Quand les choses changent, quand rien ne
va plus, quand une crise frappe notre existence ou nos institutions, il est bon
et sage d’en revenir au commencement, à ce qui était fondateur, à ce qui
donnait le sens des choses. C’est ce à quoi nous invite Jésus dans l’évangile de
ce dimanche : Au commencement de la
création, voilà ce que Dieu voulait, voilà ce que Dieu a fait…
Au commencement ! C’est bien à cela que renvoie Jésus lorsque les
pharisiens cherchent, une fois de plus, à le piéger. Leur question semble
simple : un homme peut-il renvoyer sa femme ? Un simple oui, ou un
tout aussi simple non, aurait suffi. J’avoue même qu’il nous aurait considérablement
simplifié la tâche à une époque où la question ne se pose plus en termes de
permis / défendu. Mais voilà ! Jésus ne se laisse pas enfermer dans une
discussion morale ; il ne dit pas si l’homme peut ou pas ! Il renvoie
au commencement, à l’œuvre créatrice de Dieu, au projet initial
de Dieu pour l’humanité. Car là seul se trouve la réponse. Autrement dit, ce
que les pharisiens demandent, est-ce que cela correspond au projet d’amour de
Dieu pour l’humanité ?
Ce
commencement, nous l’avons clairement entendu dans la première lecture. L’auteur
du livre de la Genèse rappelle l’intention première de Dieu : créer le
monde, l’humain, à son image et à sa ressemblance. Une humanité plurielle,
homme et femme ; une humanité égale, née de la même chair, pour bien
manifester qu’il n’y a pas de différences de dignité entre les uns et les
autres. Une humanité appelée à entrer en alliance d’amour, à s’unir pour
perpétuer l’œuvre créatrice initiale de Dieu. C’est bien à ce commencement-là
que renvoie Jésus dans l’Evangile. Ce faisant, il nous replace au cœur de
l’alliance primordiale. Car tout ce que nous faisons, tout ce que nous vivons
doit être mesuré à l’aune de cette alliance que Dieu a voulu nouer avec
l’humanité, dès le commencement. L’histoire biblique, qui est aussi l’histoire
de l’humanité, nous prouve combien cette alliance semble difficile à
respecter. La dureté du cœur de l’homme est maintes fois
soulignée. A cette dureté répond sans cesse la générosité du cœur de Dieu. Un
Dieu qui patiente et qui prend pitié ; un Dieu qui reformule son alliance
à l’infini. Un Dieu qui va jusqu’au don de son propre Fils, pour une fois
encore inviter l’homme à vivre de son l’alliance, pour une fois encore faire battre
le cœur de l’homme au rythme du cœur de Dieu.
Au commencement ! Dans la lettre aux Hébreux, l’auteur n’affirme-t-il
pas que le sacrifice de Jésus sur la croix est aussi un de ces commencements
dont Dieu a le secret ? C’est un de ces moments auquel il nous faut
revenir pour vivre de la vie-même de Dieu. La mort-résurrection de Jésus est un
nouveau commencement pour que l’homme se souvienne, pour que l’homme comprenne
qu’il est bien de la famille de Dieu, de la même origine, pour reprendre
l’expression de l’épître aux Hébreux. Dieu et l’homme sont unis à jamais, dans
une même alliance, dans un lien nouveau, si fort que rien ne pourra
le défaire, comme le dira tout à l’heure
la prière eucharistique. Ah, si nous comprenions vraiment la portée de
ce nouveau commencement que le Christ a inauguré pour nous tous ! Ce commencement
porte à son achèvement le commencement originel, parce qu’il va au bout de
l’amour que Dieu nous manifeste. Que pourrait-il faire de plus après cela,
c’est-à-dire après la mort de Jésus en croix, pour qu’enfin nous tenions
notre part dans cette alliance proposée depuis le commencement ? Rien !
Sur la croix, tout est dit, tout est donné, tout est accompli.
Au commencement ! Nous sommes, depuis dimanche dernier, à un
commencement. L’arrivée d’une nouvelle équipe de prêtres, le regroupement
programmé de deux communautés de paroisses, nous oblige à considérer autrement
ce qui pouvait sembler acquis. Quelque chose de neuf surgit et se construit. Je
ne veux pas faire ici la liste de tous les possibles, mais plutôt nous renvoyer
chacun à la seule chose qui compte, à savoir que nous comprenions bien ce que
Dieu attend de nous depuis le commencement. Il est urgent de revenir à ce
commencement, urgent de réaliser la famille qu’il nous demande de
construire ! Je crois sincèrement que là réside le secret d’une communauté
réussie : dans l’adéquation entre ce que nous vivons et ce que Dieu attend
de nous. Et cela ne repose pas d’abord sur ce que l’autre fait ou ne fait pas
pour moi, mais dans ce que je vis avec Dieu. Si nous sommes un peu perdus, si
nous sommes quelquefois découragés, si l’envie nous prend de rester chez nous,
souvenons-nous de ce commencement qu’il y a eu entre Dieu et nous.
Souvenons-nous de cette histoire d’amour unique commencée au jour de notre
baptême, sans cesse recommencée dans les pardons reçus, sans cesse renforcée
dans le don de l’Eucharistie. Souvenons-nous que si les hommes nous déçoivent,
si l’Eglise semble imparfaite, si le prêtre n’est pas assez ceci ou trop cela,
il y a, au commencement de mon histoire avec Dieu, un amour sans faille et sans
limite. Un amour qui m’est offert, par pure grâce, qui ne me coûte rien, et
auquel je suis invité à répondre. Et si je me perds, et si je m’éloigne, je
sais que je pourrai toujours vivre un nouveau commencement avec le Dieu de Jésus
Christ.
Au
début de ce nouveau commencement, tournons-nous donc vers Dieu pour faire
mémoire du commencement originel ; qu’il soit pour tous la chance d’une
fidélité renouvelée à l’Evangile, d’une fidélité renouvelée à la communauté à
laquelle nous appartenons. N’ayons pas peur des conversions à effectuer ; confions
à Dieu nos craintes et nos difficultés pour qu’il nous aide à les surmonter
avec sa grâce. Osons affirmer qu’avec Dieu, nous pouvons tout, parce qu’il nous
donne la force de son Esprit. Qu’aujourd’hui soit vraiment pour nous un
commencement ! Commencement porteur de promesse. Commencement porteur de
fidélité. Commencement porteur de fécondité. Un commencement avec Dieu, pour
nos frères ! Amen.
(Dessin de M. Leiterer)
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