Mais quelle prise de tête, ces
sadducéens ! Ils ne croient pas à la résurrection, et pour mieux appuyer
leur position, ils s’en vont inventer une histoire à dormir debout, d’une femme
qui épouse un homme qui a six frères, et celui-ci mourant sans lui laisser
d’enfant, elle épouse, en respect de la loi, chaque frère, l’un après l’autre,
les épuisant jusqu’au dernier, sans avoir eu d’enfant pour autant et surtout sans
que cela n’éveille le moindre soupçon. Avec pareille histoire, je ne
m’interroge pas tant sur la résurrection que sur la moralité de cette femme.
Ses maris successifs sont-ils morts de leur belle mort ou les a-t-elle aidés un
peu ? Voyez à quoi cela mène de compliquer les choses en matière de
foi : à l’absurde ! Or la foi, c’est plutôt simple.
Regardez ces sept frères du livre des
Martyrs d’Israël. Soumis à la dictature d’un pouvoir totalitaire et absurde,
ils font le choix de rester fidèles à leur foi, celle-là même qu’on leur
demandait de renier, au risque d’y perdre la vie. Ils ne se découragent pas, ils
ne renient pas, même face à la mort, bien au contraire. Pour eux le choix est
simple : être fidèle à Dieu ou pas. Ce faisant, ils ne choisissent pas de
mourir, ils choisissent de vivre, pour toujours, dans cette foi jadis révélée
par Moïse lorsque, devant le buisson ardent, il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob.
Oui, ils font le choix de la vie, selon cette parole du livre du Deutéronome
(30, 15-16) : Vois, je mets
aujourd’hui devant toi ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le
malheur. Ce que je te commande aujourd’hui, c’est d’aimer le Seigneur ton Dieu,
de marcher dans ses chemins, de garder ses commandements, ses décrets et ses
ordonnances. Alors tu vivras… Ce n’est quand même pas compliqué ! Pour
ces sept frères, la vie, la vraie vie, passe par leur mort terrestre puisque le
pouvoir en place ne leur permet pas de rester fidèles à la foi de leurs pères. Mieux vaut mourir de la main des hommes,
quand on attend la résurrection promise par Dieu. Ils disent ainsi
clairement, et sans doute pour la première fois avec autant de force dans un
texte de la Première Alliance, leur attachement à Dieu, leur espérance en une
vie plus forte que la mort et leur certitude que Dieu les récompensera par une
vie marquée du sceau de l’éternité.
Dans l’évangile, Jésus ne dit pas autre
chose. D’abord, il ne répond pas aux sadducéens ; leur question ne vaut
pas la salive qu’il faudrait pour leur répondre. Mais il les invite à voir plus
grand et d’abord à vraiment faire confiance à Dieu. Puisque nous savons déjà
que le Dieu d’Israël n’est pas le Dieu
des morts mais des vivants, pourquoi ne pas lui faire confiance en
tout ? Pourquoi vouloir comprendre comment ça marche ? Pourquoi
vouloir faire de la vie en plénitude en Dieu une copie de notre vie
terrestre ? La vie ici-bas et la vie en Dieu par-delà la mort sont deux
catégories différentes. On ne joue pas dans la même ligue ! Pourquoi, dès
lors, vouloir comparer ce qui n’est pas comparable ? Pourquoi se fatiguer
à vouloir comprendre un don que Dieu nous fait gratuitement ? Si ton Dieu
est le Dieu de la vie, il peut bien te faire vivre par-delà ta mort
terrestre ! Ta foi ne serait-elle qu’une idée, des mots que tu prononces
sans y croire vraiment ? Est-ce seulement encore une foi si tu as besoin
de tout comprendre, de tout appréhender avec des catégories de notre
monde ? Ce qui compte, semble dire Jésus, c’est de faire confiance à Dieu,
à la puissance de vie qui vient de lui.
La prière de l’Eglise, dans l’une de ces
préfaces, nous donne à entendre notre foi à ce sujet : dans cette existence de chaque jour que nous
recevons de ta grâce, la vie éternelle est déjà commencée : nous avons
reçu les premiers dons de l’Esprit par qui tu as ressuscité Jésus d’entre les
morts, et nous vivons dans l’espérance que s’accomplisse en nous le mystère de
Pâques (Préface des dimanches n° 6). Puisque notre vie vient de Dieu, elle
est déjà le signe de la vie éternelle. Par notre baptême, nous avons déjà part
à cette vie et nous espérons qu’un jour elle s’accomplira en nous
définitivement. Jésus nous a montré le chemin de cette vie : il s’appelle
amour de Dieu et amour du prochain. Voilà ce qui compte, en plus de la
confiance en Dieu : aimer à en perdre la raison, aimer absolument, à
l’image du Christ Sauveur. Dans l’amour, grandit la vie éternelle qui est en
nous. Notre espérance se traduit donc dans une confiance absolue en Dieu qui
peut tout, même redonner vie à ceux qui sont morts, et dans un art de vivre qui
place le frère au centre de nos préoccupations. Tout le reste n’est que
littérature ; tout le reste n’est que conjecture.
Fais confiance à Dieu, et tu vivras. Agis
selon la Parole de Dieu, et tu vivras. Aime comme le Christ aime, et tu vivras.
Il n’y a là rien d’extraordinaire. Tout est donné de manière très claire. Il
faut juste le vivre. Mais peut-être est-ce là, le vrai problème pour
nous : passer de la parole aux actes et marcher humblement en présence de
Dieu, en toute chose. Mais si, pour une fois, nous essayions, sans trop nous
poser de question ? Si nous nous mettions à aimer vraiment ? Si nous
refaisions une place à Dieu dans notre monde ? Notre monde en serait
bouleversé, assurément ; notre espérance deviendrait réalité. Plutôt que
de nous casser la tête sur des hypothèses fallacieuses, donnons-nous une chance
de vivre ce que nous croyons et de croire ce que nous espérons. Amen.
(Michel-Ange, La création d'Adam, Détail de la fresque, Chapelle Sixtine)
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