Dans un monde de l’image comme
celui que nous connaissons, la parole peut sembler avoir perdu de sa force. Ce que
nous voyons prend plus d’importance que ce que l’on nous dit. Pourtant la
parole garde toute sa valeur ; elle est même nécessaire pour ne pas se
méprendre sur l’image, sur ce que nous voyons ou croyons avoir vu. Une agence publicitaire,
travaillant sur le rôle de la presse, l’a bien compris et démontré en montant
différemment les mêmes images : dans un cas, ces images racontaient l’histoire
de soldats européens qui attaquaient un village du Moyen-Orient entrainant
en représailles une explosion ; dans la seconde version, ces mêmes images
montraient une explosion entraînant une intervention de soldats européens pour
protéger les populations du Moyen-Orient. Sans commentaire, ces images en tout
point identiques, disent deux histoires différentes. La parole et le témoignage
direct restent indispensables pour nous permettre de bien comprendre. C’est ce
que nous disent les lectures de ce dimanche.
Relisez le passage du Livre de
Néhémie. Nous pouvons être impressionnés par cette image du peuple rassemblé au
retour d’exil pour écouter la Loi retrouvée. Peut-être sommes-nous même édifiés
de constater à quel point la Parole de Dieu peut transformer une vie,
bouleverser un cœur ! Mais pourquoi cette page du livre de Néhémie
résonne-t-elle plus souvent comme une belle histoire que comme la
réalité ? Aurions-nous perdu le sens de cette Parole ? Avons-nous
trop d’idoles pour pouvoir entendre encore ce Dieu qui nous parle ? Lorsque
Esdras travaille à Jérusalem, le peuple de Dieu est une nation à reconstruire.
Quelques cent-cinquante années auparavant, il avait été vaincu militairement et
déporté. Il ne restait rien de la grandeur du royaume de David et de Salomon.
Il ne restait pas pierre sur pierre de Jérusalem ou du Temple. Pour tous ceux
qui essayèrent de comprendre cet événement douloureux, il devenait clair que le
rejet de Dieu par le peuple et le rejet de sa Parole étaient à l’origine de
cette catastrophe. Maintenant que le peuple était de retour sur sa terre, la
terre promise jadis à leurs Pères par Dieu, il devenait nécessaire d’inscrire
cette Parole au cœur de la vie du peuple. La célébration à laquelle nous
assistons est ce moment où le peuple manifeste sa joie de vivre sous le règne
de cette Parole qui tant de fois, dans le passé, l’avait libéré de ses
esclavages. Après l’exil, un nouveau temps commençait : il devait être
marqué par cette Parole et par l’engagement clair à en vivre.
La proclamation de ce texte de
Néhémie nous provoque aujourd’hui à réfléchir sur notre propre rapport à la
Parole de Dieu, sur notre attachement au livre de la Bible. Nous savons que
Dieu a parlé à son peuple dans le passé. Mais sommes-nous bien conscients qu’il
veut encore nous parler aujourd’hui ? Ce vieux livre qu’est la Bible n’est
pas un livre du temps jadis ; il est une Parole pour aujourd’hui ; il
est une Parole qui nous ouvre l’avenir ; il est une Parole pour tous les
temps. Fréquenter cette Parole, en dehors du dimanche matin, lors de la messe,
est demandé à chacun de nous. Comment pouvons-nous marcher à la suite du
Christ, à la rencontre de Dieu, si nous ne l’entendons plus
quotidiennement ? Je ne doute pas que nos vies soient bien remplies ;
je ne doute pas que nos activités multiples nous prennent un temps
considérable. Il y a tant de choses à faire. Mais il y a aussi beaucoup
d’inutile dans une journée, de temps perdu. Pourquoi ne pas l’utiliser à
l’écoute de cette Parole ? Il ne s’agit pas d’y consacrer des
heures : mais juste d’en lire un passage, deux-trois phrases ; les
textes que l’Eglise propose à notre méditation chaque jour. Faire l’effort pour
cela. Nous avons tous une bible : est-elle autre chose qu’un livre parmi
d’autres sur les rayons poussiéreux de nos bibliothèques ?
Il y en a pour qui la Bible
est un instrument de travail : prêtres, diacres, théologiens, mais aussi
catéchistes, animateurs liturgiques. Savons-nous encore goûter cette Parole
gratuitement, sans qu’elle ait un lien immédiat avec ce que nous devons
préparer dans le cadre de nos engagements ecclésiaux ? A force d’approcher
les textes bibliques, sommes-nous encore bouleversés par cette Parole de Vie et
par le souffle qu’elle vient donner à nos existences ? Lorsque le peuple
entend la Parole de Dieu et les explications d’Esdras, il pleure tant il est
touché par ce qui est dit. Quand vous écoutez de nouveaux convertis, ils vous
disent souvent avoir été bouleversés par une Parole de Dieu. Lors de moment de
retraite, j’ai moi-même fait l’expérience que la parole du prédicateur
s’adressait à moi, dans ce que je vivais. Ils sont vraiment forts, ces
moments-là. Mais il y a aussi les moments où cette Parole semble ne plus nous
toucher. Alors vient le découragement, souvent suivi de l’abandon. C’est là qu’il
nous faut réentendre Néhémie et les acclamations de ce peuple qui a connu le
pire. C’est là qu’il faut entendre à nouveau le passage du prophète Isaïe lu
par Jésus à la synagogue de Nazareth. C’est là qu’il faut entendre Jésus nous
redire : Aujourd’hui s’accomplit ce
passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. Aujourd’hui est le jour de
votre salut.
J’en suis convaincu : il
nous faut redécouvrir toute la force de ces paroles, toute l’actualité de ces
textes bibliques. Ils sont Parole de Dieu pour nous aujourd’hui. Ils sont
capables de donner sens à notre vie, de répondre à tous nos pourquoi. Selon le
mot de Mgr Elchinger, la Bible, ce n’est
pas de la tisane pieuse à boire le soir au coin du feu : c’est de la
dynamite ! La Parole de Dieu, entendue et vécue, fait éclater nos
étroitesses d’esprit ; elle renverse les murs qui nous séparent ;
elle nous fait vivre notre vie en grand. N’ayons pas peur d’ouvrir ce
livre ; n’ayons pas peur de nous laisser transformer par cette Parole.
Nous avons tout à y gagner. Laissons-nous pénétrer de cette Parole ;
laissons-nous entraîner à sa suite ! AMEN.