C’est curieux comme les événements que
nous vivons influencent notre manière de comprendre les Ecritures, et comment
les Ecritures peuvent influencer notre manière de vivre les événements qui se
présentent à nous. De quoi parlent nos lectures en ce quatrième dimanche de
Carême ? De ténèbres et de lumière, de regard porté sur les hommes ou sur
les événements. N’est-ce pas ce que nous vivons, ce que vivent les hommes dans
le monde entier en ce moment-même ?
Le monde s’est transformé en vaste prison,
tout le monde étant reclus chez lui à cause d’une chose invisible,
microscopique dont personne n’a voulu voir le danger au départ. Tant que c’était
loin, en Chine, cela ne nous concernait pas. Les premiers avions ont pu atterrir
et leurs passagers débarquer sans précaution particulière. Tous, nous n’avons
voulu voir là qu’une grippe un peu plus virulente, encouragé en cela par des
discours qu’on peut qualifier aujourd’hui de mensongers. L’homme et sa
toute-puissance ne saurait être remis en cause par cette « chose ». Ceux
à qui il appartient d’observer, de veiller, ont mal regardé, mal jugé et nous
voici tous prisonniers, à cause de leur courte vue. J’ai bien conscience, en
écrivant ces mots, que je porte là un regard particulier, très humain, sur les
événements qui nous bouleversent tous. Que voulez-vous : marqué par les
mensonges successifs de ceux qui nous ont gouvernés lors d’autres crises (je pense
ici aux premiers attentats et cette assurance donnée par le chef d’Etat d’alors
que rien ne changerait à notre manière de vivre alors que tout a changé –
venez à Strasbourg en décembre et vous verrez), je ne peux qu’être en colère
aujourd’hui. Comment n’avons-nous pas pu voir la catastrophe qui s’annonçait ?
Comment tant d’experts rédigeant de prodigieux rapports chaque année ont-ils pu
nous aveugler et faire prendre le risque de diminuer nos stocks de masques,
sous prétexte que la bienheureuse mondialisation saurait nous fournir en temps
utile ? Nous voyons tous aujourd’hui ce qu’il en est ! Comment encore
ceux qui gouvernent les différents pays d’un même continent peuvent-ils continuer
à prendre des décisions individuelles et nationales plutôt que de s’accorder sur
une politique commune ? Est-ce trop demander de regarder ensemble un
problème pour y apporter une solution profitable à tous ? Si gouverner c’est
prévoir, alors tous ceux qui gouvernent dans le monde aujourd’hui ont failli. Oui,
tel est mon regard à hauteur d’homme sur les événements que nous vivons.
Mais je peux regarder les mêmes événements
avec la hauteur qui eut été nécessaire à d’autres. Je peux apprendre de Dieu à
regarder ces événements autrement. Non comme les disciples face à l’aveugle-né
dont ils croisent la route : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents,
pour qu’il soit né aveugle ? Ne spiritualisons pas trop vite. Ce serait
sans nul doute une impasse. La réponse de Jésus est claire : Ni lui, ni
ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se
manifestent en lui. Vous regardez mal les choses, vous regardez mal cet
homme, dit Jésus. Cet homme aveugle peut être une occasion de voir Dieu à l’œuvre.
Parce que Dieu ne peut se contenter de voir le Mal surgir sans rien faire. Il en
est de même pour nous aujourd’hui. Nous pouvons regarder toutes les contraintes
qui s’imposent à nous, cette restriction de notre liberté pour une durée indéterminée,
et nous en plaindre. Mais cela ne revient qu’à rajouter du mal au mal. Nous
pouvons aussi apprendre de Dieu un regard nouveau et ouvrir les yeux sur notre
monde, sur ces dysfonctionnements et décider de vivre autrement,
collectivement, de sorte que chacun soit pris en compte. Nous pouvons, comme
beaucoup le font heureusement déjà, réapprendre la solidarité avec les plus
faibles que nous ne voyions plus avant. Nous pouvons réinventer notre monde,
nos relations, pour qu’elles soient davantage conformes à cette fraternité que Dieu
nous demande de vivre. Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres,
elles ne produisent rien de bon, avertit Paul dans sa lettre aux Ephésiens.
Mais dit-il aussi, conduisez-vous comme des enfants de lumière.
Puisque nous croyons en Dieu, puisque nous
sommes enfants de Dieu par le baptême, prenons notre part dans cette lutte
contre les ténèbres qui envahissent notre monde. Acceptons cette claustration
nécessaire pour résister au mal invisible qui se répand, entrainant la mort
pour quelques-uns de nos frères et sœurs en humanité. Et redoublons d’effort
dans la prière ; redoublons d’effort dans la solidarité. Redoublons d’effort
en humanité pour que jaillisse cette lumière qui nous vient déjà du Ressuscité.
Amen.
(Arcabas, Détail d'un vitrail de l'église ND des Neiges, Alpes d'Huez, Jésus guérit l'aveugle de Bethsaïde)
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