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Ce blog voudrait vous permettre de vivre un chemin spirituel au rythme de la liturgie de l'Eglise catholique.

Les méditations s'appuient soit sur les textes bibliques quotidiens, soit sur la prière de l'Eglise.

Puisque nous sommes tous responsables de la foi des autres, n'hésitez pas à laisser vos commentaires.

Nous pourrons ainsi nous enrichir de la réflexion des autres.







samedi 16 août 2025

20ème dimanche ordinaire C - 17 août 2025

 Le Christ, source de conflits ?




 

            Après voir entendu Marie chanter le Magnificat qui rappelle les merveilles que Dieu fait pour son peuple et pour les petits de la terre, voici une parole curieuse de Jésus qui semble bien loin du poème de Marie : Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. Cela ne ressemble pas beaucoup au discours auquel Jésus nous avait habitué. Où sont la paix, l’amour, l’unité et le bonheur tant prêchés ? Sommes-nous seulement sûrs que cette parole vient vraiment de Jésus ?

             Je reconnais que cela est déroutant. Mais il n’y a pas de doute : c’est bien là l’enseignement de Jésus, parfaitement aligné avec l’enseignement des prophètes, plus particulièrement le prophète Michée. Nous pouvons l’écouter dans le dernier chapitre de son livre, lorsqu’il dit (Mi 7, 5-6) : 05 Ne mets pas ta foi dans ton ami, ne te confie pas à ton familier ; devant celle qui repose entre tes bras, garde les portes de ta bouche. 06 Car le fils insulte son père, la fille se dresse contre sa mère, la belle-fille contre sa belle-mère, chacun a pour ennemis les gens de sa maison. Et Michée prophétise cela au moment même où il prophétise la venue du Messie. Quand Jésus s’aligne ainsi avec l’enseignement des prophètes que ses auditeurs connaissent bien, il leur fait comprendre que le temps du Messie est venu, que les prophéties se réalisent, et que Dieu n’a jamais parlé en vain. La division, c’est la marque même de la venue du Messie. Et ce n’est pas une division entre des peuples, mais à l’intérieur même de nos familles, entre ceux qui reconnaitront le Messie et ceux qui le refuseront. C’est comme si Jésus voulait nous prévenir que croire en lui, ce n’est pas de tout repos ; croire en lui, c’est exigeant ; croire en lui, c’est prendre réellement parti pour lui ; croire en lui, c’est rejeter tout ce qui n’est pas lui, tout ce qui n’est pas son enseignement. Au bout du compte, faire le choix de Jésus, ce n’est pas le choix de la facilité, mais c’est faire un choix qui passe par la croix. Jésus nous avertit à ce sujet (Lc 14, 27) : Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. Personne n’est croyant par hasard ou par habitude. Croire, c’est s’engager en connaissance de cause, en acceptant que tous, y compris dans nos propres familles, ne partagent pas nos vues et s’éloignent de nous, à cause de Jésus. Croire, c’est accepter cette part de difficultés, de conflits qui peuvent survenir lorsque nous faisons le choix de vivre comme Jésus. Croire que nous ferons mieux que Jésus qui a connu l’opposition et la discorde, y compris au sein du groupe des Douze, serait nous faire illusion ; nous ne sommes pas plus grand que notre Maître.

             S’il en est ainsi, si nous aussi nous devons accepter cette part de conflits, quel intérêt pour nous à faire le choix de Jésus ? Pourquoi ne pas nous contenter de vivre sans lui, comme les autres ? Si c’est lui la cause des divisions, supprimons la cause et nous n’aurons pas à vivre les effets de la cause ? Là encore, c’est nous faire illusion. Des conflits, il y en a eu avant Jésus. Que Jésus soit là ou pas, n’y changera rien ! Il n’est pas la cause de toutes nos divisions, juste celles liées à sa personne parce que nul ne peut être obligé de le reconnaître et le suivre. L’avantage qu’il y a à vivre comme il nous le demande, c’est que notre monde s’en portera mieux, parce que, au bout du compte, même s’il peut être vu par certains comme source de conflits, il est venu apporter la paix. Pas une paix à moindre frais, mais la paix véritable, la paix profonde du cœur qui nous permet d’entrer en relation avec les autres, qu’ils soient comme nous ou pas, qu’ils croient comme nous ou pas. La paix que le Christ apporte au monde n’est pas juste un accommodement où chacun fait un pas vers l’autre, mais la paix qui suppose que chacun renonce au mal, à la source même du mal. Vivre de la foi en Christ, la liturgie de la nuit de Pâques nous le rappelle, c’est renoncer au mal, à l’auteur du mal, à tout ce qui conduit au mal. Choisir le Christ, c’est faire un choix radical qui transforme la vie pour de bon et pour le bon. Faire le choix du Christ, c’est refuser de voir en l’autre un ennemi pour ne voir en lui qu’un frère à aimer. Faire le choix du Christ, c’est refuser de laisser le mal gagner la partie en construisant résolument un monde de fraternité. Choisir le Christ, c’est tout, sauf vivre tranquille au coin du feu en attendant que le temps passe. Parce que ce monde nouveau que le Christ promet ne se fera pas sans nous. Tu veux un monde plus juste ? Commence par être juste avec les autres. Tu veux un monde plus fraternel ? Commence par vivre la fraternité avec ceux que Dieu met sur ta route. Tu veux un monde dans lequel chacun puisse vivre ? Commence par respecter cette terre où Dieu te donne de vivre. Le pape François nous a rappelé dans Laudato Si que tout était lié, et que le respect de la terre passe aussi par le respect de ceux qui y habitent et par une meilleure justice sociale.

             La parole que Jésus nous adresse aujourd’hui peut sembler dure, mais elle est porteuse de promesses de vie meilleure si nous, qui croyons en lui, commençons par vivre de l’Evangile. Que certains ne soient pas d’accord avec nous, voire s’opposent à nous, ne doit ni nous décourager, ni nous empêcher de vivre du Christ. Il est Bonne nouvelle pour nous et pour la terre. Il est le chemin à suivre pour parvenir à la vie et à la paix véritables. Amen.

jeudi 14 août 2025

Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie - 15 août 2025

 Il se souvient de son amour.





(Tableau de Francesco GRANACCI, Assomption de la Vierge Marie, 
réalisé entre 1517 et 1519, pour la chapelle des Médicis, 
église San Piero Maggiore, Florence)


 

            Chaque année, la fête de l’Assomption nous donne d’entendre le cantique de la Vierge qui chante l’œuvre de Dieu pour son peuple. Ce chant est repris par l’Eglise chaque jour dans l’office des vêpres. Il y a un verset qui m’intéresse particulièrement aujourd’hui alors que nous célébrons l’entrée de Marie dans la gloire de Dieu, parce qu’il nous souligne un aspect de l’œuvre de Dieu aussi bien qu’un aspect du caractère de Marie. Ce verset, c’est le suivant : il se souvient de son amour.

             Il suffit de lire l’intégralité du Magnificat pour découvrir l’œuvre de Dieu pour l’humanité et son amour privilégié pour les humbles, ceux qui le craignent et tout son peuple Israël. A qui voudrait approfondir cette découverte, il faudrait alors tourner les pages de la Bible pour découvrir les alliances successives de Dieu et comment toujours il se souvient de son amour. Même quand il décide de laver la terre à grandes eaux au moment du déluge, il se souvient encore de son amour et sauve Noé et les siens, ainsi que des représentants de toutes les espèces animales. Parvenu aux dernières pages de notre Bible, un chrétien ne pourrait que conclure qu’il n’y a pas de limite à l’amour de Dieu pour nous et que toujours, vraiment, il se souvient de son amour. Même quand les hommes ont osé l’impensable, à savoir la mise en croix de l’Innocent, Dieu encore fait preuve d’amour, non seulement en ressuscitant son Fils Jésus, mais aussi en permettant que ce sacrifice serve au salut de tous, à la fois ceux qui étaient témoins de cette tragédie et ceux qui viendraient à la vie dans les siècles à venir. Et nous voici, au premier quart du vingt-et-unième siècle, à bénéficier toujours et encore de ce salut, par le sacrifice unique du Christ, dont nous faisons mémoire en cette eucharistie. La fête de l’Assomption de Marie n’est pas que le signe de l’amour de Dieu pour son humble servante, mais pour nous tous. Ce qui advient de Marie nous concerne effectivement puisque c’est une annonce claire de ce qui nous attend : une vie d’éternité dans le Royaume de Dieu, non pas parce que nous l’aurions mérité, mais parce que Dieu se souvient de son amour et nous offre de vivre auprès de lui, avec son Fils, avec Marie, et la foule nombreuse de ceux que nous appelons les saints.

             En cette fête de l’Assomption, nous pouvons décliner ce il se souvient de son amour au féminin. Parce que Marie, à l’image de Dieu, s’est toujours souvenu de l’amour que Dieu lui a manifesté quand il l’a choisie pour être la Mère de son Fils. Voyez dans l’évangile de Luc cette mention faite plusieurs fois : Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. Elle ne perd rien de ce que l’amour de Dieu fait pour elle ; et elle s’en souviendra quand la jeune communauté croyante va grandir après Pâques. Elle transmettra ce qu’elle sait de son Fils, ce qu’elle a vécu avec lui pour que cela parvienne encore à nos oreilles aujourd’hui. Au terme de la vie terrestre de Marie, Dieu se souvient de son amour, se souvient de son humble servante, et l’appelle dans sa gloire sans qu’elle ait eu à connaître la dégradation du tombeau. Celle qui était sans péché et qui, par son oui, a rendu l’humanité capable d’accueillir Dieu, ne pouvait pas juste suivre le chemin ordinaire de notre humanité parvenue à son terme. Puisqu’elle a vécu toute sa vie dans le souvenir de l’amour de Dieu pour l’humanité, et qu’elle a permis à celle-ci de rencontrer face à face le Fils de Dieu, elle accèdera à la gloire de son Fils, sans passer par la tombe. Quand Dieu se souvient de son amour, de grandes choses sont possibles pour nous.

             Ce qui m’amène à vous proposer de faire un pas de plus. Nous avons vu qu’avec Marie, nous pouvions mettre cette phrase au féminin. Il nous faut maintenant envisager de la mettre aussi à la première personne : je me souviens de son amour. En tous les cas, nous devrions nous exercer à la vivre ainsi. Parce que si Dieu se souvient de son amour pour nous, il serait juste et bon que nous gardions mémoire de ce que l’amour de Dieu fait pour nous ; pas seulement en reprenant le Magnificat avec toute l’Eglise, mais en étant capables de l’illustrer par des moments de notre vie. Cela nous oblige à ne pas être des enfants ingrats qui profitent de l’amour de Dieu mais jamais n’en font mémoire. L’Eglise le fait à merveille dans sa prière, notamment à travers les préfaces qui ouvrent chacune de nos liturgies eucharistiques.  La préface, c’est cette prière que le prêtre dit au nom de l’assemblée et qui commence ainsi : Vraiment, il est juste et bon, pour ta gloire et notre salut, de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, Seigneur, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant. Si l’on prend les 74 préfaces proposées dans l’année, qu’on y ajoute celles des messes rituelles (ordinations, mariages, enterrements, les préfaces du missel des messes de la Vierge Marie) et quelques particulières, nous dépassons la centaine d’occasions de nous souvenir de l’amour de Dieu pour nous, puisque chaque préface nous fait chanter une merveille que Dieu fait pour nous par amour. Si la préface est réservée au prêtre pendant la messe, rien ne nous empêche de prendre l’habitude de prier avec ces beaux textes au long de l’année pour redire à Dieu que, s’il se souvient de son amour, nous aussi nous voulons nous en souvenir et le remercier de nous aimer autant.

             En prenant exemple sur Marie, qui chante les merveilles de l’amour de Dieu pour nous, apprenons à nous souvenir que Dieu nous aime. Apprenons à le remercier pour cet amour. Apprenons à noter les merveilles que Dieu fait concrètement pour nous. Cela ne fera peut-être jamais une préface officielle de la prière de l’Eglise ; mais ces souvenirs de ce que l’amour de Dieu fait pour nous aujourd’hui, constitueront notre part à la louange que nous devons à Dieu qui nous aime ainsi. En cette fête de l’Assomption, que monte au ciel avec Marie, notre merci pour tout ce que Dieu fait, lui qui nous appelle à partager sa gloire, simplement parce qu’il nous aime et non parce que nous l’aurions mérité. Amen.

samedi 9 août 2025

19ème dimanche ordinaire C - 10 août 2025

 La tenue de service, le vêtement baptismal.







 

            Est-ce de l’humour ou de l’ironie de la part de l’Eglise de nous faire entendre, au milieu de nos vacances, cette affirmation de Jésus : Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins et vos lampes allumées ? Elle ne connaîtrait donc pas le concept même de vacances, ce temps où justement nous quittons le vêtement de service, le vêtement de travail ? Aurait-elle quelque chose contre le fait que nous nous prélassions sur la plage, ou que nous randonnions en forêt ou en montagne ? Si nous restons braqués sur la tenue de service qu’il ne faudrait jamais quitter, nous risquons bien de passer à côté de cette autre affirmation de Jésus, dans ce même passage : Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. Vous avez bien entendu : Dieu servira les hommes à table. Pour bien comprendre ce renversement, il faut nous interroger sur cette tenue de service. C’est quoi au juste ?

             En relisant mes homélies des années passées pour ce même dimanche, je m’aperçois que j’ai souvent identifié cette tenue de service avec la nécessité de la charité qui doit rester active, même pendant nos vacances ; ou encore avec l’amour du prochain qui ne prend jamais de vacances non plus. Mais, sans doute parce que je vieillis, je me dis que plus fondamentalement, la tenue de service, c’est le vêtement blanc de notre baptême, le vêtement qui nous a été donné quand nous sommes devenus fils de Dieu, participant à la mort et à la résurrection de Jésus. Gardez la tenue de service, c’est se souvenir à chaque instant de notre vie, ce que nous sommes devenus par le baptême, et vivre selon l’Esprit reçu en ce jour. Ce vêtement blanc a été lavé dans le sang de l’Agneau selon le livre de l’Apocalypse. C’est le vêtement de notre participation à la victoire du Christ sur les forces de mal et de mort qui envahissent notre vie. C’est le vêtement resplendissant du Ressuscité, passé par la mort pour nous appeler à la vie. Depuis Pâques, depuis sa victoire définitive sur le mal et la mort, le Christ est au service de l’humanité pour la conduire à la vie éternelle. Et le signe que nous sommes dignes d’être servis par lui, c’est justement que nous portons ce vêtement blanc, tenue pour le service de Dieu et des frères.

            Ceci nous rappelle que le baptême, ce n’est pas juste être mouillé par quelques gouttes d’eau qui tombent sur notre tête. Le baptême, c’est d’abord un état d’esprit, un art de vivre qui commence toujours par le renoncement au mal et l’accueil de Dieu lui-même au cœur de notre vie. Pour que Dieu puisse nous accueillir à sa table, il faut que notre tenue de service manifeste notre volonté de fuir le mal et de nous attacher à Dieu. Il n’y a pas à craindre de salir ce vêtement blanc en nous frottant à la réalité de notre existence ou à la dureté du cœur de l’homme. La tenue de service ne salit pas parce que j’ose encore me dire chrétien dans un monde qui ne l’est plus, ni parce que j’ose vivre encore en chrétien dans un monde qui nous voit souvent comme une survivance d’un passé révolu. Nous salissons notre tenue de service lorsque nous sacrifions à l’esprit du monde, lorsque nous oublions quel sang nous a rachetés, lorsque nous refusons de voir en chaque humain un frère ou une sœur à aimer.  Nous salissons notre tenue de service en n’étant plus ce que nous sommes devenus par le baptême. Nous sommes faits pour Dieu ; nous sommes faits pour les autres. Si nous nous recroquevillons sur nous-mêmes, nous rétrécissons notre tenue de service jusqu’à la faire disparaître.

             Rester en tenue de service, c’est donc rester chrétien en toutes choses, en chaque instant, même pendant les vacances. Cela nous invite à une réelle créativité, pour témoigner de ce que nous sommes dans les diverses situations de notre vie. Que nous soyons en famille, entre amis, au travail, en vacances, sur un lit d’hôpital ou que sais-je encore, nous avons à porter sans honte notre tenue de service pour que le Christ lui-même puisse nous servir à travers l’Esprit Saint que nous avons reçu par l’onction au jour de notre baptême. D’une certaine manière, notre tenue de service, c’est le Christ lui-même. Il suffit d’entendre Paul quand il écrit aux Galates : Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ (Ga 3, 27-28). A ceux qui s’interrogeaient comment Dieu pouvait servir l’homme, la réponse est donnée ici. Dieu sert l’homme, parce qu’il sert son Fils qui a donné sa vie pour tout homme et qui vit en tout homme qui a passé avec lui la grande épreuve. C’est une autre manière de dire qu’il nous ressuscitera avec son Fils qu’il a ressuscité des morts.

             L’invitation à garder la tenue de service est donc une invitation à garder vive et active notre foi, en cultivant la mémoire de notre baptême. C’est une invitation à garder vive notre espérance en la vie avec Dieu pour toujours ; il nous attend dans son Royaume. C’est une invitation à garder active notre charité par l’Esprit reçu, parce que le baptême, ce n’est pas juste un jour de notre vie, c’est toute notre vie.  Que l’eucharistie reçue en nourriture fortifie notre désir de rester en tenue de service, pour la plus grande joie de Dieu. Amen.


samedi 2 août 2025

18ème dimanche ordinaire C - 03 août 2025

 Vanité des vanités, tout est vanité : vraiment ?



(Pieter BOEL, Allégorie des vanités du monde, 1663, Palais des Beaux-Arts, Lille 
Source : Allégorie des vanités du monde / Peintures XVIe - XXIe siècles / Chefs-d'Œuvre / Collections - Palais des Beaux Arts de Lille)




 

            Vanité des vanités, tout est vanité ! Il y a quelque chose de terrifiant dans ce cri de Qohélet, quelque chose de déprimant aussi. Comme si, avec lui, la vie n’avait aucun sens ; comme si tout ce que nous faisons, tout ce que nous vivons, n’était que du vent. Si tel est le cas, nous pourrions nous interroger légitimement : à quoi bon vivre alors ? Si tout est vain, si rien ne sert, pourquoi se fatiguer ?

            Vous l’aurez compris, même si l’affirmation de Qohélet est une parole biblique, nous avons le droit de ne pas être d’accord avec elle. Nous avons le droit de ne pas perdre notre optimisme et de croire que notre vie, avec ses hauts et ses bas, avec ses joies et ses misères, avec ses hauts-faits et ses péchés, non seulement vaut la peine d’être vécue, mais qu’elle a du sens et qu’elle a du prix. Il n’y a rien de plus anti-religieux que le pessimisme. Cela va à l’encontre même de la foi, c'est-à-dire cette confiance inébranlable que notre vie est dans les mains de Dieu, parce qu’elle a été voulue par lui et qu’elle a son sens en lui, avec lui. En ce sens, aucune vie n’est vaine ! Nous avons tous une place à tenir, un rôle à jouer dans ce grand projet de Dieu qui veut le salut pour l’humanité. Et si la tâche peut sembler par moment immense, voire irréaliste, elle n’en est pas moins à conduire à son terme.

 
            Je dois reconnaître, cependant, que Qohélet n’a pas tout-à-fait tort, pas plus que Jésus dans l’évangile. La question de fond qui est posée, c’est celle du pourquoi de nos actions, de nos décisions. Si ma vie ne me tourne que vers moi, vers ce que je peux en tirer pour moi et moi seul, alors oui, je crains que Qohélet et Jésus aient raison. Si j’amasse pour moi, pour être le plus riche, c’est idiot. Un jour, je mourrai, et que deviendra ce que j’ai amassé. Comme le dit Qohélet, il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Ou comme le dit Jésus : Cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? Mais si ma vie est tournée vers les autres, vers le bien commun, ce que je fais, ce que je vis prend du sens, un sens qui me dépasse, un sens qui me survivra. Si je suis tourné vers les autres, ma vie est plus grande que moi. Je n’amasse pas pour moi, je ne vis pas pour moi, je ne produis pas pour moi, mais pour tous.

             Nous pouvons encore faire un pas de plus grâce à Paul qui nous invite à penser aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. Il nous invite à voir plus loin que le bout de notre nez, plus haut encore que le seul bien commun. Il nous invite à ne pas oublier qu’il y a un sens à tout cela et que ce sens vient de Dieu, et de la résurrection du Christ. Parce que le Christ a donné sa vie pour nous, nous devons nous attacher à vivre selon son enseignement, pas juste pour être gentil avec les autres, mais parce que quelque chose de plus grand nous attend dans le Royaume : la gloire du Ressuscité à partager pour toujours. Le sens de notre vie n'est pas ici-bas, dans une vie seulement terrestre, qui a commencé sans que nous y soyons pour quelque chose et se terminera à un moment que nous ne définissons pas, en règle générale. Le croyant en Dieu est appelé à vivre les pieds solidement plantés dans cette terre, parce que c’est là qu’il vit et doit agir, mais avec la tête définitivement tournée vers le ciel, en étant attentif à ce que Dieu attend de lui. Nous ne venons pas à la vie terrestre pour mourir ; nous venons à la vie terrestre pour vivre avec Dieu et en Dieu pour toute éternité. Ce n’est pas une promesse vaine, c’est notre espérance, c’est notre foi, et notre charité nous y mènera.

             A ceux qui veulent donner tort à Qohélet, et réaffirmer que notre vie n’est ni vaine ni insensée, il est proposé de vivre dès maintenant et pour toujours avec Dieu, à la suite du Christ, mort et ressuscité pour notre vie. En apprenant de lui à vivre pour les autres, à donner notre vie pour les autres, nous trouverons sens et dignité, nous recevrons récompense et gloire. Il n’est jamais vaniteux de vouloir servir les autres ; il n’est jamais vaniteux de vouloir pour les autres le meilleur ; il n’est jamais vaniteux de donner le meilleur de soi au service de tous. Vanité des vanités, tout est vanité : oui, si je ne vis que pour moi ; mais jamais si je vis pour Dieu et pour les autres. Amen.

dimanche 27 juillet 2025

17ème dimanche ordinaire C - 27 juillet 2025

 La prière à l'école d'Abraham.




Giambattista Tiepolo (1696-1770), Abraham et les trois Anges 
(vers 1770, huile sur toile, 196 x 151 cm), 
Musée du Prado, Madrid (Espagne). Domaine public.




 

            La semaine dernière, trois visiteurs arrivaient chez Abraham, avec une promesse : ta femme, Sara, aura un fils. Aujourd’hui, nous les retrouvons, reprenant la route pour aller à Sodome et Gomorrhe, les villes abhorrées, à la réputation plus que sulfureuse. Ils ont un projet : voir si ce qu’on entend à leur sujet est vrai : Je veux descendre pour voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi. Il n’en faut pas plus à Abraham pour réagir auprès du Seigneur et nous offrir, par la même occasion, un petit enseignement sur la prière, que je trouve assez déroutant.

             Après lecture de ce passage, ce que nous retenons le plus souvent, c’est le marchandage audacieux d’Abraham qui, pour obtenir le salut de ces villes, va partir de très bas (peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville ?) pour arriver à très haut (peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix ?). Car paradoxalement, plus il abaisse le nombre de justes présents, plus il pourra sauver de monde. Je ne sais pas si Abraham savait ou pas que Loth et sa famille se trouvait là ; peut-être aurait-il osé descendre encore un peu. Il s’arrêtera donc à dix avec l’assurance de Dieu que pour dix, je ne détruirai pas. Quelques justes dans une ville immense pour que cette ville soit sauvée ! Nous mesurons l’amour de Dieu pour l’humanité à son acceptation de ce marchandage. Il aurait pu dire à Abraham de s’arrêter, que c’était indigne de lui de marchander ainsi comme on le ferait pour le prix d’un tapis. Mais non, Dieu joue le jeu ; il abaisse ses prétentions à mesure qu’Abraham s’enhardit et intercède. Et nous avons là un premier enseignement de la prière d’Abraham : ce n’est pas une prière pour lui, c’est une prière pour les autres, pour l’humanité qui se perd et qui a besoin du salut que Dieu donne. Et peu lui importe qu’une immense majorité de cette humanité ne corresponde pas aux attentes de Dieu. Abraham insiste, baisse le nombre et obtient un engagement ferme de Dieu.

             Est-ce que ma prière est à l’exemple de celle d’Abraham, tournée vers les autres qui ont besoin du salut ? Ou me ramène-t-elle sans cesse à moi, à mes envies, à mes propres désirs ? Certains vous diront qu’en matière de prière, comme en tant d’autres, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Autrement dit, demande ce qu’il te faut et que chacun fasse pareil. Celui qui ne demande rien, n’aura donc rien ! Abraham nous apprend à demander pour les autres, à porter devant Dieu notre souci des autres, et de leur salut. Vous rendez vous compte de la puissance de cette prière d’intercession ? Si je demande seul pour moi, aussi noble que soit ma demande, Dieu l’entendra, il n’y a pas à en douter. Mais si je me confie à la prière des autres, il entendra ma demande venant d’autres qui l’auront jugée légitime au point de la porter devant Dieu dans leur prière. Ce n’est pas une fois qu’il l’entendra, mais autant de fois que de personnes à qui je me suis confié. Et il entendra aussi des prières pour ceux qui ne prient jamais ou qui ne prient plus, simplement parce que j’aurai eu à cœur de les porter devant lui. La prière d’Abraham est une prière d’attention pour ceux qui ne font plus attention à Dieu ! Et ça, c’est puissant !

             Ce marchandage d’Abraham avec Dieu nous apprend une deuxième chose sur la prière du patriarche. Cette chose réside dans le motif même de ce marchandage : protéger la sainteté de Dieu. Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? … Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, loin de toi d’agir ainsi ! Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? Pour Abraham, ce serait l’abomination de la désolation si Dieu cessait de veiller sur le juste ! Ce serait l’abomination de la désolation si Dieu ne pardonnait pas. Pour Abraham, c’est humainement impensable que Dieu agisse comme agissent les hommes ! Dieu ne peut pas renoncer à sa sainteté pour agir comme les hommes. Dans sa justice, il doit se souvenir qu’il est Dieu. Il doit se souvenir des alliances passées avec les hommes. Il doit se souvenir qu’il est Dieu pour la vie. Certains, dans le passé, ont oublié cette leçon d’Abraham, et ont fait de Dieu un épouvantail dont les hommes devaient avoir peur, pensant que plus ils auraient peur de Dieu, plus ils s’attacheraient à lui et à vivre selon ses préceptes. Eh bien, cela n’a pas fonctionné comme prévu. Un Dieu qui fait peur ne mérite ni notre louange, ni notre respect. C’est un tyran dont il faut se détourner. La confiance en Dieu ne se construit pas sur la peur de Dieu. La confiance en Dieu ne peut se construire que sur l’amour qu’il nous porte, sur la miséricorde qu’il nous manifeste. Nous ne respectons pas la sainteté de Dieu en en faisant un épouvantail. Dieu vaut mieux que cela et les hommes méritent mieux qu’un Dieu qui fait peur. La manière dont je parle à Dieu doit refléter la manière dont je parle de Dieu aux hommes et vice-versa. Je ne peux pas parler à Dieu comme à un ami et le présenter aux autres comme celui qui sait tout d’eux, retient tout de ce qu’ils font mal pour le leur rappeler le jour où ils le verront face-à-face.

             A l’image d’Abraham, ai-je le souci de préserver la sainteté de Dieu dans ma prière et dans la manière dont je parle de lui ? Est-ce que Dieu est mon ami à moi tout seul, et le surveillant général de tous les autres ? Protéger la sainteté de Dieu dans la prière, c’est aussi accepter de ne pas l’abreuver de parole, savoir quand s’arrêter pour enfin l’écouter me parler. Protéger la sainteté de Dieu, c’est affiner ma connaissance de lui, le découvrir tel qu’il se révèle à moi et non tel que je me l’imagine. Laissons Dieu être Dieu à la manière de Dieu. Sur la croix, Jésus nous a dit cette manière de Dieu ; il va jusqu’à la mort pour le salut des hommes. La croix est le signe de Dieu tel qu’il se révèle et non tel que les hommes l’ont imaginé. Personne n’aurait imaginer que Dieu puisse s’abaisser jusqu’à la mort.

             Ne jetons pas trop vite Abraham dans les oubliettes de l’histoire sainte. Il a de belles choses à nous apprendre. En entrant dans sa prière, nous rejoindrons le chœur des anges qui chantent en permanence la gloire de Dieu et nous aurons le souci d’une prière ouverte sur les autres, ceux que nous aimons, et ceux que nous n’aimons pas assez. L’essentiel est que Dieu les aime, et qu’il aime qu’on lui parle d’eux, et qu’il aime qu’on leur parle de lui. C’est ainsi que l’Esprit peut faire son chemin dans le cœur des hommes, qu’ils peuvent se convertir et parvenir au salut. Amen.

 

lundi 21 juillet 2025

16ème dimanche ordinaire C - 20 juillet 2025

 Une seule ? La meilleure part ?



 


            Il en avait de la chance Abraham, d’avoir une épouse et un serviteur qui agissent, discrètement, dans l’ombre, pour qu’il puisse se consacrer à ses visiteurs. Marthe n’a pas la même chance, elle qui se met aux fourneaux quand Jésus vient se reposer dans la maison qu’elle partage avec sa sœur et son frère. Si elle avait eu une servante, assurément, elle serait restée avec sa sœur aux pieds de Jésus. Mais si tel avait été le cas, nous n’aurions rien su de cette rencontre entre amis. Et surtout, nous n’aurions pas eu cette répartie de Jésus à l’adresse de Marthe qui vient se plaindre.

             J’ai déjà eu l’occasion de vous parler de ces deux sœurs. Elles ont la chance d’accueillir Jésus chez elles ; il est là en ami. Elles sont les sœurs de Lazare à qui Jésus rendra la vie avant de marcher sur Jérusalem pour y mourir. Mais c’est là l’histoire d’une autre visite de Jésus. L’histoire de la rencontre qui nous préoccupe aujourd’hui est bien connu. Et peut-être êtes-vous comme moi, un peu plus distrait lors de sa proclamation, parce que justement on connaît trop ; on ne fait donc plus forcément très attention. Et c’est quand on ne fait plus suffisamment attention, que des détails ou des interprétations de ces détails, peuvent nous échapper. Ce qui me préoccupe, à écouter cette histoire, c’est la réponse de Jésus à Marthe quand elle vient se plaindre, et surtout la manière dont nous la recevons et la comprenons.

             La première chose à noter, c’est que Jésus ne rabroue pas Marthe. Il ne sous-estime pas le travail qu’elle fait en cuisine pour le recevoir. Ses amis le reçoivent, il en est certainement heureux. Les deux sœurs se sont réparti le travail : Marie s’occupe de Jésus pendant que Marthe s’occupe en cuisine. D’autres manières de faire auraient pu être imaginées. Par exemple, les deux sœurs proposent à Jésus de se rafraichir un peu et de se reposer de la route pendant qu’elles préparent ensemble quelque chose à manger, soit avant de l’avoir entendu, soit après l’avoir entendu. Ou, si Marie s’avérait moins bonne cuisinière que Marthe, qu’elles commencent comme le rapporte Luc, et qu’à un moment Marie relève Marthe à la cuisine, quand il s’agit juste de surveiller la cuisson, pour que Marthe puisse avoir son tête-à-tête avec Jésus. Cela n’a pas été fait ; pas la peine d’épiloguer. Il nous faut donc prendre la réaction de Marthe et la réponse de Jésus telles qu’elles nous sont données. Si la réaction de Marthe semble légitime à beaucoup de lecteurs, la réponse de Jésus leur semble alors quelquefois difficile à entendre. Que dit-il exactement ? Après lui avoir fait remarquer qu’elle se donne du souci et s’agite pour bien des choses, juste pour un ami de passage, il affirme qu’une seule est nécessaire. Et il parle enfin de la meilleure part. Il nous faut bien comprendre que le une seule ne renvoie pas à l’une des sœurs (une seule sœur serait nécessaire !), mais bien à une attitude, une manière d’être avec Jésus. Il ne dit pas à Marthe qu’elle n’a rien compris, ni qu’elle fait mal. Il lui dit que, quand il vient les rencontrer, il ne se plaindra pas s’il n’y a qu’un casse-croûte pour lui. Ce ne sont pas les choses que les sœurs font pour lui qui lui importent, mais leur manière d’être, l’attitude qu’elles ont vis-à-vis de lui. Et cela doit nous rassurer ; le plus grand bien, quand Jésus vient nous visiter, ce n’est pas de nous mettre en quatre pour l’accueillir, c’est d’accepter de l’écouter. Il vient chez nous parce qu’il a quelque chose à nous dire, à nous partager. Et être pleinement là, présent à lui, est cette seule attitude nécessaire.

             Quand ceci est compris, nous pouvons mieux saisir la suite de la réponse de Jésus, celle sur la meilleure part. En parlant ainsi, Jésus ne renvoie pas Marthe à sa cuisine et ses casseroles ; il ne lui pas qu’elle ne sert à rien. Il lui dit qu’il existe une meilleure part, c'est-à-dire un essentiel. Marie l’a découvert en se mettant aux pieds de Jésus pour l’écouter. Marthe doit encore découvrir cet essentiel. Et cela nourrit notre propre vie spirituelle. Avec Marthe, nous pouvons nous interroger : Qu’est-ce qui est essentiel pour nous dans notre vie avec Jésus ? Où et comment Jésus nous attend-t-il aujourd’hui ? Il n’y a pas de réponse unique ; elle peut changer selon les circonstances de notre vie. Nous savons maintenant que la seule attitude nécessaire, c’est l’écoute. Et quand nous écoutons vraiment Jésus, nous découvrons ce qui est pour nous, personnellement, l’essentiel à ce moment donné de notre vie. Tout est utile dans la vie, même savoir préparer des petits plats. Mais tout n’est pas nécessaire au même moment. Et ce qui est vrai de notre relation avec Jésus, est vrai aussi de nos relations humaines. Si nous écoutions plus les autres, peut-être nous les comprendrions mieux ; les comprenant mieux, nous pourrions mieux les apprécier ; les appréciant mieux, nous pourrions mieux vivre avec eux ; vivant mieux avec eux, nous serions davantage en paix.

             Et voilà comment la colère d’une agitée des casseroles vient remettre un peu de bon sens dans notre vie à tous. Remercions Marthe de permettre à Jésus de nous éclairer tous. Remercions sa sœur Marie de nous rappeler l’importance de l’écoute. Et avec les deux sœurs, prenons la résolution d’une vie plus équilibrée, partagée entre l’écoute et l’action, parce que la Parole de Dieu est toujours dite pour nous mettre en route, en mouvement à la suite de Jésus. C’est ce à quoi nous invite le « Allez dans la paix du Christ » à la fin de chaque messe. Ecoutons tant que nous sommes rassemblés ici ; agissons dès que nous rentrerons chez nous, sans arrêter pour autant d’écouter. Amen.

lundi 14 juillet 2025

15ème dimanche ordinaire C - 13 juillet 2025

 Il pensait réussir ; il sait désormais comment réussir.






 

            Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? C’est avec cette question qu’un homme, un docteur de la Loi, veut mettre Jésus à l’épreuve. Et il pensait réussir. Les Apôtres ont dû bien rire, eux qui cheminent avec Jésus depuis quelque temps déjà et qui ont entendu Pierre déclarer que leur Maître est le Christ, le Messie de Dieu. Comme s’il était possible de le piéger avec une telle question. Autant essayer de piéger le meilleur pâtissier du monde avec une question sur la recette d’un Saint Honoré ! Ridicule.

             Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? Si vous comparez ce récit à celui de Matthieu ou Marc, vous verrez que, chez Luc, Jésus ne répond pas à la question directement. Il va forcer son adversaire du jour à répondre. Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » Une manière très polie de lui dire : mais toi, dis-moi non seulement ce que tu lis dans la Loi, mais comment tu le comprends. Parce que lire la Loi, tout le monde peut le faire ; mais la comprendre correctement, c’est une autre affaire. Le docteur de la Loi se laisse prendre au jeu du : toi d’abord, moi après. Et il y va de sa réponse que nous connaissons tous : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. Luc nous fait comprendre mieux que les autres que ce n’est pas là une invention ou une relecture de Jésus. Il n’est pas le premier à lier l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Un homme vient de le faire devant Jésus, et celui-ci approuve la réponse de l’homme : Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. La réponse est désormais claire pour toutes les générations à venir, que vous soyez juifs ou disciples du Christ : l’assurance de la vie éternelle, c’est l’amour de Dieu et du prochain. C’est un spécialiste de la Loi qui le dit ; c’est Jésus qui le confirme. La question posée a obtenu une réponse qui satisfait les deux parties ! L’histoire aurait pu, aurait dû s’arrêter là. Mais elle rebondit : Lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? ».

             Là on commence à parler sérieusement. Qui est mon prochain ? c'est-à-dire de toutes les personnes que je rencontre, qui dois-je aimer ? Et donc, qui puis-je ne pas aimer, parce qu’il ne serait pas mon prochain ? Encore une fois, Jésus ne répond pas directement. Il raconte une histoire que nous connaissons tous aujourd’hui, celle du bon Samaritain, mais qui est d’abord l’histoire d’un homme agressé, dépouillé, laissé pour mort au bord de la route. Celui qui importe, au début de l’histoire, ce n’est pas le bon Samaritain, mais bien ce mourant laissé là et que d’autres vont croiser. Comment vont-ils interagir avec lui ? Un prêtre, puis un lévite vont passer par ce chemin. Tous deux voient l’homme. Sûrement, ces hommes de Dieu vont faire quelque chose ! Eh bien non, tous deux passèrent de l’autre côté.  Nous comprenons spontanément l’autre côté de la route ; mais l’autre côté, je peux aussi l’entendre comme : ils passèrent au mauvais côté. Ils ont fait ce qu’il ne fallait pas faire : ils ont sciemment ignoré l’homme mourant. Et qu’importe les bonnes raisons qu’ils auraient pu avoir ; en passant de l’autre côté, ils n’ont rien fait, ils ont ignoré leur frère dans le besoin. Ils ont fait de la Loi qu’ils prétendent servir une condamnation pour celui qui est victime, une condamnation pour celui qui n’a rien fait de mal. Au sordide de l’agression gratuite, ils ajoutent l’abject du désintérêt. Il est mourant ; qu’il ait la décence de mourir seul et en silence ; je ne vais pas me mettre en retard, Dieu m’attend ! Arrive le Samaritain, celui dont Jérusalem a mauvaise opinion. Il le vit et fut saisi de compassion. Il fait ce qu’il faut pour soigner cet homme et le mettre à l’abri, à ses propres frais. Et il s’engage même à revenir prendre de ces nouvelles et régler toute dépense supplémentaire ! L’histoire n’a rien de compliqué ; c’est celle d’un homme qui avait besoin d’aide.

         Rappelons-nous maintenant la question qui nous a valu cette histoire : Et qui est mon prochain ? A la fin de l’histoire, sans doute le docteur de la Loi espère-t-il une réponse claire. Il n’aura encore une fois qu’une question de la part de Jésus : Qui a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? Il faudrait être de mauvaise foi ou complètement stupide pour ne pas répondre avec le docteur de la Loi : Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. Ceci nous oblige à bien comprendre le renversement opéré par Jésus. La question n’est plus de savoir qui, de toutes les personnes que je croise, est mon prochain ; mais bien de savoir de qui je dois me faire le prochain. De qui dois-je avoir le souci ? De tous ceux dont tu croises la route. Tu ne peux pas rester indifférent à ceux que Dieu met sur ta route, et surtout pas de celui qui a besoin de toi. Rien ne peut être plus important que le service du petit, pas même Dieu, puisque Dieu lui-même, dans sa Loi, a lié l’amour de Dieu à l’amour du prochain. Aimer le petit, c’est donc aimer Dieu. S’occuper de l’autre, c’est donc s’occuper de Dieu. Je ne peux pas dire au pauvre : je ne peux pas m’occuper de toi, Dieu m’attend ! Je ne peux pas dire à l’étranger : je ne peux pas t’accueillir, Dieu m’attend. Puisque je crois en Jésus, Dieu fait homme, cela signifie qu’en chaque humain que je croise, c’est Dieu lui-même que je croise. A l’homme qui l’interrogeait, Jésus répond une dernière fois : Va, et toi aussi, fais de même. C’est juste limpide ! Il n’y a plus ni de question à poser, ni de question à se poser.

 Tout avait commencé avec le désir d’un homme de réussir à mettre Jésus dans l’embarras. Il pensait mettre Jésus à l’épreuve ; sa question s’est retournée contre lui. Il n’a peut-être pas réussi à mettre Jésus à l’épreuve, mais désormais il sait : il sait que Jésus n’indique pas une nouvelle voie, ni une nouvelle Loi. Désormais il sait que Jésus accomplit la Loi et qu’il lui demande de faire de même. Il pensait réussir à piéger Jésus en l’interrogeant sur la vie éternelle ; il sait désormais comment réussir sa vie et son paradis. En mettant l’autre, le petit, au cœur de sa vie et par là, en mettant vraiment Dieu au cœur de sa vie. Il le sait, et nous le savons. Allons, et nous aussi, faisons de même ; devenons le prochain de ceux qui ont besoin de nous. Amen.