En
entendant aujourd’hui la version de Luc du texte des béatitudes, je me mets
soudain à préférer celle de Matthieu que nous entendons chaque année à la
Toussaint. Car Matthieu écrit son texte dans une perspective plus eschatologique
que Luc ; il vise davantage les fins dernières alors que Luc, avec ses
« maintenant » quatre fois répétés, nous plonge dans notre quotidien,
dans l’aujourd’hui de notre existence. Reconnaissons-le : le texte de Luc
devient ainsi plus difficile à écouter : nous n’avons pas vraiment faim
maintenant, nous ne sommes pas vraiment pauvres maintenant ! Pour bien
comprendre ce que Jésus veut nous dire, et à quoi il nous invite, il faut nous
débarrasser alors de deux idées reçues et nous souvenir du projet de Dieu pour
chacun de nous.
Première idée reçue dont il faut nous
débarrasser : Dieu ne promet qu’un bonheur pour l’au-delà. Autrement
dit : souffrez aujourd’hui, vous serez heureux demain. C’est la pire des
choses qu’un prédicateur puisse vous dire. C’est la plus grande hérésie qu’il
faut combattre. Le bonheur que Dieu nous promet est un bonheur pour
aujourd’hui, ici et maintenant. S’il est vrai que notre vie sur terre engage
notre vie par-delà la mort, elle n’en est pas le négatif ou le contraire. Dieu
promet un bonheur intégral, qui consiste à aimer et être aimé, véritablement. Être
aimé non pour ce que l’on a, mais pour ce que l’on est : fils et fille de
Dieu, frères et sœurs en Jésus Christ. Et ce bonheur nous est offert dès que
nous marchons à sa suite, sur le chemin de l’amour de Dieu et de nos frères.
Deuxième idée reçue dont il faut nous
débarrasser : pour entrer dans le Royaume, il vaut mieux être pauvre et
mal-foutu que riche et bien portant ! Cette affirmation aussi, vous pouvez
la ranger au rayon des stupidités. Car nulle part, il n’a été prouvé qu’un
pauvre avait plus de chance d’entrer au Royaume parce qu’il est
pauvre ! La pauvreté, quand elle remplit l’homme de souci et de cupidité,
le rend aussi inapte au Royaume que le riche plein de lui, amassant des trésors
à en perdre la raison. Que tu sois riche ou pauvre, tu peux suivre la route que
Dieu te propose, si tu sais être ouvert, vide de toi-même, vide de tout
obstacle à la présence de Dieu. Il faut savoir accueillir et écouter celui qui
parle au cœur. Il faut faire confiance à celui qui appelle à vivre pour lui et
pour les autres. C’est bien le sens de la prophétie de Jérémie et du psaume
premier que la liturgie nous a donné de méditer. Celui qui se range du côté de
Dieu, qui écoute sa parole et la met en pratique, entre dans le bonheur
véritable : Béni soit l’homme qui
met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance. Il sera comme
un arbre, planté près des eaux, qui pousse, vers le courant, ses racines.
Et là, nous touchons du doigt le projet de
Dieu : que l’homme vive libre et heureux. Le vrai bonheur, celui qui est
annoncé dans toute l’Ecriture et que Jésus proclame à son tour, c’est d’être
aimé et être capable d’aimer. C’est possible à celui qui sait s’abandonner à
Dieu ; c’est possible à celui qui ne se laisse envahir par rien d’autre
que la Parole et l’Amour de Dieu ; c’est possible dès aujourd’hui. Les
béatitudes, qu’elles soient de Matthieu ou de Luc, ne sont pas des
prescriptions à réaliser, mais le portrait de celui qui se met à l’école du
Christ ressuscité. Seul le vrai disciple se sent solidaire de tous ; seul
le vrai disciple peut connaître la joie profonde qu’il y a donner, y compris sa
propre vie, pour que les autres puissent vivre mieux ; seul le vrai
disciple est compatissant. Le Christ nous a montré le chemin en donnant sa vie
par amour pour les hommes. Cet acte de salut nous a ouvert une voie vers la
vraie vie. Nous pouvons placer notre confiance en Christ, non seulement pour la
vie présente, mais aussi pour la vie qui est promise à tous ceux qui œuvrent avec
lui pour un monde meilleur.
A travers l’évangile des béatitudes, le
Christ nous invite à ne pas nous tromper de vie, à ne pas nous tromper de
bonheur. La vraie vie, c’est celle qui se donne ; le vrai bonheur, c’est
celui qui se partage. Dès maintenant, chaque jour et pour toujours. AMEN.
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