Pauvre
Pierre ! Il faudra quand même que quelqu’un lui apprenne à se taire ou, au
minimum, à parler moins vite. Je sais bien que cela le rend attachant,
terriblement humain ; mais quand même, poser une affirmation de foi des
plus vraies et se faire rembarrer quelques temps après par Jésus lui-même en se
faisant traiter de Satan, reconnaissons que cela aurait mérité un temps de
réflexion pour éviter cette chute soudaine. Pourtant, n’accablons pas trop vite
ce pauvre Pierre ; nous sommes souvent comme lui.
Essayons
de comprendre ce qui lui arrive. Jésus pose une question existentielle : au dire des gens, qui suis-je ? Les
réponses de ses disciples fusent : Jean
le Baptiste, pour d’autres, Elie ; pour d’autres, un des prophètes. Jésus
ne réagit pas en reprenant ces affirmations pour démonter ce qu’elles pouvaient
avoir de pertinent ou d’absurde. Il reprend aussitôt en invitant ses disciples
à une parole plus personnelle : Et
vous, que dites- vous ? Pour vous, qui suis-je ? J’avoue que j’aurais
donné cher pour voir la tête des Apôtres à ce moment-là ! Ces réponses ne
lui suffisent-elles pas ? Seraient-elles fausses au point qu’il faille
tenter une psychanalyse avant l’heure ? Il s’adresse à des gens simples,
qui ont tout quitté pour le suivre. Ils sont bien avec lui sinon ils ne
resteraient pas. Faut-il vraiment s’embarrasser de questions de ce genre :
Pour vous, qui suis-je ? C’est
Pierre qui s’y colle pour répondre : Tu
es le Christ. A la manière dont Marc écrit son Evangile, j’ai l’impression
que la réponse jaillit ; c’est une réponse irréfléchie, spontanée, la
réponse du cœur. Marc ne précise pas si Jésus est content de Pierre et de sa
réponse ; il précise juste que Jésus interdit d’en parler à quiconque. Ça valait
bien la peine d’en parler ! Et il commence à leur expliquer la nécessité
de la Passion : ses souffrances, son rejet par les chefs religieux, sa
mort et enfin, sa résurrection. Pour Pierre, c’est trop ! S’il a raison de
dire que Jésus est le Christ, c’est-à-dire le Messie attendu depuis si
longtemps, alors l’affirmation par Jésus de son rejet, de sa non-reconnaissance
par les chefs du peuple et de sa mort devient insupportable. C’est comme si Jésus
avait éveillé en eux un désir profond et venait leur dire maintenant :
ben, cela ne se réalisera pas parce que je vais être tué. Comment voulez-vous
que Pierre (et les autres disciples avec lui) entende encore l’affirmation de
la résurrection ? D’autant plus, qu’à l’époque, personne n’était encore
ressuscité ! La mention de sa résurrection trois jours après sa mort ne
veut rien dire dans leur contexte. Si nous voulons comprendre Pierre, il faut
nous interdire de faire référence, à ce moment précis, de ce que nous disons de
notre foi pascale.
Ce
qui arrive à Pierre et qui lui vaut les reproches sévères de Jésus, c’est un
décalage entre ce qu’il croit et ce qu’il est en mesure de comprendre. Il dit
quelque chose de la personne de Jésus (il est le Christ) sans en mesurer et en
accepter toutes les conséquences. Pour lui, dire que Jésus est le Christ, c’est
dire qu’il est le Sauveur. Et il a de quoi appuyer son affirmation : les
nombreuses guérisons, la multiplication des pains, son enseignement sont bien
les signes clairs que Jésus est du côté de Dieu. Quiconque suit Jésus peut s’en
rendre compte. Mais de là à accepter que celui qui est censé nous sauver doit
mourir, là non, ça ne va plus. Pierre ne joue plus ; ce n’est juste pas
possible ! Comment celui qui a posé tant d’actes forts envers les autres,
comment celui-là serait-il assez faible pour se laisser condamner à mort ?
Et nous constatons alors qu’il peut y avoir un gouffre entre ce que nous
croyons de Jésus et ce que nous acceptons. Ce qui valait pour Pierre jadis vaut
encore pour nous aujourd’hui. Si Jésus est le Christ, alors il est toujours
fort ; alors il doit avoir réponse à tout ; alors il doit être le
remède absolu à toutes nos misères. Comment se fait-il alors que des gens
souffrent ? Comment se fait-il que des gens soient obligés de fuir loin de
chez eux pour espérer rester en vie ? Comment se fait-il que le Mal triomphe
si souvent ? Comment se fait-il que la grand-mère ait dû mourir ? Comment
un enfant peut-il mourir, enfermé dans une machine à laver ? Ces questions,
qui quelquefois nous habitent, sont du même genre que la réflexion que Pierre a
faite à Jésus. Si tu es le Christ, tu ne peux pas mourir ! Si tu es le Christ,
le Mal ne doit plus exister ; et s’il existe encore, au moins il ne doit
plus triompher !
Avec
Pierre, nous devons apprendre à réduire l’espace qui existe entre ce que nous
croyons et ce que nous comprenons de notre foi. Cela ne peut se faire qu’en
étant fidèle à Jésus et à tout son enseignement. Cela ne peut se faire
qu’en étant ami de Jésus, au sens fort du terme, sinon nous serons traités de Satan,
comme Pierre. Pour comprendre cette interpellation de Jésus à Pierre, relisons
Bernanos qui affirmait : Qu’est-ce
que le diable ? C’est un ami qui ne reste pas jusqu’au bout ! Quand
Pierre reproche à Jésus l’affirmation de sa mort, il est un ami qui ne veut pas
rester jusqu’au bout, jusque par-delà la mort, jusqu’à la résurrection. Elle seule
donne le dernier mot de toute l’histoire ; elle seule donne sens à toutes
les souffrances du Christ. Elle seule ouvre une espérance à tous les hommes. A
défaut de comprendre toutes les conséquences du message de Jésus, acceptons de
devenir des amis de Jésus, des hommes et des femmes qui restent jusqu’au bout. Quoi
qu’il en coûte. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, Année B, éd. Les presses d'Ile de France).
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