Nous
poursuivons notre chemin de Carême en compagnie d’Abram, de Pierre, Jacques,
Jean et de Paul. Malgré le recul du temps, nous pouvons, à la lecture d’un bout
de leur histoire, nous interroger sur ce qui les a motivés à changer quelque
chose à leur manière de vivre. Quelle mouche les a piqués ?
Oui,
quelle mouche a bien pu piquer notre père Abram ? Voilà un paisible
vieillard qui s’élance sur les routes du monde à la recherche d’un pays qu’un
inconnu lui indique. Quelqu’un qu’il ne voit même pas, qu’il entend tout
juste ! Ne serait-ce pas un effet de sa vieillesse que d’entendre des
voix ? Abram quitte son pays, malgré son grand âge, malgré les dangers de
la route. Il emmène les siens à l’aventure. Non qu’il ait le goût du
risque : mais quelqu’un lui a parlé. Dieu lui a parlé. Il lui a fait une
promesse et Abram y croit. Il a foi en la parole donnée ; il a foi en ce
Dieu qui se révèle à lui dans sa vieillesse, à l’âge où d’autres n’aspirent
qu’à une bonne retraite, qu’à un bon repos bien mérité. Cette parole ne
promettait qu’une chose : la bénédiction de Dieu pour toujours à lui et à
sa descendance. Telle est la promesse qui fait bouger Abram : Je te
bénirai ! Je voudrai ton bien et je serai avec toi. Abram avait
compris qu’en cette promesse se trouvait son avenir et celui d’une multitude.
Abram avait compris que Dieu appelle l’homme au bonheur ; et si l’homme
voulait être heureux, il lui fallait suivre ; il lui fallait se laisser
surprendre par Dieu et son projet. Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui
avait dit, et Loth s’en alla avec lui. Quand on a fait une découverte comme
celle d’Abram, on la partage, et on entraîne les autres sur le même chemin.
Comment être heureux sans les autres ?
Des
siècles plus tard, quelle mouche a bien pu piquer Pierre, Jacques et
Jean ? Il y a quelques jours, Jésus leur annonçait sa mort
prochaine ; Pierre s’était vertement fait remettre à sa place, et
pourtant, ils continuent encore de suivre ce chevelu de Galilée !
Pierre, Jacques et Jean ont sans doute fait, avec Jésus, la même expérience
qu’Abram avait faite avec Dieu. Ils ont découvert en Jésus le Messie, le Fils
de Dieu, celui qui vient rendre aux hommes leur joie et leur espérance. Ils ont
compris, qu’avec Jésus, ils tenaient le bon bout. Ils ont compris que cet homme
pouvait ouvrir aux hommes de nouveaux chemins, même s’ils ne sont pas encore
prêts à le suivre partout. Il faudra la mort en croix et l’annonce de la
résurrection pour que leur confiance en Dieu les pousse sur les routes dire aux
hommes l’amour qu’il porte à chacun. L’épisode de la Transfiguration a dû leur
réchauffer le cœur après l’annonce de la mort de Jésus. Pendant un trop court
instant, ils ont vu, par avance, la gloire qui est sienne. Pendant un trop
court instant, ils ont approché tout le mystère de ce Fils de Dieu qui
s’entretient avec Moïse et Elie. Pendant un trop court instant, ils ont entendu
la voix du Père confirmer leur intuition : ils ne se sont pas trompés sur
Jésus. Ils n’ont sans doute pas encore compris par quel chemin il offrirait le
pardon et le salut à l’humanité ; mais ils ont reçu la force, à travers
cette vision, de bien interpréter les événements à venir. Ils ont eu un
avant-goût de sa victoire et de sa gloire, mais Jésus leur donna cet ordre :
Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit
ressuscité d’entre les morts. Ce qu’ils viennent de vivre, ils ne pourront
le comprendre vraiment qu’après les événements douloureux qu’ils doivent
vivre ! La surprise de Dieu passe quelquefois par des moments difficiles,
par la nuit de la foi. C’est au bout du chemin que se trouve le Christ,
victorieux de toutes nos peurs. Il faut le laisser aller son chemin ; il
faudra le suivre sur ce chemin. Au bout, il y a la vie en plénitude.
Quelques
temps après, quelle mouche a bien pu piquer Paul ? N’était-il pas plus
tranquille quand il pourchassait les chrétiens qui mettaient en danger la foi
de ses ancêtres ? N’aurait-il pas mieux fait de se cacher lorsqu’il a
décidé de suivre le Christ, pour vivre une foi tranquille ? Comment
aurait-il pu ? Paul a découvert que, en Jésus, mort et ressuscité, Dieu
offrait son salut à tous les hommes. Il a cette certitude chevillée au
cœur : le salut n’est pas le fruit du hasard, ni le fruit de nos
mérites : il est don gratuit de Dieu. Quelle surprise pour ce pharisien
qui croyait que seule l’application scrupuleuse de la loi pouvait sauver !
Il a découvert, en Jésus, l’immense amour de Dieu pour chacune de ces
créatures. Il a découvert que, malgré le péché qui marquait la vie des hommes,
Dieu avait accordé son pardon et offrait sa vie à qui voulait bien reconnaître
que Jésus a réalisé ce salut après l’avoir annoncé dans sa prédication. Oui, Dieu
nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte. Voilà ce qui pousse
Paul à accepter même la prison.
Abram,
Pierre, Jacques, Jean et Paul : des destins extraordinaires,
peut-être ! Mais surtout des hommes qui ont su se laisser surprendre par
Dieu ; des hommes qui se sont laissé déranger dans leurs convictions ;
des hommes qui ont accepté de suivre Dieu sur ses chemins et qui n’ont pas
cherché à faire suivre à Dieu leur chemin. Des hommes qui ont eu le courage de
partir, voire de repartir à zéro pour vivre ce bonheur que Dieu propose à
chacun de nous. A leur suite, nous pouvons marcher sur les chemins nouveaux que
Dieu nous ouvre. A la suite du Christ, nous pouvons vaincre la mort et le
péché. Il faut nous mettre en route ; il nous faut être ouvert aux appels
de Dieu ! Il nous faut accepter de laisser Dieu nous surprendre encore
! Durant ce Carême, ayons le courage de partir, ayons le courage de tout
risquer, sachant que nous avons déjà notre victoire, grâce au Christ, par pur
amour, par pure grâce. Amen.
(Tableau d'Arcabas, Le messager)
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