Jésus, le Messie crucifié.
Mon serviteur réussira, dit le Seigneur. Cette prophétie d’Isaïe, reconnaissons que nous avons du mal, après le récit de la Passion, à y croire. Là, au pied de la croix, l’histoire Jésus semble belle et bien achevée, dramatiquement finie pour toujours. Et ne venons pas dire que, si nous avions assisté jadis à l’événement, que nous aurions misé une seule pièce sur la victoire de Jésus. La seule flagellation donnée par les romains (soit cinquante coups avec un fouet à deux lanières lestées de plomb ou d’os de mouton) a affaibli considérablement le corps de Jésus. Personne n’aurait misé sur sa réussite, et la condamnation à la croix aurait achevé les derniers espoirs.
Lorsque le prophète Isaïe prononce cet oracle, le peuple juif est en déportation à Babylone. Son histoire est finie, son alliance avec Dieu rompue ; ce peuple n’existe plus. Il connaît l’enfer de la désolation. Et c’est là que naît l’espérance d’un Messie qui va rétablir le peuple de Dieu dans ses droits. Mon serviteur réussira, dit le Seigneur. Voilà de quoi redonner espoir ; voilà de quoi réchauffer les cœurs. Le problème, c’est la suite de cet oracle : il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme… méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, … il a été broyé… il a été transpercé. Nous comprenons bien que la multitude avait été consternée en le voyant. Ils attendaient un super héros, un homme fort ; ils n’ont devant les yeux qu’un agneau conduit à l’abattoir. Et aujourd’hui, nous n’avons pas mieux. Jésus, que nous reconnaissons comme Messie, est un Messie crucifié. Nous attendions de lui monts et merveilles ; nous n’avons à contempler qu’un corps torturé, suspendu au bois de la croix, humilié comme jamais.
En ce Vendredi Saint, nous n’aurons que cela à adorer : un corps, mort, défiguré, abandonné. En ce Vendredi Saint, nous n’avons que nos yeux pour pleurer. En ce Vendredi Saint, notre foi en lui est mise au tombeau avec lui. Cette expérience de la désolation est nécessaire ; cette expérience de l’abandon de Dieu est cruciale ; cette expérience que tout est fini et perdu est fondamentale. Ne courrons pas trop vite vers le matin de Pâques ! Ne nous consolons pas trop vite en disant : ce n’est que passager ; dans trois jours, il ressuscitera. Ce serait comme joindre notre voix à ceux qui l’ont insulté sur la croix ; ce serait nier la nécessité de ce moment fondateur : Dieu, en Jésus, meurt sur la croix pour affronter, en notre nom, la mort éternelle. Le combat entre la mort éternelle et la vie éternelle n’a fait que commencer. Nous sommes au temps du silence et du deuil, ce temps si particulier, comme suspendu, dans l’attente de quelque chose dont on ignore tout. C’est le temps nécessaire pour que nous puissions nous interroger : avons-nous eu tort ou raison de croire en ce que Jésus a dit quand il était au milieu de nous ? Avons-nous eu tort ou raison de croire aux signes qu’il a posé et qui nous montrait la puissance de vie qui résidait en lui ? L’oracle d’Isaïe laisse entrevoir une porte de sortie quand il dit : S’il remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. Par suite de ses tourments, il verra la lumière.
Comme au temps d’Isaïe, comme au temps de Jésus, il nous faut attendre dans la foi. Comme au temps d’Isaïe, comme au temps de Jésus, il nous faut apprendre à croire que tout est possible à Dieu, même l’impossible, même l’incroyable. Sans doute avons-nous vu des hommes défaits, démoralisés, reprendre force et courage. Sans doute avons-nous vu des malades retrouver la santé. Sans doute avons-nous vu des hommes lourdement blessés retrouver goût à la vie. Mais un mort revenir de chez les morts : qui l’a vu ? Un corps que la vie avait abandonné, avec certitude, retrouver la vie, qui l’a vu ? La mort n’est pas un mauvais moment à passer dont on se remet. La mort n’est pas un jeu : ni la nôtre, ni celle de Jésus. Elle est une part de notre réalité.
Aujourd’hui, face au corps mort de Jésus,
nous ne pouvons que faire silence et nous interroger : comment avons-nous
pu en venir là ? C’est la question qui revient sans cesse après chaque
drame que connaît notre existence. En relisant les textes de la Première
Alliance, nous pourrons trouver un chemin d’espérance, en attendant que Dieu lui-même
nous redise avec force : Mon serviteur réussira ! Pour l’heure,
mesurons ce que signifie la croix dans notre vie. Mesurons la grandeur de ce
sacrifice. Mesurons le prix que tout humain a aux yeux de Jésus, aux yeux de Dieu.
Et si nous croyons que Jésus est allé à la croix pour nous et pour tous, alors
commençons comme lui à nous aimer et à aimer tous ceux qu’il met sur notre
route. Ce sera notre manière de faire échouer la mort, parce que nous
montrerons ainsi qu’elle n’aura pas réussi à nous entraîner dans le tombeau de
la désespérance. Puisque Jésus est devenu le Messie Crucifié par amour pour
nous, nous pouvons déjà vivre de lui en aimant comme lui. Toujours, et tout le
monde. Amen.
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