Un
ami malade, Jésus qui tarde et c’est le drame : l’ami malade meurt. Mais
pourquoi donc Jésus a-t-il pris le chemin des écoliers pour se rendre au chevet
de l’homme souffrant qui avait besoin de lui. Lui qui en a guéri tant d’autres
qu’il ne connaissait pas, pourquoi a-t-il traîné lorsque, pour une fois, il
pouvait faire du bien à quelqu’un qui lui était proche ? A priori,
l’attitude de Jésus peut surprendre, voire choquer. Cette attitude n’est pas
digne de celui que l’on connaît comme le chantre de l’amour et de l’attention
due à autrui. Quelque chose ne colle pas. A moins que nous n’ayons mal
compris ; à moins que Jésus veuille nous faire comprendre quelque chose à
travers la mort de Lazare. Pourquoi, en effet laisser mourir un ami et faire
souffrir ses sœurs, s’il n’y avait une révélation à clé ?
A
travers cet épisode de la vie de Jésus, Dieu veut nous apprendre le deuil. Non
pas qu’il prenne plaisir à faire souffrir ceux qui restent, mais parce qu’il
veut nous inviter à vivre de manière positive notre rapport à la mort. Dieu
nous apprend à vivre le deuil par l’attitude même de Jésus devant la mort de
son ami. Il n’est pas froid ou indifférent au malheur qui touche ses proches.
Il pleure même, manifestant ainsi sa proximité avec Marthe et Marie. Mais
surtout, il les invite à voir plus loin. L’on comprend bien, à observer Jésus,
que la mort ne peut pas être la destinée de l’homme. L’homme n’est pas fait
pour mourir, mais pour vivre. C’est cela le vrai plan de Dieu, son véritable
projet d’amour pour chacun de nous. Que nous vivions, et que nous vivions libres
et heureux ! La mort et Dieu n’ont rien à voir ensemble : ce n’est
pas le même monde ; ils n’ont pas les mêmes valeurs. Mais puisque l’homme
est soumis à cette loi de la mort, il faut bien affronter ce qui semble être le
terme de la vie. En laissant mourir son ami avant de se rendre à son chevet,
Jésus se prépare à dire que Dieu est plus grand que la mort même, et que son
projet d’amour pour l’homme n’est pas remis en cause par le départ de nos
proches.
Ton
frère ressuscitera, affirme Jésus à
Marthe, ouvrant ainsi un premier espace pour que l’homme ne se laisse pas
abattre par la mort. Il reprend à son compte ce qu’affirmait déjà le prophète
Ezéchiel à travers la vision des ossements desséchés dont nous avons entendu un
court extrait dans la première lecture. Jésus affirme sa foi en une vie
éternelle, par-delà la mort. Marthe partage cette espérance transmise par les
Anciens du peuple. Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier
jour. Mais en attendant, la souffrance est bien là, et Jésus n’a rien fait
pour l’empêcher. Moi, je suis la résurrection et la vie, poursuit Jésus,
annonçant ainsi qu’en lui les hommes ont accès, dès maintenant, à cette vie en
plénitude. Celui qui croit en lui possède la vie pour toujours. Cette vie lui
est acquise par le sacrifice de la croix. En marchant librement vers sa propre
mort, Jésus va mettre un terme au règne de la mort. Il va la combattre sur son
propre terrain, ouvrant à l’homme l’espace de la liberté, l’espace de la vie en
plénitude. Celui qui reconnaîtra que la mort de Jésus n’est pas un sacrifice
vain et absurde, mais bien l’acte ultime de Dieu pour dire aux hommes son
amour, ceux-là savent que la vie aura toujours le dernier mot. Et comme pour
donner un avant-goût de cette réalité, voilà que Jésus rappelle à la vie
celui-là même qu’il pleurait. La joie devait être grande dans l’entourage de
Marthe et de Marie. Cette joie sera encore plus grande au moment de la
résurrection du Christ lui-même. Cette résurrection de Lazare manifeste
pleinement et ouvertement que la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant !
– vivant pour toujours, vivant à ses
côtés.
Si
le temps du deuil est nécessaire, il est encore plus nécessaire de se plonger
au cœur de la foi chrétienne lorsque la mort nous frappe par la disparition
d’un de nos proches. Nous puiserons à la source de la foi, la certitude que nos
défunts sont bien vivants, que déjà, ils intercèdent pour nous. Nous pouvons
vivre en ayant la certitude d’être sauvé par le Christ, parce que le salut
n’est pas de notre fait, mais du seul fait de Dieu. C’est lui qui,
gratuitement, nous offre la vie. C’est lui qui, gratuitement, nous appelle sans
cesse à vivre, à vivre mieux, à vivre plus grand. Paul l’affirme sans détour
dans l’extrait de la lettre aux Romains que nous avons entendu : Si le
Christ est en vous – ce qui veut dire : si vous avez été baptisés -, le
corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit
–que vous avez reçu au baptême – vous fait vivre, puisque vous être devenus
des justes – par votre baptême. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité
Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ,
d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui
habite en vous. La démonstration est imparable : elle nous rappelle
que par notre baptême, Dieu nous donne son Esprit de vie, et c’est bien cet
Esprit de vie qui nous permettra d’affronter la mort de nos proches et notre
propre mort, avec confiance et espérance. Nul ne peut détruire cet Esprit de
Vie.
En
ces temps difficiles où des familles doivent affronter la mort sans pouvoir
accomplir les rites normalement prescrits, Dieu nous apprend le deuil en nous
invitant à vivre autrement, mais à vivre vraiment dès maintenant, pour vivre
toujours lorsqu’il nous ouvrira la joie de son Royaume. Que ce Carême qui
touche à sa fin soit l’occasion pour chacun de redire à Dieu son envie de
vivre, de vivre éternellement, par lui, avec lui et en lui. AMEN.
(Icône de la Résurrection de Lazare, trouvé sur internet)
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