D'Abraham, le courageux à Jésus, l'audacieux.
Si jamais nous ne l’avions pas encore compris, les lectures de ce jour devraient achever de nous en convaincre : la Bible ne parle que d’une chose : de l’immense amour de Dieu pour nous. Le but de l’humanité, si elle avait besoin d’un but clair dans sa vie, est de découvrir la puissance et la grandeur de cet amour que Dieu lui porte. Ceci fait, elle devra choisir entre courage et audace, entre une attitude d’ami de Dieu et une attitude de Fils de Dieu.
L’extrait du Livre de la Genèse nous raconte la suite de la rencontre entre Abraham et ses visiteurs aux chênes de Mambré. L’annonce de la naissance d’un fils n’était donc pas le seul motif de cette visite. Une autre mission attend ces hommes : voir si la conduite [de Sodome et Gomorrhe] correspond à la clameur venue jusqu’au Seigneur. Quelque chose dysfonctionne là-bas, et il s’agit de comprendre quoi. Il n’est pas dit, à ce moment-là de l’histoire, que Dieu menace de détruire ces villes. Il envoie ces hommes vérifier une rumeur, une clameur. Abraham comprend cependant qu’il se joue quelque chose de plus grand qu’une simple inspection. Remarquez comme sa proximité avec Dieu le rend capable de comprendre la gravité de la situation. Il est le premier à s’approcher de Dieu pour évoquer le pire : Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? Remarquez aussi qu’Abraham n’envisage pas simplement de permettre aux cinquante justes éventuels de quitter la ville ; quelle que soit le motif de la clameur au sujet de Sodome et Gomorrhe, c’est la ville qu’Abraham veut sauver, pas juste les cinquante : Ne pardonneras-tu pas à toute la ville ?
Remarquez aussi le motif utilisé par Abraham pour faire fléchir Dieu : Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, loin de toi d’agir ainsi. Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? Il renvoie Dieu à sa sainteté, il renvoie Dieu à sa miséricorde, il renvoie Dieu à son sens de la justice. Puisqu’il est le Très-Haut, le Très Saint, le Très Miséricordieux, le Très Juste, il ne saurait s’humilier à faire quelque chose qui lui porterait atteinte ! Qui voudrait d’un Dieu qui ne soit pas saint ? Qui voudrait d’un Dieu qui ne soit pas miséricordieux ? Qui voudrait d’un Dieu qui ne soit pas Juste ? Dieu se range aux arguments d’Abraham : Si je trouve cinquante juste dans Sodome, à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. Abraham ne semble pas satisfait de la réponse ; il ose un marchandage courageux avec Dieu : Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq : pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? Il abaisse la limite qu’il avait initialement indiquée, modestement d’abord (peut-être en manquera-t-il cinq !), puis, le courage aidant toujours un peu plus, deux fois par tranche de cinq, et trois fois par tranche de dix, jusqu’à cette ultime réponse de Dieu : Pour dix, je ne détruirai pas. Abraham n’ira pas plus bas ; il estime qu’il a effectué son travail ; il a plaidé, il sait qu’il doit s’arrêter là. Aller plus loin serait manquer de respect à Dieu ; aller plus loin serait manquer de considération pour la Sainteté de Dieu ; aller plus loin serait considérer sans prix la Miséricorde de Dieu, aller plus loin serait déprécier la Justice de Dieu. Abraham ne portera pas atteinte à son amitié avec Dieu. Il savait quand commencer les négociations ; il sait aussi quand les finir.
Il faudra à l’humanité des siècles pour qu’un autre reprenne les négociations et aille là où Abraham n’avait pas osé : Et s’il n’y en avait qu’un, de Juste ? Ce négociateur-là, Dieu lui-même l’a envoyé. C’est Jésus, son Fils, le seul Juste, qui s’est livré pour les pécheurs que nous sommes. Abraham avait achevé à dix ; Jésus se présentera seul devant Dieu, sur la croix, pour le salut de l’humanité entière. Ce que l’ami ne pouvait faire, seul le Fils pouvait l’accomplir. Seul le Fils de Dieu pouvait dire à Dieu : si tu veux sauver l’humanité, prends-moi ! Si tu veux sauver l’humanité, ne sacrifie ni ta Sainteté, ni ta Miséricorde, ni ta Justice, mais sacrifie-moi ! Ecoutez bien ce que dit Paul aux Colossiens : Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix. Un, livré et cloué à la croix pour tous, pour que tous puissent vivre par un. C’est tout le sens du baptême que nous recevons : Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Le courage de l’ami Abraham lui avait permis de sauver Lot et sa famille ; l’audace du Fils Jésus lui a permis de sauver l’humanité entière, pas seulement celle de son époque, mais tous les hommes, à travers le temps et l’histoire, jusqu’à ce que l’Histoire soit pleinement accomplie et que Dieu soit tout en tous.
Devant Dieu, avons-nous pour nos frères et sœurs en humanité le courage d’Abraham ou oserons-nous avoir l’audace de Jésus, l’audace des Fils de Dieu que nous sommes par notre baptême ? Ce serait déjà bien d’avoir le courage d’Abraham et d’oser demander à Dieu ce que nous estimons juste et pour nos frères et sœurs en humanité et pour la sainteté de Dieu. Mais avoir l’audace d’un Fils, c’est croire qu’il n’y a pas de péché assez grand que Dieu ne saurait pardonner, qu’il n’y a rien d’assez fou que Dieu ne saurait réaliser par amour pour les hommes. Avoir l’audace d’un Fils, c’est croire que Dieu peut tout, que sa Miséricorde est inépuisable et que son Amour est infini. Avoir l’audace d’un Fils, c’est croire que nous pouvons tout demander à Dieu et qu’il nous l’accordera. Osons demander à Dieu ; il accordera. Osons chercher auprès de Dieu ; nous trouverons en lui. Osons frapper à sa porte ; il nous ouvrira. Parce que depuis le sacrifice de Jésus sur la croix, quand Dieu regarde les hommes, il voit son Fils, il voit Jésus et son amour pour nous.
L’eucharistie
qui nous rassemble nous fait faire mémoire de ce sacrifice unique de Jésus sur
la croix. La communion au Corps et au Sang du Christ nous unit à Jésus et le
rend présent à notre vie. Laissons-le venir à nous ; laissons-le
transformer notre vie. Et nous serons, comme lui, des Fils audacieux, portant
au cœur le salut de tous les hommes, qu’ils soient puissants ou misérables, croyants
ou non. L’amour que Dieu nous porte, acceptons-le et portons-le à tous. Amen.
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