La
conduite du Seigneur n’est pas la bonne. C’est bien, selon Dieu lui-même, le
reproche qui lui est fait par les hommes, selon ce que nous rapporte le
prophète Ezéchiel dans la première lecture de ce dimanche. C’est la première
fois que nous entendons cette parole ainsi. En effet, il y a trois ans, nous
lisions encore ce passage dans l’ancienne traduction liturgique. Et elle nous
disait ceci : la conduite du
Seigneur est étrange. Une modification d’accent qui traduit une différence
d’attitude spirituelle.
La
conduite du Seigneur est étrange, disait donc l’ancienne traduction. Nous
pouvons comprendre ce mot étrange de
trois manières. Il y a d’abord étrange
au sens d’étranger. Autrement dit, l’homme reconnaît que Dieu n’agit pas comme
lui. C’est une manière de dire que, chez les hommes, on ne fait pas comme ça,
mais sans connotation morale. Mais qui a bien pu dire, ou seulement penser, que
Dieu devait faire comme nous ? Est-ce cela que nous attendons de
Dieu ? Qu’il soit juste comme nous ? Un tel Dieu ne nous serait
d’aucune utilité ; il ne nous entrainerait pas bien loin ; il ne nous
permettrait pas de prendre de la hauteur. Il serait à notre image !
Nous pouvons ensuite entendre ce mot étrange au sens de curieux, au sens où
la conduite de Dieu nous étonne parce qu’on ne la comprend pas de suite. Elle
pique notre curiosité et nous oblige à réfléchir, à décrypter pour mieux
comprendre. J’avoue que cela me convenait plutôt bien. C’était le signe que
l’homme devait se mettre en route, en recherche : Dieu était quelqu’un à
comprendre, quelqu’un qui me sortait de mon ordinaire, poussait ma réflexion
dans ses derniers retranchements. Ma curiosité au sujet de Dieu, je me devais
de l’assouvir. Je devenais un chercheur de Dieu, un archéologue de sa volonté.
Enfin, nous pouvions comprendre étrange au sens de bizarre. Cela ne se
fait pas d’agir ainsi, au sens où ce n’est vraiment pas bien. Il y a là un
jugement porté sur l’agir de Dieu, et un jugement plutôt négatif. L’homme se
place au-dessus de Dieu, il est convaincu de faire mieux que lui ; il considère
surtout que Dieu a tort de faire ainsi. Cette dernière compréhension du mot étrange nous rapproche de la nouvelle
traduction. Là où nous avions le choix, elle oriente clairement ce que l’homme
dit et pense de Dieu.
La
conduite du Seigneur n’est pas la bonne. Il n’y a aucune autre interprétation
possible. Vérification faite dans différentes traductions de la Bible, elle se
rapproche de celle qui est retenue par la Bible de Jérusalem (la conduite du Seigneur n’est pas juste),
comme de celle de la TOB (la conduite du
Seigneur n’est pas correcte). L’homme porte donc bien sur Dieu un regard
moralisateur ! L’homme fait la morale à Dieu quand Dieu lui s’abstient de
le faire pour lui proposer plutôt une alliance, un chemin de vie supérieur. Non
seulement l’homme reconnaît que Dieu n’agit pas comme lui, mais en plus il dit
que ce n’est pas bon de faire ainsi. Et que reproche l’homme à Dieu exactement
dans sa conduite ? Il lui reproche sa miséricorde ! Elle s’exprime
ainsi : Si le méchant se détourne de
sa méchanceté pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Dieu
laisse toujours une chance à l’homme de se convertir, de revenir vers plus de
justice, de pratiquer le droit, même après avoir pratiqué longtemps le Mal.
Cette miséricorde a une exigence : celle de rester dans le bien retrouvé.
En effet dit Dieu, Si le juste se
détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état, c’est à cause de
son mal qu’il mourra. Sans doute est-ce cela qui choque l’homme. On veut
bien accepter que le méchant puisse être sauvé s’il a bien manifesté son retour
à la justice (après tout, ça pourrait être nous, et nous aimons bien l’idée
d’un pardon s’il est pour nous. Pour les autres, ça se discute, n’est-ce pas).
Mais qu’un homme juste durant toute sa vie, et qui vient à mourir après avoir
commis un seul acte mauvais, soit définitivement perdu, voilà qui n’est pas
possible. Ça pourrait être nous aussi. Nous aurions perdu toute une vie à
faire le bien ! Proprement inadmissible, sauf si cela concerne le voisin
que l’on n’aime définitivement pas. Il l’aura bien mérité, non ?
La
conduite du Seigneur n’est pas la bonne. Mais qui est l’homme pour parler
ainsi ? Qui est l’homme pour juger ainsi l’agir de Dieu ? Qui est
l’homme pour fixer les règles de la justice ? Juger Dieu ainsi, n’est-ce
pas déjà l’exclure de notre vie ? Juger Dieu ainsi, n’est-ce pas vouloir
se prendre pour Dieu ? Mais alors, si l’homme se prend pour Dieu dont il
dit qu’il n’est pas juste, le jugement de l’homme sur Dieu est-il juste ?
Ou son jugement rejoint-il l’injustice supposée et déclarée de Dieu ?
Heureusement, Dieu n’agit pas comme
l’homme ! Heureusement, Dieu ne pense pas comme l’homme !
Heureusement, la justice de Dieu dépasse celle des hommes ! Heureusement,
sinon pauvres de nous ! Si Dieu était comme nous, nous serions jugés sur
nos propres principes qui visent plus à exclure qu’à pardonner. Si Dieu était
comme nous, nous serions jugés sur des critères de ressemblance : il est
bon parce qu’il est comme moi ; il n’est pas bon parce que différent de
moi. Si Dieu était comme nous, il aurait sur nous un jugement définitif dès le
départ de notre vie. Or Dieu ne juge pas ainsi. Dieu est patient avec
nous ; il nous invite sans cesse à la conversion ; il nous laisse le
temps du repentir ; il se réjouit de nous voir revenir, même et surtout
après une longue absence, même et surtout après un long temps loin de lui.
La
conduite du Seigneur n’est pas la bonne. Est-ce si
sûr ? Personnellement je n’en vois pas de meilleure et je prie Dieu de
convertir le cœur des hommes à sa manière de les voir, à sa manière de les
juger, à sa manière d’être patient avec tous. Comme notre monde serait bon, si
nous portions sur lui le regard que Dieu porte sur nous. Comme notre monde
serait bon si nous agissions avec tous comme Dieu agit avec nous. Oui, il est droit, il est bon le
Seigneur ; qu’il nous enseigne
ses voies. Amen.
(Dessin de M. Leiterer)