord ; l’homme, seul Dieu après l’homme. Enfin l’homme est maître de son
destin ; enfin l’homme se retrouve au centre de son univers. Quelle limite
pourrait encore l’entraver ? Quel obstacle pourrait encore l’empêcher de
se prendre pour le maître du monde ?
Pour
l’homme de foi, le silence de Dieu est moins réjouissant. Il aimait bien, le
croyant, que Dieu s’adressât à lui, que Dieu conversât avec lui. Dieu était sa
boussole, son confident, sa source d’inspiration pour toute sa vie. Si Dieu se
tait, l’homme croyant a-t-il encore des raisons de croire ? Si Dieu se
tait, cela ne signifie-t-il pas que le croyant s’est trompé ? Devant le
silence de Dieu, le croyant s’interroge. En méditant la passion du Christ selon
le témoignage de Jean, il s’apercevra alors que Dieu se tait d’abord parce
qu’il n’est plus entendu. Il ne sert à rien que Dieu parle, puisque les hommes
ne comprennent plus ce qu’il dit. Pilate en est l’exemple marquant. Ses repères
ne sont pas ceux de Jésus : comment pourrait-il comprendre quelque chose à
la royauté de Jésus ? Comment pourrait-il comprendre ce qu’est la vérité
dont parle Jésus, lui qui n’entend que des mensonges au long de ce procès
truqué ? En Jésus, en ce jour, Dieu se tait. Il ne parle plus avec des
mots ; mais son silence n’est-il pas un cri dans la nuit des hommes ?
Le silence de Dieu ne parle-t-il pas plus fort que tous les mots qu’il a pu
dire ? C’est quand même curieux que l’homme se rende plus compte de
l’apparente absence de Dieu à cause de son silence que de sa présence réelle
lorsqu’il lui parle !
Dieu
se tait, et l’homme semble abandonné à lui-même. Qui lui montrera désormais la
route à suivre ? Ses sentiments ? Sa raison ? Ses humeurs ?
On voit ce que cela donne lors de ce procès. Dieu se tait, et les hommes
demandent la grâce d’un terroriste et la mort d’un innocent ! Ils sont
beaux, les sentiments de l’homme ! Dieu se tait, et c’est le triomphe du
Mal, de celui qui n’a eu de cesse de s’opposer à Dieu. Mais peut-être avait-il
le droit d’avoir son jour, le Mal, ne serait-ce que pour lui donner l’illusion
de la victoire en attendant qu’il soit abattu, une fois pour toute. Si Dieu se
tait, c’est peut-être pour ne pas révéler sa stratégie, et remporter une
victoire totale ! Car Dieu, en se faisant silence, n’abandonne pas l’homme :
il accompagne l’homme dans sa souffrance ; il traverse avec lui l’épreuve,
pour mieux l’en sauver. Le silence de Dieu n’est ni abandon, ni acceptation de
la victoire Mal. Le silence de Dieu nous invite en fait à une foi renouvelée.
Dieu
se tait donc, et l’homme de foi est encore invité à croire. A croire malgré
tout. Car Dieu ne peut pas se taire indéfiniment. N’est-ce pas ce que semble
dire l’auteur de la lettre aux Hébreux ? Certes, Jésus, par obéissance,
est allé jusqu’à la mort sur la croix. Mais cette obéissance silencieuse, en
fait, était encore une parole de Dieu adressée aux hommes. A cause de cette
obéissance, Jésus est devenu, pour tous
ceux qui lui obéissent (ceux qui croient en lui), la cause du salut éternel. Ceux qui se réjouissaient du silence de
Dieu, se sont réjouis trop vite. Ce silence, cette mort, ne sont pas le signe
de la fin de l’histoire. Dieu se tait pour marquer une pause, une pause
salutaire. Ce silence de Dieu doit aussi permettre à tout homme de parler, de
se prononcer devant le signe de l’Innocent condamné et mis à mort. Qui est-il,
pour toi, celui qui est élevé sur la croix ? Le Mal est-il l’horizon
que tu te choisis ? Le silence de Dieu appelle une parole de l’homme, une
parole de foi, une parole de vérité, une parole de vie. Pour que l’homme puisse
dire sa foi, il faut bien que Dieu se taise un instant et entende la réponse de
l’homme à toutes ces paroles prononcées, à tous ces actes posés par celui qu’il
a envoyé. Dieu se tait, et l’homme peut soit rejoindre ceux qui nient jusqu’à
l’évidence - il ne fallait pas
écrire : Roi des Juifs ; il fallait écrire : cet homme a
dit : Je suis le roi des Juifs - ; soit accueillir en Marie, le
dépôt de la foi, puisque Marie gardait tout, depuis le début, dans son cœur.
Dieu
se tait ; mais il nous laisse sa mère en héritage. Avec elle, nous pouvons
faire mémoire de tout ce que Jésus a dit et fait. Avec elle, nous pourrons
refaire le chemin de Dieu vers l’homme et de l’homme vers Dieu. C’est le chemin
d’une humanité libérée du Mal, le chemin d’une humanité solidaire, attentive
aux besoins de tous. Dieu se tait, et avec Marie sa Mère, nous pouvons méditer
tout cela dans le silence de notre cœur et le mettre en pratique dans notre
quotidien. Dieu parlera à notre cœur et notre cœur connaîtra la paix et la
joie. Amen.
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