Nous le savons en
effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus : la
mort n’a plus de pouvoir sur lui. Cette affirmation de l’Apôtre Paul, ne
croyons pas qu’elle soit tombée du ciel, un jour comme cela. Elle est le fruit
d’une maturation de la foi, maturation qui a commencé de manière fort banale
par la question des femmes se rendant au
tombeau dès le lever du soleil, le premier jour de la semaine. Cette question,
nous l’avons entendue dans l’Evangile que je viens de proclamer : Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée
du tombeau ?
Remarquons
d’emblée le moment où elles se posent cette question. Elles se sont préparées,
une fois le sabbat terminé, en achetant les onguents nécessaires à l’embaumement.
Elles se lèvent de grand matin, se mettent en route, et là, subitement, elles
se mettent à penser à un petit détail, oh trois fois rien : la tombe est juste
fermée par une lourde pierre. Comment vont-elles faire pour accéder au corps ?
Elles ont pensé à tout, sauf à emmener un disciple assez fort pour dégager la
pierre ! C’est bêta, non ? Que voulez-vous, on oublie toujours un
petit détail ! Imaginez alors leur surprise lorsqu’elles découvrent qu’en
fait, c’est déjà ouvert ! Le tombeau est ouvert, mais la pierre ferme
toujours leurs cœurs. Elles sont saisies de frayeur à la vue d’un jeune homme vêtu de blanc là où
aurait dû se trouver le corps de Jésus. La liturgie raccourcit un peu le
passage d’Evangile, car après l’intervention de l’ange, saint Marc précise qu’elles sortirent et s’enfuirent du tombeau,
parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Et elles ne
dirent rien à personne, car elles avaient peur… Oui, le tombeau a beau être
ouvert, leurs cœurs sont fermés à cette étonnante nouvelle : vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ?
Il est ressuscité : il n’est pas ici.
N’accablons
pas trop vite ces saintes femmes ; sans doute n’aurions-nous pas fait
mieux. Que voulez-vous ? Jésus est mort ; c’est une certitude pour
ces femmes. Il avait été déposé dans ce tombeau, bien scellé : elles s’en
étaient assurées au moment de l’ensevelissement. Comment croire qu’il est vivant ? Comment croire à l’impossible ?
Jamais personne n’est revenu de chez les morts. Ce qui est demandé aux femmes,
c’est de croire possible ce que personne n’a jamais réalisé ! Ce qui est
demandé à ces femmes, c’est d’entrer dans un monde nouveau dont la porte est ce
tombeau ouvert. Elles étaient venues honorer un mort ; elles ne peuvent
que constater son absence. Elles sont venues le cœur gros encore de leur
souffrance d’avoir perdu Jésus ; il leur est demandé d’entrer dans la joie
de croire, juste parce qu’elles ont vu un tombeau ouvert et ont entendu un
étranger leur dire : il est vivant !
Cela fait beaucoup pour de simples mortels !
Qui nous roulera
la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? Nous nous rendons
compte que ce n’est pas si évident de rouler cette pierre et d’entrer dans ce
monde nouveau, dans ce rapport nouveau à la mort et à la vie. Aujourd’hui, ce
soir même, il y a encore beaucoup de pierres refermant les tombeaux de nos cœurs
et de nos intelligences. Qui les roulera pour que tous les hommes puissent
accéder à la révélation d’une vie plus forte que la mort ? Qui les roulera
pour que chacun puisse faire sienne l’extraordinaire nouvelle de la
résurrection de Jésus ? Devant le tombeau vide, il nous faut accepter d’abord
que Jésus n’est pas mort pour lui, ou à cause de ce qu’il a fait ou dit, quoi
qu’en ait dit l’accusation au moment du procès. Devant le tombeau vide, il nous
faut accepter que Jésus soit mort pour nous, pour notre vie, pour notre salut. Il
faut dépasser le Jésus de l’Histoire et nous ouvrir au Christ, le Jésus de la foi. Il nous faut
oublier tout ce que nous avions cru savoir de l’homme Jésus, et le découvrir
tout-autre. Il nous faut laisser là notre peur du radicalement nouveau pour avancer
avec confiance sur le chemin de la Galilée où le Christ nous attend.
En
cette nuit, si nous acceptons d’être disciples du Christ, l’Eglise vient rouler
pour nous la pierre des tombeaux de nos certitudes et elle nous invite à une
foi renouvelée. Elle nous invite à croire qu’en Dieu seul est la vie, la vie en
plénitude. Et elle nous interrogera dans un instant : rejettes-tu le Mal
pour mieux croire au Dieu de la vie ? En répondant par l’affirmative, la
pierre de nos doutes, la pierre de nos manques, la pierre de nos lâchetés sera
roulée hors de nos vies et nous pourrons accueillir cette vie nouvelle que le Christ
nous a obtenu au prix de son sang. Nous pourrons l’accueillir et en témoigner
auprès de tous. Tant d’hommes attendent encore que quelqu’un vienne les aider à
rouler les pierres qui obstruent leur vie.
En
cette nuit très sainte, ne nous enfuyons pas effrayés, comme les femmes jadis,
mais accueillons l’extraordinaire nouveauté d’un Dieu qui s’engage pour notre
vie. La croix et le tombeau ouvert en sont les signes à tout jamais. Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, Mille images d'Evangile, éd. Presses d'Ile de France)
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