Luc, l’auteur de l’Evangile et des Actes
des Apôtres entendus aujourd’hui, rapportant largement l’événement de l’Ascension
sans que ses textes posent de difficultés majeures de compréhension, permettez
que je vous introduise au sens de cette solennité à partir de la prière de
l’Eglise.
Commençons par la prière
d’ouverture de cette célébration. Elle nous faisait prier ainsi : Dieu qui élève le Christ au-dessus de tout,
ouvre-nous à la joie et à l’action de grâce, car l’Ascension de ton Fils est
déjà notre victoire. Nous sommes les membres de son corps, il nous a précédés
dans la gloire auprès de toi, et c’est là que nous vivons en espérance. Elle
exprime dans un raccourci saisissant, le mystère que nous célébrons et qui nous
concerne. En effet, l’Ascension célèbre la montée auprès du Père du Christ Jésus
(Luc s’en est fait l’écho) ; mais, à travers elle, nous est donnée l’espérance
de vivre à notre tour ce passage. Toute fête chrétienne nous fait ainsi entrer
dans le mystère du Christ en nous rappelant qu’un jour, nous aurons notre part
à ce mystère.
La fête de l’Ascension est donc la fête du
retour vers le Père. Tout enfant apprend cela au cours du catéchisme. Mais
disons-nous assez aux enfants que nous aussi nous sommes appelés à partager la
gloire de Dieu ? Le Christ monte chez son Père parce qu’il a achevé sa
mission : il était venu sauver les hommes de la mort et du péché ;
c’est chose faite en sa mort et sa résurrection. Nous n’avons plus à craindre
l’ennemi de toujours ; le Christ l’a vaincu pour nous. En lui, nous avons
déjà notre victoire, victoire qu’il nous faut actualiser dans notre quotidien
en refusant tout ce qui conduit au mal. C’est bien ce qui est demandé à chaque
baptisé au moment où il est reconnu comme fils de Dieu. C’est bien ce que nous
redisons chaque année au cours de la nuit de Pâques : Renoncez-vous au mal et à tout ce qui y conduit ? En répondant
par l’affirmative, nous redisons notre volonté de suivre le Christ et de
refuser tout ce qui conduit à la mort.
Ce refus clair a un but : partager la
vie du Christ lui-même. Ici-bas, certes, par une vie humaine conforme à
l’Evangile qui nous est transmis, mais aussi par-delà notre mort, quand nous
serons appelés à vivre définitivement avec Dieu. La vie chrétienne ne se limite
pas, en effet, à un comportement moral irréprochable sur cette terre. La vie
chrétienne est avant tout espérance de connaître un jour Dieu face à face. Ce
n’est pas une utopie ! Ce n’est pas une manière de nous consoler de la
petitesse de nos vies. C’est la réalité ! Et la fête de l’Ascension, en
nous faisant célébrer le retour du Christ vers son Père, nous rappelle que nous
sommes appelés au même bonheur. Avec le Christ, nous entrons aujourd’hui en
espérance dans ce royaume promis. C’est bien le sens de l’oraison de la fête.
Mais elle n’est pas la seule prière
prononcée aujourd’hui. La préface, qui sera chantée en ouverture de la grande
action de grâce, reprend la même idée : en entrant le premier dans le
Royaume, le Christ ne s’évade pas de notre condition humaine, mais il donne aux
membres de son corps l’espérance de le rejoindre un jour. Mais elle souligne aussi que ce
départ n’est pas un abandon de l’humanité. Il ne s’évade pas de la condition humaine
vient rappeler avec force que le Christ est et reste fondamentalement lié à
notre humanité. Cela signifie qu’il nous accompagne encore, mystérieusement
présent au cœur de nos vies. L’Eglise n’a cessé de préciser les modes de
présence du Christ dans les temps qui sont les nôtres. Le Christ continue ainsi
d’agir et d’être présent au monde par l’assemblée de ses fidèles, par sa Parole
proclamée et méditée, par les ministres ordonnés qu’il a appelés, et bien sûr
par le pain et le vin eucharistiques partagés. Quatre signes tangibles de sa
présence et de son action au cœur de notre monde.
Nous pouvons ainsi mieux comprendre
pourquoi les disciples du Ressuscité sont joyeux malgré ce départ. Ils ont la
certitude que toujours ils seront dans la main de Dieu, accompagnés par ce
Christ qu’ils ont suivi et aimé. Nous aussi, nous devons entrer dans cette joie
et, à la suite des premiers croyants, rechercher sa présence à travers les
événements du monde. C’est ce à quoi nous serons invités au moment de la
bénédiction : vous savez qu’il est assis à la droite du
Père ; mais cherchez-le, trouvez-le aussi près de vous, jusqu’à la fin,
comme il l’a promis.
Cette présence peut nous sembler lointaine, mais elle est réelle. Elle sera
comme réactivée dans quelques jours lorsque nous célébrerons dans la même joie
le don de l’Esprit Saint, autre signe de la présence du Christ à nos côtés.
Alors nous serons en mesure de comprendre en totalité le mystère unique que
nous ne cessons de célébrer depuis quarante jours et que nous célébrons chaque
dimanche : celui de notre salut, obtenu en la mort et la résurrection du
Christ.
Salut pour aujourd’hui, car dès à présent
le disciple véritable du Christ peut faire le choix de renoncer au mal ;
salut pour demain, car en sa mort/résurrection et en son ascension, le Christ
nous ouvre le chemin de la vie en plénitude aux côtés de notre Dieu. Oui,
réjouissons-nous, soyons dans l’allégresse : le Christ monte vers son Père
et nous emmène déjà, en espérance, goûter la joie du Royaume. AMEN.
(Dessin de M. LEITERER)