Pâques, l'expérience d'un avenir possible.
(L'Ascension, Andréa della Robbia, Terre cuite, vers 1495)
Quarante jours ! Quarante jours que
nous vivons de la joie pascale et que nous comprenons mieux la force de cet
événement radicalement nouveau ! Et nous voici au jour de l’Ascension qui
nous fait célébrer le retour du Christ, victorieux de la mort, auprès de son
Père. Un événement qui marque à la fois une continuité et une rupture.
Du point de vue de la vie de Jésus,
l’Ascension est la continuité normale du mystère de Pâques. En fait, on peut
dire que c’est un seul et même mystère. Après sa mort et sa résurrection, la
demeure de Jésus ne peut plus être terrestre ; sa divinité ayant été
pleinement révélée dans sa victoire sur la mort, sa place est désormais à
la droite de Dieu, cette droite à laquelle il avait renoncé en venant dans le
monde. S’étant abaissé en devenant homme, il est élevé au-dessus de tout, retrouvant
la place qui était la sienne depuis toujours. Le Fils de l’homme, pour
reprendre un des titres que les évangélistes attribuent à Jésus, est le Fils de
Dieu. Et c’est bien l’événement de Pâques qui nous révèle cela.
La rupture opérée par l’Ascension nous
concerne, nous. Avec le retour du Christ auprès de son Père, nous ne le verrons
plus avec nos yeux de chair. Le Christ est soustrait à [nos] yeux, pour
reprendre l’expression du livre des Actes des Apôtres. Il ne nous reste de Jésus
que sa Parole, le témoignage des Apôtres, l’eucharistie célébrée en mémoire de
lui, et bientôt la venue du Défenseur, de l’Esprit Saint, que Jésus a promis d’envoyer
quand il serait de retour chez son Père. Nous devons donc apprendre à vivre cette
absence physique de Jésus en aiguisant le regard de notre foi qui nous le rend
présent dans sa Parole et dans le Pain et le Vin partagés. Jésus est là, au
milieu de nous dès lors que deux ou trois sont réunis en son nom. Jésus est
là, dans sa Parole proclamée, expliquée et vécue par la communauté croyante. Jésus
est là, dans le pain consacré et rompu, signe de sa présence éternelle et
réelle à nos côtés. Avec son départ d’au milieu de nous, il nous faut désormais
reconnaître sa présence dans sa Parole, dans les sacrements et dans le frère qu’il
met sur notre route. Nous ne sommes pas orphelins ; nous devons juste
apprendre à regarder autrement, à regarder mieux, pour découvrir Jésus et son
visage dans celles et ceux qui croisent notre route. Nous sommes tous, les uns
pour les autres, des Christo-phores, des porteurs du Christ au cœur de ce
monde.
Cette continuité et cette rupture
que nous fait vivre l’Ascension, nous la vivons au cœur même de notre existence
lorsque nous faisons le choix de devenir disciples du Christ et que nous
recevons le baptême. Continuité parce que notre vie ne change pas ; c’est
la vie que nous avons reçue de nos parents qui s’ouvre à quelque chose de neuf,
à la présence de Dieu dans cette unique et même vie. Nous ne recevons pas une
nouvelle vie, mais notre vie devient vie nouvelle, plus grande, plus accomplie
parce que désormais, par le baptême, Dieu y est présent, Dieu y est reconnu. Par
le baptême, Dieu est chez lui en étant présent en nous. Nous continuons notre
vie, mais avec Dieu et son Christ, présents en nous par l’Esprit. Mais notre baptême
est aussi une rupture parce que, ayant choisis Dieu, nous avons renoncé au Mal,
nous avons rompu avec l’esprit du monde. Nous vivons dans le monde sans être
du monde, selon l’enseignement de Jésus dans l’évangile de Jean. Nous vivons
dans le monde, tel qu’il est, à notre époque que nous n’avons pas choisie. Mais
nous ne partageons pas l’esprit du monde quand celui-ci s’oppose à Dieu ;
nous ne partageons pas l’esprit du monde quand celui-ci s’oppose à la Vie ;
nous ne partageons pas l’esprit du monde quand celui-ci s’oppose à le Vérité ;
nous ne partageons pas l’esprit du monde quand celui-ci réduit l’homme à une
simple donnée économique, voire à une variable d’ajustement. L’homme, tout
homme, a la grandeur même de Dieu puisque le Christ s’est livré, non pas seulement
pour ses disciples, mais pour toute l’humanité qui désormais peut partager la
grandeur de Dieu. En ce sens, Pâques est l’expérience d’un avenir possible. Au plus
sombre de notre vie est révélée la grandeur de l’humanité créée à l’image et à
la ressemblance de Dieu. Le Christ, en se livrant pour notre salut, nous ouvre
à cet avenir désormais possible pour chacun d’une vie auprès du Père, là où le Christ
entre aujourd’hui justement.
Il est particulièrement heureux que
Marcel soit baptisé au cours de cette eucharistie en jour solennel. Il nous
permet d’être témoins de cette continuité et de cette rupture qu’instaure l’Ascension
de Jésus. Au cœur de notre rassemblement, il sera reconnu pour ce qu’il est
depuis sa naissance : fils de Dieu. Et nous redirons ensemble, avec ses
parents, parrain et marraine, que nous voulons vivre loin du mal et que nous
voulons être pour lui et avec lui témoins qu’une vie libérée du mal est
possible. Cette rupture est fondatrice de ce nouveau monde que le Christ inaugure
dans sa mort et sa résurrection et que nous avons à rendre présent ici-bas
déjà. Notre vie auprès du Père, c’est ici-bas que nous la commençons. Un monde
libéré du mal et tourné vers Dieu, c’est ici-bas que nous le construisons. Entre
rupture et continuité, notre avenir est possible, l’Ascension qui nous
rassemble nous le confirme. Amen.