Une
grande inquiétude a régné dans les milieux libres penseurs en France ;
elle a mené à des actions en justice contre … des crèches ! Un humoriste a
traduit cela par un dessin que j’ai reçu durant ce temps de l’Avent. Il
s’intitule « Terreur sur la République » et représente une Marianne
perchée sur une chaise et poussant un cri strident : Mon Dieu, une
crèche ! Il n’y a qu’en France qu’on peut ainsi s’émouvoir et s’inquiéter
devant une scène banale à souhait : une mère et un père et leur enfant
nouveau-né couché dans une étable.
Les
quelques libres penseurs entendus ça et là sur des chaines d’information
télévisées ou radiodiffusées, s’inquiétaient d’une atteinte intolérable à la
laïcité. Ce couple et leur nouveau-né, encadrés d’un âne et d’un bœuf et visités
par quelques bergers, semblaient soudainement mettre en grand péril la
République. Regardez la crèche qui est là, en cette basilique, et dites-moi
honnêtement dans quel personnage se cache l’infâme terroriste qui mettrait à
mal notre vivre ensemble ! Le sommet de la bêtise humaine a été atteint,
me semble-t-il, lorsqu’un responsable national de ce mouvement somme toute
minoritaire, s’exclamait devant ces contradicteurs : Mais c’est quand même le petit Jésus ! Enfin, il y croit ou
pas, au petit Jésus ? Car là réside bien toute la question. Que
voyez-vous, que voient nos contemporains, lorsqu’ils regardent une
crèche ?
Le
croyant que je suis ne peut s’empêcher de constater, en cette nuit très sainte,
que la plus grande peur des grands prêtres de la religion de la laïcité poussée
à l’extrême vient de se réaliser. Au cœur de notre nuit, Dieu se fait homme en
Jésus. Dieu vient visiter son peuple, comme
le proclame Zacharie dans son cantique d’action de grâce au moment de la
naissance de son fils Jean le Baptiste. Pour le croyant donc, toute crèche est
bel et bien le rappel de cette incarnation faite pour le salut de l’homme, de
tout homme à travers le temps et l’histoire. Ici Dieu se fait à notre image
pour restaurer en nous son image que le péché avait défigurée. C’est une bonne
nouvelle pour celles et ceux qui reconnaissent en Jésus le Messie promis depuis
des siècles. Depuis plus de quatre mille
ans, nous le promettent les prophètes, dit un chant de Noël bien connu.
Dans un monde de plus en plus gris, voire sombre, les bonnes nouvelles sont
assez rares pour que nous ne cachions pas celle-ci !
Pour
un non-croyant, qu’est-ce qu’une crèche, sinon la représentation d’une
naissance en un temps ancien, dans un pays appelé Palestine ? Le décor
peut nous rappeler qu’en tout temps, il y a eu des laissés pour compte de la
société. Cette mère accouche dans une étable, entre un âne et un bœuf, parce
qu’il n’y a pas de place pour eux ailleurs. C’est la représentation du scandale
de l’égoïsme, du chacun pour soi. Mais la venue des bergers, et plus encore de
rois étrangers, traduira alors une espérance. La naissance de cet enfant semble
un événement suffisamment important pour que des hommes se déplacent, même de
loin, pour le voir. Une espérance jaillit dans un monde inégalitaire. Là,
devant cet enfant, certains reconnaissent déjà qu’un autre monde est possible.
Cet enfant semble porter avec lui la possibilité d’un monde plus juste, plus
fraternel, plus humain. Est-ce si dangereux qu’il faille cacher cela
aujourd’hui ? Est-ce si révolutionnaire qu’il faille démonter les crèches
élevées dans les espaces publics, peut-être simplement pour rappeler
qu’aujourd’hui encore, il y a des exclus ; aujourd’hui encore, il y a
besoin de fraternité, de justice, d’égalité, de paix ? Si un non-croyant,
ne reconnaissant pas le Christ Jésus dans l’Enfant de la crèche, se met malgré
tout à espérer que les choses peuvent changer, là devant ce tout-petit couché
dans sa mangeoire, n’est-ce pas une raison suffisante pour élever des crèches
une fois par an, même dans les lieux publics ? Si en voyant tous ces
pauvres se regrouper autour d’un enfant, un seul homme se dit que cela vaut la
peine de se bouger pour rendre le monde meilleur, alors la crèche a sa place
dans nos cités.
Peut-être
que nos libres penseurs, plutôt que de se reconnaître dans les pauvres
exploités, rejetés, qui trouvent là une espérance nouvelle, se reconnaissent
plutôt dans le roi Hérode. Une lecture continue des textes évangéliques de la
naissance de Jésus nous montre en effet ce roi ordonner la mort de tous les
nouveaux nés mâles jusqu’à l’âge de deux ans. Il n’en voulait pas, Hérode, de
crèche, dans son Royaume ! Trop dangereux pour son propre pouvoir. Si ses
sujets se mettent à penser autrement, s’ils se mettent à croire en un enfant
qui vient de naître, s’ils se mettent à espérer des lendemains meilleurs, que
deviendra-t-il ? Plutôt que d’accepter que quelqu’un se soucie des hommes,
fût-ce Dieu en personne, Hérode va éradiquer toute espérance par un assassinat
de masse. A bas la crèche, et pour être sûr qu’elle n’échappe pas à son
courroux, tuons gaiement et les enfants, et l’espérance qu’ils portent en eux.
Sans nul doute un libre penseur avant l’heure, Hérode. Plutôt que d’accepter
l’irruption de Dieu dans la vie des hommes, il va faire entrer la mort dans
leur vie, de manière brutale et abjecte. Tout cela pour éviter de se remettre
en cause ; tout cela pour rester le seul maître à penser, la seule
autorité à suivre.
En
cette nuit de Noël, faut-il s’inquiéter parce que certains, les chrétiens,
disent que Dieu est venu dans le monde pour le sauver ? N’est-ce pas
plutôt la joie qui doit nous habiter en ces jours ? Alors que pour
beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants, le monde devient de plus en plus
lourd, voici qu’une lumière nouvelle se lève ; voici que l’horizon
s’éclaire ; voici qu’un avenir est possible. Dieu, comme un petit enfant,
vient nous dire son amour éternel, sa tendresse et sa sollicitude pour chacun.
Puissent tous les hommes accueillir ce message de paix et d’amour. Puissent
tous se réjouir qu’une crèche soit le signe de leur salut, aujourd’hui et
toujours. Amen.
(Dessin d'Ixène. Merci au dessinateur pour ce que son dessin m'a inspiré)
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