Après le côté merveilleux de cette nuit,
redevenons sérieux, voulez-vous ! Nous avons chanté et célébré Dieu qui se
fait homme en Jésus Christ ; nous avons vu la crèche, nous avons entendu
le message de l’ange. Et maintenant ? Maintenant, il faut nous rendre à
l’évidence : quand Dieu se fait homme, il ne joue pas à l’homme, il le
devient, réellement.
Un instant, nous aurions pu croire à une
mauvaise blague. Après tout, les choses se passaient dans l’Empire romain. Et
tout le monde sait que les dieux romains, comme les dieux grecs qu’ils imitent,
jouent avec les hommes. De temps à autre, l’un d’eux vient sur terre, plus ou
moins déguisé, s’en va séduire qui une jeune fille, qui un jeune homme. Une
blague céleste, vous dis-je ! Mais aucun d’eux n’est allé jusqu’à se faire
homme réellement. Or le Dieu qui s’est révélé à Abraham, Moïse, David et à tous
les prophètes, a choisi, pour sauver l’homme, de se faire homme réellement. Le
Verbe s’est fait chair (c.h.a.i.r et non pas c.h.e.r - il serait hors de prix !), il a habité parmi nous,
affirme le prologue de l’Evangile de Jean. Ce n’est pas une élucubration
philosophique, c’est le mystère que Jean l’Apôtre a saisi en côtoyant Jésus
jour après jour, jusqu’à la croix, et il témoigne de cela dans son Evangile.
C’est tellement évident pour lui, c’est tellement important pour lui, qu’il va
transmettre ce qu’il a vu, ce qu’il a compris. Ce n’est pas de la théologie de
salon ; c’est du vécu : Nous avons vu sa gloire. Ce prologue
vient comme résumer et annoncer tout ce qui est contenu dans son Evangile. Et
cette affirmation de l’incarnation de Dieu en Jésus est centrale, fondamentale
pour Jean. Il va nous montrer que Dieu ne joue pas l’homme, Dieu ne joue pas
avec les hommes ; Dieu vient à leur rencontre, Dieu vient assumer tout ce
qui fait leur vie, de la naissance à la mort, pour donner à ces vies humaines
leur pleine stature. Quand Dieu se fait homme, l’homme lui-même ne peut plus
jouer à être homme ; l’homme lui-même doit être homme, pleinement. Il doit
assumer la grandeur de son existence puisque Dieu la lui a rendue en se faisant
tout petit. Il doit assumer la sainteté de son existence, puisque Dieu lui-même
a embrassé l’humanité, faisant d’elle sa promise, son épouse. Voilà l’humanité
qui retrouve la sainteté qui fut sienne, au commencement.
Si Dieu ne joue pas avec les hommes, les
hommes ne doivent pas jouer avec Dieu. Cela ne peut pas être un coup je t’aime,
un coup je ne t’aime plus ; un coup je te suis, un coup je te
laisse ; un coup je crois en toi, un coup je te tourne le dos. Il est
venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Entendez bien ce qui est
dit : il est venu chez lui. Dieu n’est pas un étranger en terre
humaine ; les hommes ne peuvent pas lui être hostiles à moins d’être
ingrats. Dieu est chez lui chez les hommes puisque le monde était venu par
lui à l’existence. Sans Dieu, pas de monde ; sans Dieu, pas
d’hommes ! Quand les hommes jouent avec Dieu, Dieu n’a plus de place
reconnue dans ce monde qu’il a créé pour les hommes. Quand les hommes jouent
avec Dieu, Dieu devient un étranger sur sa propre terre, et n’y est pas le
bienvenu. Quand les hommes jouent avec Dieu, quand ils jouent à se prendre pour
Dieu, tout va mal, non pour Dieu, mais pour les hommes eux-mêmes. C’est pour
cela d’ailleurs que Dieu se fait homme, pour redonner de la grandeur à la vie
des hommes, pour que leurs vies étriquées, abîmées, noyées dans les ténèbres,
retrouvent leur splendeur première. A ceux qui l’ont reçu, il a donné de
pouvoir devenir enfants de Dieu. Dieu est tellement sérieux quand il se fait
homme qu’il permet aux hommes qui l’accueillent de devenir comme Lui, de
devenir ses fils. C’est dire si Dieu ne joue pas avec les hommes ; c’est
dire que Dieu ne joue pas à être homme.
Quand Dieu vient chez les hommes, il ne
joue pas à l’homme, il ne joue pas avec les hommes. Ce mystère que nous avons
célébré cette nuit est un fait et il nous faudra faire avec. Nous ne sommes pas
obligés d’y croire ; mais n’y croyant pas, n’accusons pas Dieu de tous nos
maux, de tous nos travers, de toutes nos lâchetés, de toutes nos turpitudes.
Dieu est venu chez les siens ; Dieu ne cesse de venir chez lui.
Continuerons de jouer avec lui, continuerons de nous jouer de Lui, de faire
comme si cela ne changeait rien, de faire comme si cela ne nous concernait
pas ? Dieu est venu chez lui ; et toi, où viens-tu ? Où
vas-tu ? Permettras-tu à la rencontre de se faire et au monde à devenir
meilleur ? Permettras-tu à Dieu d’être Dieu-fait-homme, Dieu qui s’invite
dans ta vie ? La réponse est tienne, la réponse est nôtre. Dieu vient à
nous, sérieusement. Qu’en faisons-nous ? Personne ne peut accueillir Dieu
dans ta vie à ta place. A toi d’être sérieux avec Dieu comme il l’est avec toi.
A toi de dire à Dieu qu’il compte pour toi comme toi tu comptes pour lui. Amen.