Un semeur, des grains, des terres. Nous avons là tout
ce qu’il faut pour une bonne parabole ; nous avons là tout ce qu’il faut soit
pour nous perdre soit pour comprendre ce que Jésus veut nous dire aujourd’hui.
Un semeur, des grains, des terres. Bien peu de choses en fait pour comprendre
que Dieu est à l’œuvre en ce monde et qu’il attend, non pas tant une réponse ou
un engagement, qu’un accueil et une oreille attentive.
Des terres, nous n’en parlerons pas trop, aujourd’hui.
En tout cas, nous ne commencerons pas par elles. Jésus lui-même en parle
longuement dans l’évangile entendu. Et surtout, j’en ai assez d’une religion où
il faut sans cesse faire plus, sans cesse faire mieux. C’est fatigant, et cela
ne fait que décourager l’homme. Or je crois que Dieu vient d’abord pour nous
encourager, pour nous attirer à lui. Oui, je crois que c’est Dieu qui fait
toujours le premier pas vers l’homme ; je crois que c’est Dieu qui
toujours va à la recherche de l’homme : Homme où es-tu ? interroge Dieu dans le Jardin de la Genèse. En
relisant cette parabole du semeur, comprenons d’abord que Jésus veut nous
rappeler que nous avons un Père, et que nous pouvons compter sur lui. Cela
n’enlève rien à notre responsabilité, mais pour une fois, intéressons-nous d’abord
à lui plutôt qu’à nous.
Un semeur, donc, que nous pouvons identifier comme étant
Dieu, le Père de Jésus Christ et notre Père. Un semeur qui semble dilapider son
grain. Il en jette partout, même là où il sait que le grain a peu de chance de
monter : comme il semait, des grains
sont tombés au bord du chemin… d’autres sont tombés sur le sol pierreux…
d’autres sont tombés dans les ronces… d’autres sont tombés dans la bonne terre…
On peut penser que la diversité des terres ensemencées n’est qu’un
hasard ; peut-être y avait-il un vent capricieux qui s’amusait à disperser
le grain. Car enfin, quel paysan irait jeter intentionnellement son grain au
bord du chemin, dans une terre prise par les ronces ou envahie par la
pierraille ? Même le jardinier du dimanche que je suis, sait qu’il faut
préparer un minimum la terre avant d’y semer ou d’y planter quelque chose. Dans
la parabole de Jésus, puisque les terres ne semblent pas préparées
préalablement à l’ensemencement, j’aime à croire que le semeur sème aux quatre
vents volontairement : il sait que tous les grains ne germeront peut-être
pas, il connaît les terres et les difficultés qu’ont certaines à produire
autant que d’autres, mais il espère. Ce que rapporteront les grains tombés en
bonne terre compensera largement les pertes de ses espérances : cent, ou soixante, ou trente pour un.
Chaque grain selon ce qu’il peut donner. Nous avons donc entendu l’histoire
d’un semeur qui invite à l’espérance. Peut-être que dans le sol pierreux, il y
aura un grain qui arrivera à faire son chemin. Peut-être qu’au milieu des
ronces, un grain trouvera le peu de terre et de lumière dont il a besoin pour
grandir et produire son fruit. Ce semeur nous invite à l’espérance parce qu’il
connaît la force du grain semé. Tout le secret de la parabole est peut-être là,
dans le grain semé. Il nous faut donc maintenant nous intéresser à lui.
Le grain semé, c’est la Parole de Dieu, celle dont le
prophète Isaïe nous dit qu’elle est comme
une bonne pluie qui nourrit la terre
et la féconde. Et nous voilà
ramené à l’essentiel : Dieu parle aux hommes, il donne très largement sa
Parole, sans se dire : celui-là est bon, il comprendra ; celui-là est
stupide, ce n’est donc pas la peine que je me fatigue. Non, Dieu parle, Dieu
intervient dans l’histoire des hommes en espérant que les hommes sauront être
attentifs à cette Parole, en espérant qu’elle parviendra à toucher le cœur des
hommes, au-delà des jugements que l’on peut porter sur eux à vue humaine. La
Parole de Dieu est une bonne semence que toute terre peut accueillir, une
semence qui peut réussir partout. Si elle touche un peu de terre enfouie sous
les ronces, elle pourra faire son travail et grandir malgré tout si la terre
accepte d’être travaillée et fécondée par ce grain. La puissance de ce grain
est extraordinaire et permanente. Elle est en mesure de nous aider à chasser
les oiseaux, à arracher les ronces, à dégager les pierres de notre cœur. Dieu
lui-même nous en donne l’assurance lorsqu’il proclame : ma parole, qui sort de ma bouche, ne me
reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir
accompli sa mission. D’elle-même, la Parole de Dieu ne peut pas
échouer ; elle a en elle la force nécessaire pour la réussite. Le seul
obstacle au grain semé de la Parole, ce sera malgré tout la terre.
Il nous faut donc quand même en parler un peu, de ces
terres, sans toutefois leur donner trop d’importance. Sans la terre, le grain
ne pourrait rien. Sans le grain qui la féconde, la terre ne servirait à rien.
Le grain ne peut produire son fruit s’il ne rencontre pas la terre ; et la
terre ne peut donner de bons fruits, si elle n’accueille pas de bons grains.
Autant la Parole a besoin d’hommes et de femmes pour l’entendre et croire
qu’elle peut féconder une vie humaine, autant les hommes et les femmes de notre
temps ont besoin d’entendre une Parole qui les fassent vivre, espérer et
grandir. Dieu seul, en semant aux quatre vents, peut permettre cette rencontre.
L’homme, en accueillant la Parole, peut lui permettre d’être féconde. Faut-il
d’abord que l’homme se débarrasse des oiseaux du bord du chemin, de ses ronces
et de ces pierres intérieures qui bloquent la Parole ? Nous voyons bien ce
qu’il en est de l’homme : plein de bonne volonté, mais vite freiner par
une paresse surnaturelle qui l’envahit dès qu’il s’agit de Dieu. La
procrastination n’est jamais très loin : aujourd’hui peut-être, et sinon demain… Nous savons tous ce qu’il
en est. Peut-être faut-il alors changer de stratégie et commencer par accueillir
la Parole, malgré tout, malgré les oiseaux, malgré les ronces, malgré les
pierres. Elle est puissante en nous la Parole, et même si elle ne trouve qu’un
petit peu de terre, elle peut faire des merveilles. Elle peut nous aider à
vaincre les ronces et les pierres, et nous donner la force de lutter de manière
durable et efficace contre les oiseaux, les ronces et les pierres qui veulent
empêcher la croissance du grain semé. N’attendons pas d’avoir le cœur prêt pour
lire la Parole. Commençons par lire la Parole ; commençons par
l’accueillir en nous et elle saura nous aider à lui faire un peu plus de place
en notre vie.
Un semeur, du grain semé, des terres ensemencées. Il
n’en faut pas plus pour que la volonté de Dieu et la liberté de l’homme soient tendues
vers le même but : que lève toujours plus haut le grain de la Parole, que
grandisse toujours davantage le Royaume de justice et de paix ! Laissons
la Parole nous pénétrer afin qu’elle puisse prendre chair. Elle saura alors
faire grandir à l’infini les possibilités que chacun porte en soi. Il ne faut qu’un
semeur généreux, des grains largement semés et des terres même partiellement ensemencées
pour que jaillisse la gloire de Dieu et se lève le salut du monde. AMEN.
(Dessin de Mr Leiterer)
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