Franchement, y a-t-il quelqu’un pour
l’aimer, cet homme à qui un roi remet une fortune seulement parce qu’il aura
supplié un peu ? Enfin pourquoi est-ce à lui que cela arrive et pas à
nous ? Vraiment, nous ne l’aimons définitivement pas. D’ailleurs, nous
pensons tous qu’il l’aura bien cherché et l’aura bien mérité sa punition
lorsque Jésus arrive à la fin de sa parabole. C’est justice qu’il soit livré au bourreau jusqu’à ce qu’il ait tout
remboursé. Où irions-nous si des hommes comme lui n’étaient jamais punis ?
Cela lui apprendra à ne pas faire bénéficier les autres d’un peu de la chance
qu’il aura eu. Non mais !
Il est juste, ce roi qui condamne : c’est
ce que nous pensons tous lorsque Jésus termine sa parabole. Dans un monde dur,
il se préoccupe du petit, de celui qui est exploité. Il remet un peu d’équité
et un peu d’éthique dans un monde de brut. C’est si rare dans le monde des
grands. Et on se met à rêver : nous en voudrions un, fait dans le même
moule, pour nous gouverner et remettre un peu de bon sens dans un monde qui
s’affole. Mais est-il vraiment juste ce roi ? Au début de la parabole, il veut régler ses comptes avec ses serviteurs (pas
très engageant) ; puis il ordonne que
cet homme soit vendu avec sa femme et ses enfants et tous ces biens (pas
très catholique comme comportement), avant de finalement de se reprendre et de
remettre la dette (c’est mieux). Mais au final, c’est la colère qui revient et
il règle ses comptes avec cet homme avec sévérité. Sommes-nous sûrs de vouloir d’une
girouette qui commence par remettre une dette et qui revient ensuite sur sa
parole ? Bon, dans la parabole, cela semblait évident qu’il fallait agir
ainsi, mais que serait notre monde si ceux qui le gouvernent se laissent aller
à la colère et remettent sans cesse en cause leur décision ? Non, cela ne
fait pas très sérieux ; cela semble même dangereux. Il faut quelqu’un qui
soit sûr de lui, qui décide et qui se tienne à ce qu’il a décidé. Pas quelqu’un
qui se laisse gouverner par ses sentiments ! Non mais !
Maintenant que la parabole est démontée,
que reste-t-il ? Qu’en tirons-nous ? Car enfin, quand Jésus raconte
une parabole, c’est toujours pour nous édifier. Et là, j’avoue qu’il m’inquiète
davantage qu’il ne m’édifie. Ai-je envie que Dieu soit comme ce roi ? Oui,
si je suis le petit exploité, celui que personne n’écoute. Non, si je me rends
compte que je pourrais quelquefois être comme cet homme qui a du mal à remettre
les dettes aux autres. Je sais qu’il y a des personnes que je n’aime
pas et que j’ai donc du mal à pardonner. Je connais mes limites. J’ai beau
savoir l’immense amour de Dieu pour moi, j’ai beau savoir sa miséricorde sans
limite, je sais que je ne suis pas toujours à la hauteur ni de cet amour, ni de
cette miséricorde. Suis-je donc d’avance condamné ?
La parabole a été racontée par Jésus en
réponse à une question sur le pardon : Lorsque
mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui
pardonner ? La réponse de Jésus est sans appel : il faut
toujours pardonner sous peine d’être traité par Dieu comme cet homme à qui
une grande somme a été remise et qui se montre incapable de remettre une
peccadille. La justice de Dieu est proportionnelle à notre propre justice. Nous
aurons toujours plus à nous faire pardonner par Dieu que ce que les hommes
auraient à se faire pardonner par nous. Si nous voulons être pardonnés, nous
devons pardonner. Dieu nous pardonne parce qu’il nous aime ; nous devons
pardonner, non parce que nous aimons, mais parce que nous sommes aimés
infiniment. L’amour que Dieu nous porte doit rejaillir en pardon pour les
autres ou il n’y aura pas de place pour nous dans le Royaume. La miséricorde
que Dieu nous accorde doit rejaillir sur les autres ou il n’y aura pas de place
pour nous dans le Royaume. Rappelons-nous les paroles du Sage de la Première
Alliance : Si un homme nourrit de la
colère contre un autre homme, comment peut-il demander à Dieu la
guérison ? S’il n’a pas de pitié pour un homme, son semblable, comment
peut-il supplier pour ses péchés à lui ?
Entendant Ben Sirac le Sage, il me vient
alors une question : cet homme de la parabole que nous n’aimons pas
beaucoup, faudra-t-il lui pardonner aussi ? La sentence prononcée laisse
entrevoir une espérance : le maître
le livra au bourreau jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait. Cela
laisse entendre, me semble-t-il, qu’une fois la chose faite et l’argent
remboursé, il faudra bien lui pardonner. La justice n’annule pas le besoin de
pardon. Et le pardon ne suppose pas qu’il faille aimer la personne d’abord.
Mais le pardon donné peut entraîner l’amour à sa suite. N’attendons pas d’aimer
pour pardonner, mais pardonnons pour apprendre à aimer. Si nous vivons de
l’amour que Dieu nous porte, nous apprendrons de lui le pardon. Le psalmiste
nous l’a fait chanter : le Seigneur n’est
pas pour toujours en procès, [il]ne maintient pas sans fin ses reproches, car
il est tendresse et pitié, lent à la
colère et plein d’amour. Apprenons cela de lui, pour vivre avec lui pour
toute éternité. Amen.
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