Les
disciples auraient-ils eu vent des paroles de Jésus à Marthe et à Marie la semaine passée ? Ou
sont-ils seulement impressionnés par Jésus qu’ils voient en prière si souvent ?
Ou sont-ils plus modestement jaloux des disciples de Jean le Baptiste qui ont
eu droit apparemment à un tel enseignement de la part de leur maître ? Nous
ne le saurons jamais ; par contre nous savons qu’un jour, ils lui ont
demandé de leur apprendre à prier. Cette
question de la prière n’est donc pas une question anodine. Les Apôtres ont dû ressentir
quelque chose de particulier en voyant Jésus prier, et ils veulent partager
cette expérience. Ce qui nous vaut aujourd’hui un enseignement sur la prière. Nous
pouvons donc reprendre à notre compte la demande des Apôtres, si nous voulons,
à notre tour, ressembler davantage à Jésus. Osons donc la demande : Apprends-nous à prier ! Et
préparons-nous à être surpris !
Remarquons
d’emblée que la demande des disciples est judicieuse. Car par quelle prière commencer
si ce n’est celle-là qui nous met en situation d’apprentis ! N’est-ce pas
un bon début pour une vie spirituelle que de s’adresser au Maître lui-même pour
qu’il nous transmette sa propre expérience, quelques bribes de sa relation
particulière à Dieu ? Jésus est le Priant par excellence puisqu’il vit
dans l’intimité de son Père, celui-là qu’il nous faut prier justement. C’est
donc bien de Jésus que nous pouvons le mieux apprendre. Il nous suffit donc,
pour commencer, de frapper à sa
porte, et il nous ouvrira à son
enseignement.
Son enseignement nous invite bien sûr à la persévérance ;
il nous dit d’insister, de demander, de supplier pour nos besoins. Le demandez, on vous donnera ; cherchez,
vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira, n’est pas qu’une belle
formule, un slogan de plus dans l’attirail du missionnaire. Quiconque a
commencé un jour une vie spirituelle sait combien il est important de rester
ainsi disciple en toute chose. Il doit sans cesse demander, chercher, frapper à la porte de son Maître pour mieux
accueillir et approfondir son enseignement. Sans persévérance, il n’y a pas de
vie spirituelle possible. Tous les grands maîtres de la prière nous l’enseignent :
la vie de prière est un long chemin, jamais abouti, toujours chaotique parce qu’il
met en mouvement les forces qui s’opposent à Dieu et qui ont l’esprit chagrin
chaque fois qu’un nouveau disciple prend avec sérieux la suite du Christ.
Mais l’enseignement de Jésus ne se contente pas de
quelques formules ou belles phrases sur la prière. L’enseignement de Jésus, c’est
surtout la prière qui est toujours écoutée par Dieu, toujours exaucée. En réponse
à la demande de ses disciples, il leur donne le Notre Père, une prière toute faite, à reprendre sans se lasser pour
ouvrir le cœur de Dieu et accéder à ses grâces. Cela peut nous surprendre, nous
qui n’aimons rien autant que la liberté et la créativité. Sans doute
aurions-nous préféré une formule magique pour composer nous-mêmes nos propres
prières, réinventer chaque jour notre liturgie et notre manière de nous
adresser à Dieu. Jésus nous invite à la répétition, à l’appropriation d’une
prière qui n’est pas de nous ; bref, il nous invite à rester disciples, à
rester humbles, même dans notre manière de parler à Dieu. Ce n’est donc pas la
peine de lancer un concours de la meilleure prière : il n’y aura rien de
mieux que celle-là ! Nous devons donc accueillir le Notre Père
comme modèle de prière, comme seule vraie prière. Celui qui veut prier à la
manière de Jésus doit comprendre comment « fonctionne » cette prière
pour calquer ensuite la sienne sur celle du Christ. Et celui qui ne sait pas
prier pourra toujours simplement redire ces mots que le Christ a enseignés, sûr
que ces mots-là sont entendus du Père lorsqu’ils sont prononcés par le cœur. Reprenons
donc cette prière par le détail.
Notre Père, que ton Nom soit sanctifié, que ton règne
vienne, que ta volonté soit faite sur terre comme au ciel. Dans ces
premiers mots se trouve ma plus grande surprise. Moi qui croyais qu’il fallait
parler à Dieu de moi, de mes soucis pour les lui confier, pour lui demander de
l’aide, voilà que je suis décentré. Lorsque tu parles à Dieu, parle-lui de lui.
Laisse tes soucis et rencontre véritablement celui qui t’accueille. La première
moitié du Notre Père me tourne totalement vers Dieu et vers mes frères. ‘Notre’
Père et non pas ‘Mon’ Père : je ne possède pas en exclusivité celui à qui
je m’adresse, mais je m’adresse à lui avec la certitude que d’autres le font
aussi : ma prière rejoint un grand fleuve de prières adressées au même Dieu.
‘Que ton nom’, ‘que ton règne’, ‘que ta
volonté’ et non pas mon nom, mon règne, ma volonté !
Quand je prie Dieu, je lui parle d’abord
de lui : j’entre dans son projet d’amour pour moi. Cela signifie aussi que
je vais prendre du temps pour écouter Dieu. C’est une des surprises au
sujet de la prière : je ne prie pas Dieu avec ma bouche seulement, je prie
aussi avec mes oreilles. Si je veux entrer dans le projet de Dieu, il me faut
le connaître. Et comment le connaître si je ne laisse pas à Dieu le temps de me
l’expliquer ? N’est-ce pas ce que Marie nous enseignait dimanche dernier,
lorsqu’elle restait là, aux pieds de Jésus à l’écouter ? Elle avait choisi
la bonne part ; nous comprenons
mieux encore pourquoi elle ne lui sera
pas enlevée.
Donne-nous le pain
dont nous avons besoin chaque jour. Pardonne-nous nos péchés… et ne nous
soumets pas à la tentation. Ainsi Jésus poursuit sa prière-type par les
demandes à faire. Parce qu’on ne demande pas n’importe quoi à Dieu ! Demande
ton pain, demande le pardon et la capacité à pardonner, demande que le Mauvais
s’éloigne de toi !
Demande ton pain, ce n’est pas seulement le pain que tu
manges. Une lecture de l’Evangile de saint Jean nous apprend que Jésus est le Pain vivant. Donne-nous notre pain peut donc aussi
dire ‘donne-nous le Christ, donne-nous son Esprit’. La fin de la page
d’Evangile de ce jour renforce cette compréhension : Combien plus votre Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui
le lui demandent ? Voilà que même dans ce que nous demandons,
nous sommes détournés de notre petite personne et de ses besoins humains pour
apprendre à demander l’essentiel : que l’Esprit du Christ habite en
nous ! Que cet enseignement du Christ est loin de la prière de nécessité
que si souvent j’adresse à Dieu ! Je me rends compte qu’il me faut vraiment apprendre
à prier, vraiment me mettre à l’école du Christ.
Demande le pardon, parce que c’est ce que Dieu veut t’offrir
en envoyant son Fils dans le monde. Reconnais que tu as besoin de sa
miséricorde, que tu as besoin de lui pour grandir comme son fils authentique. Demande
aussi le pardon pour apprendre de lui comment pardonner à ton tour, afin de ne
pas profiter égoïstement d’un don qui t’est fait pour que tu le transmettes !
Demande que le Mauvais s’éloigne de toi, parce que plus tu
prieras Dieu, plus tu réveilleras le Mauvais. Tu auras alors un choix à faire :
soit poursuivre ton œuvre de prière pour que le Mauvais soit bien rejeté hors
de ta vie, soit arrêter là, parce que tu voulais bien prier Dieu mais pas
déranger le Mauvais ; et tu n’en seras jamais débarrassé, du Mauvais !
Il s’installera sournoisement dans ta vie, bien tapi dans l’ombre, et chaque
fois que tu voudras reprendre la prière, il t’en dissuadera en aboyant un peu
fort. La prière n’est décidément pas un acte de petit chrétien tranquille.
Nous pouvons dès lors mesurer le chemin parcouru : d’une
simple demande – apprends-nous à prier
– nous avons fait tout un chemin à la suite de Jésus. Cette demande est devenue
une vraie prière par l’enseignement reçu du Christ lui-même. Le Apprends-nous à prier des disciples peut
se conjuguer ainsi : apprends-moi à
me tourner vers le Père en vérité ; apprends-moi à entendre ce que tu
attends de moi ; apprends-moi à vivre selon ton Esprit, Esprit que tu as
mis en moi au jour de mon baptême. Mets sur mes lèvres la prière qui pourra
être entendue et exaucée par ton Père. Mets dans mon cœur la prière qui me
mettra véritablement en ta présence. Apprends-moi à prier ; apprends-moi à
être avec toi, toujours. N’est-ce pas là le but de toute prière ? Qu’il en
soit donc ainsi pour chacun. Amen.
(Jean-François KIEFFER, Mille images d'Eglise, éd. Les Presses d'Ile de France)
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