Est-ce
que cela valait la peine d’inaugurer une nouvelle Alliance si c’est pour qu’elle
finisse aussi vite et de manière aussi tragique ? Une croix dressée, un
homme crucifié : est-ce donc tout ce qui nous est donné à voir, après les
signes de l’Eucharistie et du lavement des pieds ?
Devant
la croix dressée, se révèle notre foi. Devant la croix dressée, tout prend sens
ou tout s’écroule, selon que nous soyons capables d’interpréter les signes à la
lumière des innombrables alliances que Dieu a conclues avec nous par le passé. Ce
n’est pas pour rien que nous relisons le prophète Isaïe et l’annonce d’un
serviteur de Dieu, serviteur souffrant, serviteur rejeté par tous, mais serviteur
portant sur lui les nombreux péchés, les nombreuses souffrances de l’humanité. Déjà
la théorie du bouc émissaire reprise par les autorités du Temple à la veille du
procès de Jésus : il vaut mieux qu’un
seul meurt pour tout le peuple, surtout si celui-là qui meurt, ce n’est pas
nous. Insondable mystère d’un Dieu qui s’offre, qui offre sa vie pour racheter
la nôtre. Non seulement les hommes rejettent le serviteur de Dieu, non
seulement ils le condamnent, mais ils obtiennent en plus, par lui, la
possibilité d’une vie marquée du sceau de l’éternité, s’ils savent lire et
reconnaître le signe de la croix dressée.
Comprendrons-nous
jamais vraiment ce mystère de notre rédemption qui s’accomplit par la plus
grande forfaiture que l’homme puisse commettre, la mort d’un innocent ?
Comprendrons-nous jamais l’immense amour de Dieu pour nous qui va jusqu’à l’abaissement
total, jusqu’à l’anéantissement pour que nous puissions vivre ? Il faut
une vue profonde, un regard perçant, pour voir encore là, devant la croix,
notre vie qui naît, notre vie qui reprend force, notre vie qui se voit offrir
un nouvel avenir, une nouvelle liberté.
Devant
la croix, l’homme n’a, paradoxalement, plus à craindre la mort. Devant la
croix, l’homme peut espérer une vie nouvelle, plus forte que la mort. Devant la
croix, l’homme peut reconnaître que l’avenir s’ouvre à lui, non sans Dieu, mais
avec Dieu justement, avec celui qu’il vient d’y faire mourir. Alors même que
tout semble perdu, tout entre en germination. Ce corps déposé au tombeau est
comme le grain semé ; il fallait qu’il meure pour que nous puissions
découvrir la puissance de vie contenue en lui.
Devant
la croix, dressée entre terre et ciel, comme un trait d’union entre le monde
des hommes et le monde de Dieu, il nous faut faire silence et accompagner tous
ceux qui avaient mis leur espoir en celui qu’ils ont transpercé. Devant la
croix, dressée entre terre et ciel, comme un cri lancé vers Dieu, il faut que
le croyant espère en Dieu qui toujours entend le cri de notre prière. Si l’Alliance
nouvelle annoncée dans le repas de l’Eucharistie est bien une Alliance
éternelle, l’histoire ne peut s’achever là ; quelque chose doit arriver
encore ; Dieu doit se manifester à nouveau. Jusqu’à présent, il est resté
silencieux, trop silencieux. Que dira-t-il de l’homme ? Que dira-t-il de
sa volonté de se débarrasser de ce fils unique devenu trop gênant ? Que
dira Dieu ? Que fera Dieu ?
Peut-être
que tout est allé trop vite pour qu’il puisse agir ? Peut-être laisse-t-il
aux hommes, à chacun de nous, le temps de réfléchir à ce que nous avons fait ?
Car c’est bien nous qui l'avons conduit jusque-là ; c’est bien nous qui le
re-crucifions chaque fois que nous sommes incapables de nous entendre, chaque
fois que nous laissons le péché dominer notre vie, chaque fois que nous écrasons
le petit et le faible, chaque fois que nous décidons que notre vie, c’est bien
mieux sans Dieu.
Hier
au soir, nous ont été donnés deux signes : le pain et le vin à partager en mémoire du Christ et le lavement
des pieds comme un appel à servir sans cesse. Aujourd’hui, c’est une croix
dressée et un tombeau dans lequel repose le corps du Seigneur qui sont mis
devant nos yeux. Les rangerons-nous au rayon de nos désillusions ou les
ferons-nous vivre ? Profitons du silence de ce vendredi pour y réfléchir,
et peut-être qu’un miracle sera possible ! Qui sait si Dieu ne se
manifestera pas encore ? Qui sait s’il n’a pas entendu ce cri lancé vers
lui par la croix dressée ? Qui sait ? Peut-être que cette Alliance
inaugurée la nuit passée et qui semble réduite à néant aujourd’hui, peut-être
qu’elle est vraiment faite pour durer. Quelque chose aurait pu nous échapper. Si
nous croyons que Dieu s’est engagé par ces signes, pourquoi ne pas faire nôtre
la prière du psalmiste : soyons
forts, prenons courage, nous tous qui
espérons le Seigneur. Celui qui n’a rien dit durant le procès a peut-être
encore son mot à dire. Amen.
(Station du Chemin de Croix de l'église de Krautergersheim - Alsace)
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