On a enlevé le Seigneur
de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. J’imagine sans
peine ce que Marie-Madeleine a pu vivre en se rendant au tombeau de très bonne
heure et en le découvrant, non seulement ouvert, mais encore vide. Dans son cri
lancé aux disciples, s’entend tout son désarroi. A l’impensable (la mort infâmante
de celui qui faisait le bien là où il passait
et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable), à l’impensable
donc s’ajoute l’abject : on aurait enlevé le corps de Jésus. Que ce soit
chez saint Marc dont nous avons entendu l’Evangile au cours de cette nuit, ou que
ce soit chez saint Jean, ce matin, la même difficulté ressort : il semble
impossible de croire à l’impossible ! Jésus est mort, il a été mis au
tombeau. Si ce matin il n’y est plus, c’est qu’on a volé son corps. Que voulez-vous :
un mort + un tombeau vide = on l’a enlevé. 1 + 1 = 2. Il ne peut en être
autrement. C’est d’une précision quasi scientifique ! Il n’y a pas d’autre
explication possible pour Marie-Madeleine.
Observons
alors Pierre et Jean qui vont de ce pas, et en courant, vérifier les dires de
Marie-Madeleine. Sont-ils déjà en train de se remémorer certaines paroles de Jésus,
lorsqu’il leur a annoncé sa mort et sa résurrection ? Ou vont-ils juste
vérifier que le chagrin de Marie-Madeleine ne l’a pas induite en erreur ?
Serait-il possible qu’elle se soit trompée de tombe, par exemple ? Ils
arrivent sur place, et trouvent les choses comme annoncées : un tombeau
ouvert, vide, et des linges bien posés, le suaire bien roulé à sa place. Les deux voient la même chose, mais d’un seul
il est dit : il vit et il crut.
Pour l’un, c’est sans doute un mystère encore ; pour l’autre, une évidence :
personne n’a enlevé le corps de leur Seigneur, il est ressuscité ! L’impossible
s’est produit ! Dieu, qui a été particulièrement silencieux durant le
procès de Jésus, parle avec éclat dans de simples linges, simples signes pour
dire l’extraordinaire : la mort est vaincue par la vie. Comme le chante la
séquence de Pâques, la mort et la vie s’affrontèrent
en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne. Cela
ne s’explique pas ; cela se découvre, cela se voit dans des signes, cela
se croit. Tout est possible à Dieu, même faire mourir la mort alors même qu’elle
pensait avoir triomphée par le bois de la croix. L’arbre de mort devient arbre
de vie ; et la tombe devient le berceau de cette nouvelle vie. Désormais, Jésus
n’est plus à chercher chez les morts ; il est à chercher du côté de la vie ;
il est à trouver là où les hommes font triompher la vie. C’est par lui, le Ressuscité, et à sa suite, que les hommes
peuvent faire triompher la vie.
Nous
n’aurons rien d’autre que les mêmes signes (un tombeau ouvert, des linges
rangés) et le témoignage des disciples pour fonder notre foi en celui qui a
vaincu la mort. Pas plus aujourd’hui qu’hier, nous ne pouvons attendre de
manifestation extraordinaire. Jésus nous a tout donné de son vivant. Sa Parole,
à laquelle s’ajoute pour nous la parole des Apôtres qui ont rencontré Jésus ressuscité,
doit suffire à fonder notre foi. Celui qui a
passé en faisant le bien continue de passer au milieu de nous en faisant le
bien. En devenant à notre tour ses disciples, nous devenons ses instruments, et
l’Eglise, le sacrement de sa présence au monde de notre temps. Il ne peut être
présent aujourd’hui que s’il est vraiment ressuscité. L’Eglise ne nous invite
pas à suivre un mort, mais celui qui a vaincu la mort, celui qui est toujours
vivant, et qui vit à travers nous, et qui rejoint les hommes de notre temps à
travers nous, à travers notre témoignage, à travers le bien que nous pouvons
leur faire.
Face
au mystère de la résurrection et aux signes laissés, plusieurs attitudes sont
possibles : il y a ceux qui, à l’exemple de Marie-Madeleine, cherchent une
explication plausible. Certains, à l’image de Jean, voient et croient, presque
instantanément. D’autres, à l’image de Pierre, ont besoin de plus de temps. Mais
tous sont invités à la même foi, au même témoignage d’amour. Si le Christ est
ressuscité, nous devons rechercher les
réalités d’en-haut. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une petite vie
médiocre, tournée seulement vers les réalités de la terre. Nous devons regarder
plus haut, agir plus grand, pour le bien de tous. Puisque le Christ n’a pas été
retenu dans l’endroit confiné de son tombeau, nous ne pouvons pas rester confinés
dans le tombeau d’une vie uniquement terrestre. A notre tour, sortons de nos
étroitesses, ouvrons-nous à la vie en grand, à la suite de Jésus, Christ et Seigneur.
Il est ressuscité pour que nous puissions vivre ; il est ressuscité pour
nous ouvrir le chemin de la vie avec Dieu, en Dieu pour toujours. C’est à cette
hauteur que nous veut Dieu ; c’est à cette hauteur que nous devons vivre.
Le
mystère de la résurrection ne concerne pas uniquement Jésus. Il impacte
profondément notre vie et notre manière d’aborder le monde. Malgré les
difficultés que nous pouvons rencontrer, nous devons croire que la vie aura
désormais toujours le dernier mot, nous devons vivre avec cette certitude que
rien ne peut nous atteindre si nous gardons les yeux fixés sur Jésus Christ. Céder
à la peur face à l’avenir, céder au pessimisme ambiant, c’est enfermer à
nouveau le Christ dans son tombeau, c’est refuser d’accueillir la puissance de
vie qu’il a délivré. Et cela ne se peut, car Christ est ressuscité, il est vraiment
ressuscité. Alléluia.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, éd. Les Presses d'Ile de France)
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