« Si tu
es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! » Cette invective adressée au Christ crucifié annonce
déjà ces nombreuses expressions du doute moderne, formulé ainsi :
« Si Dieu existait vraiment, il n’y aurait pas tant de choses horribles
dans notre monde ! » Pourtant, cette parole adressée au Crucifié dit
à la fois toute la complexité du mystère de Dieu révélé en Jésus Christ et la
difficulté de l’homme à adhérer à ce mystère. Ce que l’homme ne comprend pas
est, hélas, souvent taxé d’irréel, d’inexistant !
A l’époque de Jésus, le peuple juif attendait un
messie, un roi qui enfin rendrait à Israël son indépendance perdue il y a
longtemps. A l’époque de Jésus, nombreux étaient ceux et celles qui croyaient
que Jésus serait cet homme qui rendrait sa fierté et son orgueil à ceux qui
furent jadis - au temps de David et de Salomon - un grand peuple (Make Israel great
again !). A l’époque de Jésus,
nombreux étaient également ceux et celles qui furent déçus par le refus de
l’engagement politique de Jésus et qui le sanctionnèrent en réclamant sa mort
en croix. S’il ne veut pas nous libérer comme nous le voulons, au moins ne nous
dérangera-t-il plus ! Ont-ils seulement compris que c’est en agissant
ainsi qu’ils donneraient au Christ la possibilité d’exprimer sa
toute-puissance ?
Aujourd’hui, nombreux sont ceux et celles qui
attendent quelqu’un qui donne du sens à leur vie. Aujourd’hui, nombreux sont
ceux et celles qui se soumettent à un gourou, pensant ainsi échapper à l’emprise
du monde sur leur vie. Aujourd’hui encore, des hommes et des femmes attendent
quelqu’un qui leur rendre leur fierté, voire leur orgueil. N’avons-nous pas vu
aux Etats-Unis un président élu sous le seul slogan : Make America great
again ? N’est-ce pas ce
qu’attendant, pour la France, nombre de nos concitoyens à l’approche des
élections présidentielles ?
En ce jour où nous célébrons le Christ Roi de
l’univers, nous sommes invités à redire notre foi en Celui qui a tout donné par
amour pour l’homme et à redécouvrir que le Christ est venu dans le monde pour
porter toutes les croix du genre humain et libérer, de manière définitive,
l’humanité de tout ce qui l’empêche de vivre, de croire et d’espérer un monde
meilleur. Si la liturgie nous fait méditer l’évangile de la crucifixion, c’est
bien pour nous rappeler que c’est dans cet acte insensé que Jésus révèle sa
véritable royauté, son véritable pouvoir sur le monde. C’est dans l’absolu
dénuement, dans l’absolue injustice, dans l’absolu abaissement que Dieu peut
montrer son absolue puissance, son absolue maîtrise des événements, son absolue
volonté que l’homme vive, vive libéré de toute peur, vive libéré de toute
souffrance, vive libéré de tout péché. Il fallait, oui, il fallait que Dieu
accepte d’aller jusqu’au bout de l’aventure humaine, jusqu’au bout extrême de
la souffrance humaine pour dire que désormais, cela n’arrivera plus, désormais
Dieu sera avec chaque homme qui lutte, qui souffre, qui doute, qui hurle sa
misère et qui attend un signe, qui attend un Sauveur. Seul un Dieu crucifié
pouvait libérer un homme crucifié par tant de souffrances, tant d’injustices,
tant de regards moqueurs, tant d’exclusions. Avec Jésus crucifié, Dieu prend
définitivement le parti de l’homme affaibli, de l’homme rejeté, de l’homme
calomnié. Sur la croix, Jésus a le choix entre se sauver lui-même, comme le lui
conseille les moqueurs, ou sauver tout homme, tout l’homme, en prenant cette
dernière place que personne ne veut, cette place où il est exposé, humilié au
vu et au su de tous.
Oui, c’est cet homme bafoué, suspendu au gibet qui
devient le salut et l’espoir de la multitude. Incroyable sagesse de Dieu, folie
aux yeux de l’homme, qui nous vaut aujourd’hui de reconnaître la
toute-puissante royauté du Crucifié. L’instrument de honte qu’était la croix
devient le signe de notre salut, de notre fierté. Ce n’est que l’aboutissement
logique de toute une vie entièrement donnée aux petits et aux exclus. De la
crèche à la croix, jamais cet homme n’aura cessé de proclamer sa solidarité avec
tous les hommes. De la crèche à la croix, jamais quelqu’un ne l’aura détourné
de sa mission première : rendre à tout homme sa dignité d’enfant de Dieu,
de fils du Père éternel. Là réside sa royauté, là se trouve notre salut à tous.
Parce qu’à la différence des politiques, il ne cherche pas à favoriser un pays,
un clan, une tribu, mais tous les hommes ; avec le Christ, un seul
slogan : make human great again !
Parce que le Christ aura été au bout de la misère
humaine, tout homme – quelle que soit sa souffrance – peut se tourner vers lui
et le voir partager cette souffrance pour mieux la crucifier et ainsi mieux le
libérer. Désormais, chacun peut dire du plus profond de sa nuit : Jésus, souviens-toi de moi quand tu
viendras comme roi ! et s’entendre répondre : Vraiment, je te le déclare :
aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis. AMEN.
(Le Calvaire, Huile sur bois d'Andrea Mantegna, 1457-1459, Musée du Louvre, Paris)
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