A lire la première lettre de Jean, nous
pouvons avoir l’impression d’une répétition sans fin autour du verbe aimer. Dimanche
dernier déjà, il y avait une invitation pressente à aimer en acte et en vérité. Et voici que la liturgie de ce
dimanche recommence notre lecture suivie sur ce même commandement : aimons-nous les uns les autres. N’aurait-il
rien de plus à nous dire, Jean, dans son épître ? Ce serait lire les
différents extraits proposés un peu trop vite, sans mesurer vraiment les
progrès qu’ils nous font faire de dimanche en dimanche.
Il faudrait relire les différents extraits
à la suite les uns des autres pour mesurer combien jean nous fait approfondir
cette notion de l’amour. Petit à petit, il nous emmène plus loin, plus profond
dans la compréhension de l’amour véritable. Nous avons découvert
progressivement le lien entre la foi en Dieu et l’amour ; que cet amour que
nous portons à Dieu devait se vérifier dans l’amour des frères ; que notre
propension à pécher n’était pas un obstacle à l’amour que Dieu nous porte et
que Jésus avait livré sa vie pour nous en libérer. Nous avons compris aussi que
notre filiation divine n’était pas une récompense pour plus tard, mais notre
réalité, dès aujourd’hui. Enfin, nous était rappelé l’urgence du devoir d’aimer :
l’amour du prochain n’est pas une option, c’est un devoir impératif ; c’est
la marque du disciple authentique. Voilà pour le chemin parcouru jusqu’à ce
jour. Qu’est-ce que Jean pourrait alors nous dire de plus ?
Il nous dit d’abord que la source de notre
amour n’est à chercher nulle part ailleurs qu’en Dieu : aimons-nous les uns les autres puisque l’amour
vient de Dieu. L’origine de l’amour dont nous devons aimer, c’est Dieu seul.
L’amour n’est donc pas un vague sentiment reposant sur des données sensibles
(la beauté d’une personne, ses qualités ou que sais-je encore !) ; l’amour
que nous portons aux autres est une prolongation de l’amour que Dieu nous
porte. Et en ce sens, il est un amour solide ; en ce sens, il est un amour
pour toujours ; en ce sens, il est un amour qui ne dépend ni de mon
humeur, ni des expériences bonnes ou mauvaises que j’ai pu avoir avec les
autres. Quand bien même j’aurais l’impression qu’aucun humain ne m’aime, je serais
toujours invité à aimer, puisque l’amour
vient de Dieu. Il dépasse largement toutes les limites que je pourrais
mettre à mon amour, parce qu’il m’invite toujours à poser sur les autres le regard
même de Dieu. Portant sur le monde le regard que Dieu lui-même porte, je ne
peux qu’aimer ce monde malgré ses faiblesses, malgré ses zones d’ombre, malgré
ses fragilités. Cet amour qui vient de Dieu est un amour inconditionnel. Dieu n’a
pas attendu que les hommes soient parfaits pour les aimer ; mais peut-être
les aime-t-ils pour qu’ils deviennent parfaits comme lui est parfait. Peut-être nous aime-t-il pour que nous
aimions comme lui aime et qu’enfin notre monde vive en paix, qu’enfin les
hommes partagent une même fraternité.
Jean nous révèle ensuite qu’aimer, c’est
connaître Dieu. Celui qui aime est né de Dieu
et connaît Dieu. Nous avions déjà appris au quatrième dimanche de Pâques
que par amour, Dieu faisait de nous ses enfants. Nous apprenons aujourd’hui
qu’en aimant à notre tour, nous avons la certitude de ne pas nous tromper sur Dieu :
nous le connaissons vraiment. Et il insiste, par la négative, pour être bien
sûr que nous comprenions : Celui qui
n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. Si l’amour que nous
portons aux autres est la marque du disciple (5ème dimanche de
Pâques), l’amour est aussi la marque que nous connaissons Dieu véritablement. Quand
nous faisons les choses par amour, nous ne nous trompons pas sur Dieu, nous ne
nous trompons pas sur ce que Dieu attend de nous. Cela signifie aussi que nous
ne pouvons pas faire le Mal et le revendiquer au nom de Dieu. Si l’amour vient
de Dieu, si l’amour est le signe que je connais Dieu, alors je ne peux pas, en
même temps, revendiquer que je fais le Mal au nom de Dieu. Ce n’est pas le projet
de Dieu que les hommes fassent du Mal ; ce n’est pas le projet de Dieu que
les hommes se fassent la guerre ; ce n’est pas le projet de Dieu que ses
fidèles exterminent ceux qui ne croient pas, ni ceux qui croient autrement. Le projet
de Dieu, c’est que nous nous aimions les uns les autres puisque l’amour vient de Dieu, et que l’amour est le signe que nous connaissons Dieu. Ne rejetons pas
sur Dieu notre capacité à nous laisser entraîner au Mal. Ne répandons pas dans
l’esprit des gens une fausse image de Dieu. Dieu
est amour, ne cesse de nous redire Jean.
Enfin, Jean nous révèle en ce dimanche en quoi consiste l’amour véritable. il
répond à la grande question de beaucoup de nos contemporains : c’est quoi
aimer ? Et la réponse est surprenante : Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés,
et il a envoyé son fils en sacrifice de pardon pour nos péchés. Voilà la
réponse de Jean à la grande question des hommes. Aimer, c’est se laisser aimer
de Dieu, c’est accueillir cet amour premier de Dieu pour nous, et accepter d’être
pardonné par le sacrifice du fils unique. L’amour, ce n’est pas quelque chose à
faire ; l’amour, c’est quelque chose à accueillir. Pour aimer les autres,
accepte que Dieu t’aime le premier et te pardonne tes péchés. Puisque l’amour vient de Dieu, il est un
don offert avant même que nous ne choisissions d’aimer Dieu. Avant même que
nous n’ayons seulement l’idée que nous pourrions aimer Dieu, Dieu nous aime
déjà et nous a déjà pardonné le Mal que nous pouvions faire avant de nous
sentir aimé. Laisse-toi aimer, et tu sauras aimer. Laisse-toi aimer,
gratuitement, totalement. Laisse Dieu être ton Maître en amour et tu dépasseras
le sentimentalisme qui ne te fait aimer que partiellement, imparfaitement. Laisse-toi
aimer de Dieu pour que son amour puisse déborder de toi e toucher tes frères à
travers toi. Laisse-toi aimer de Dieu ; ne sois pas un obstacle à son
amour.
Croyez-vous toujours que nous tournons en
rond en lisant l’épître de Jean ? Jean est le disciple que Jésus aimait ;
il a fait l’expérience de cet amour inconditionnel. Il sait ce que cet amour a
changé dans sa vie et il nous transmet son expérience afin qu’à notre tour,
nous nous laissions aimer pour mieux aimer en retour. Accueillons son
enseignement et nous aimerons mieux parce que nous aurons appris de lui à mieux
nous laisser aimer de Dieu. Amen.
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