De quoi parle l’Evangile ? Si je
faisais passer des petits bouts de papier pour demander à chacun d’écrire en un
mot de quoi parle Jésus aujourd’hui, qu’écririez-vous ? Nous parle-t-il du
service ? Nous parle-t-il d’ambition ? Nous parle-t-il de
pouvoir ? Nous parle-t-il d’autre chose ? Aussi surprenant que cela
puisse nous paraître, ce dont il est question dans l’évangile du jour, c’est de
pouvoir et de maîtrise.
Tout commence avec l’ambition de Jacques
et de Jean de siéger l’un à droite et
l’autre à gauche de Jésus, dans sa
gloire. Ils sont cash avec Jésus, même s’ils semblent s’exprimer un peu à
part des autres. Ils savent ce qu’ils veulent et n’ont pas de honte à le dire.
Un peu d’ambition ne peut pas faire de mal, n’est-ce pas ! Leur demande
n’a rien d’exceptionnel dans le monde, comme n’a rien d’exceptionnel la
réaction des dix autres : comment osent-ils demander cela à Jésus ?
Ce n’est pas tant la demande qui leur déplaît que le fait d’avoir oser la
formuler… avant les autres ! Soyons alors réaliste un instant et
reconnaissons-le : la question de Jacques et de Jean nous a tous traversé
l’esprit à un moment ou à un autre de notre vie. Nous avons tous cherché la
reconnaissance, la gloire et la puissance. Nous avons tous une certaine part
d’ambition ; nous avons tous la certitude que ce que l’autre peut faire,
je peux le faire aussi. Et nous avons tous été, comme les autres, surpris de
l’avancement de celui-là ou d’un autre ; nous avons tous estimé qu’on
aurait fait aussi bien, voire mieux, et que si quelqu’un méritait cette place,
c’était nous ! Pour le dire encore autrement, nous avons tous estimé, à un
moment ou à un autre de notre vie, que les autres ne reconnaissaient pas assez
nos mérites, qu’on ne nous remerciait jamais suffisamment. Ou encore :
vous savez, je l’ai fait de bon cœur, mais un merci, ça aurait été bien ! Cela
existe dans le monde des hommes. Cela existe dans l’Eglise aussi. Cela a
existé, cela existe encore, cela existera toujours ! A moins que nous ne
nous mettions vraiment à l’école de Jésus.
Je crains, qu’en la matière, nous ne
méritions le reproche que Jésus fait à ses disciples : ils ne comprennent rien ! Nous le
constatons d’ailleurs dans le dialogue qui s’instaure entre Jésus et les deux frères.
Vous ne savez pas ce que vous demandez.
Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans
lequel je vais être plongé ? Le Nous
le pouvons qui suit est un peu trop rapide pour exprimer leur compréhension
claire de ce que Jésus vient de demander. La coupe dont il parle, c’est bien ce
calice qu’il va boire jusqu’à la lie au moment de sa Passion. Il ne s’agit pas
de boire avec Jésus au banquet éternel, mais de trinquer soi-même, quand c’est
difficile à avaler. L’homme est bien seul dans ces moments-là, comme Jésus sera
seul au moment de son procès. Le baptême dont parle Jésus, ce ne sont pas ces
trois gouttes que l’on verse sur le front d’un enfant, mais bien ce plongeon
dans les eaux de la mort, dans lesquelles l’homme peut se perdre et se noyer si
Jésus ne vient l’en retirer pour le faire revivre avec lui. Ce n’est pas de
plaisir que parle Jésus en réponse à la question des deux frères ; c’est
de risque. Il les invite à risquer avec lui, pour lui. Et cela sera accordé d’avance
à Jacques et Jean, sans pour autant qu’ils aient l’assurance de siéger à la
droite et à la gauche de Jésus. La coupe
que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans
lequel je vais être plongé. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est
pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. Voilà
une occasion de se taire qui est perdue, définitivement !
Face à cette attitude tout humaine de
jouer des coudes, Jésus indique alors une autre voie, le chemin du service.
Attention, il ne s’agit pas là simplement de savoir rendre service, de temps en
temps, pour faire plaisir, ou pour être reconnu dans ses compétences. Non, non,
il s’agit de bien plus. Il s’agit d’un art de vivre, d’une tournure
particulière de l’esprit. Cela s’apparente au devoir d’état. Je fais ce que je
dois faire parce que je peux le faire et que je sais le faire. Sans aucune
arrière-pensée ; sans rechercher aucune récompense, aucune
reconnaissance ! Exercer le métier de disciple du Christ, c’est être
serviteur à temps plein. Et celui qui
veut être le premier sera l’esclave de tous. Mais cette place-là, rassurez-vous,
comme personne n’en veut spontanément, elle a été prise par Jésus, une fois
pour toutes. C’est ce qui fait de lui la seule tête de l’Eglise, le seul chef
possible. Ce que Jésus propose, ce n’est pas de jouer au serviteur ou à la
servante ; ce qu’il propose, ce n’est pas d’être plus gentil que les
autres en rendant plus service que les autres ; ce que Jésus propose,
c’est un état de vie, une tournure d’esprit qui fait de nous les serviteurs des
autres. C’est un art de vivre qui place l’autre toujours avant moi. C’est un
art de vivre qui n’attend pas de médaille, ni de merci, mais qui ouvre à la
gloire… du Royaume ! Jésus ne nous prive pas d’ambition ; il nous dit
la voie meilleure pour accomplir notre ambition : Celui qui veut devenir grand parmi vous (ça c’est l’ambition
légitime), sera votre serviteur (ça
c’est la voie à suivre). Il n’y en a pas d’autre, parce que Jésus lui-même
emprunte cette même voie : Le Fils
de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie
en rançon pour la multitude. Nous ne serons jamais plus grand que
Jésus ; nous ne pourrons donc emprunter d’autre voie que celle qu’il a
lui-même emprunté. Avez-vous jamais entendu, au moment de la lecture de la
Passion, quelqu’un dire Merci à Jésus pour son sacrifice ? Vous pouvez
relire les quatre évangiles : vous n’en trouverez pas ! Vous y
trouverez par contre moqueries, insultes et crachats. Rien de plus ! Rien
de joyeux ! Rien d’encourageant !
La voie du service, voilà l’enseignement
de Jésus quand il nous parle de pouvoir. Il ne s’agit pas de spiritualiser les
choses, en disant que l’autorité, dans l’Eglise, c’est un
service ! Il s’agit d’être conscient qu’il nous faut sans cesse nous
convertir à Jésus, nous placer à sa suite, pour vivre en serviteur de Dieu et
des frères. Ce n’est pas temporaire : le temps de mon mandat à l’EAP, le
temps de mon passage à la chorale, le temps que je peux rendre service comme
sacristain… ou que sais-je encore ! Non, c’est définitivement un style de
vie, une attitude profonde de chaque instant, en tout ce que je fais, en tout
ce que je vis, vis-à-vis de quiconque traverse ma vie. La récompense ne nous
viendra pas des hommes, mais de Dieu seul. Quand nous le verrons face-à-face.
Amen.
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