Faut-il
avoir soi-même perdu la vue ou au moins devoir porter des verres correcteurs
forts pour comprendre ce qui arrive à Bartimée ? Il était plongé dans les ténèbres,
depuis sa naissance, et voilà qu’une rencontre avec Jésus, le prophète, selon
les mots de Bartimée lui-même, lui permet d’y voir clair, non seulement
physiquement, mais aussi spirituellement : il se prosterne devant Jésus, au sujet duquel il reconnaît sa foi en
le Fils de l’homme ! Admirable
rencontre qui nous enseigne et édifie notre propre foi.
S’il
est bien clair que le handicap de Bartimée n’est en aucun cas la conséquence
d’un péché commis par lui ou par ses parents, nous pouvons toutefois, par
analogie, dire que ce qui arrive à Bartimée a valeur d’exemple pour nous qui
sommes quelquefois plongés dans l’obscurité de notre péché. Ce à quoi nous
assistons, c’est une véritable recréation d’un homme diminué dans sa vie
sociale. Sa cécité le coupe du monde des vivants, l’exclut de la communauté des
croyants. Jésus, par les gestes qu’il pose, lui rend une vie humaine, sociale,
et une vie croyante. Et ce, alors même que Bartimée ne demande rien. Il ne crie
pas vers Jésus, il n’implore pas son aide, il ne confesse pas sa foi avant sa
guérison. Il est juste au bon endroit au bon moment, c’est-à-dire au moment où Jésus
passe.
Le
premier geste que Jésus pose, c’est faire de la boue et l’appliquer sur les
yeux de l’aveugle. Il pose ainsi le geste même de Dieu qui, aux origines, a
créé l’homme avec de la glaise, un peu de terre et d’eau. C’est comme s’il « réparait »
ce qui était cassé en cet homme aveugle. Il prend la matière même avec laquelle
l’homme a été créé pour compléter ce qui lui manque : la boue est appliquée
sur ses yeux non-voyants. Ainsi peut s’opérer la re-création qui fera de lui un
homme pleinement inséré dans la société à laquelle il appartient.
Le
second geste, c’est de l’envoyer se laver (se plonger) dans la piscine de
Siloé. La réparation physique va devenir réparation spirituelle par cette
descente dans l’eau. Nous pouvons y voir un signe du baptême, par lequel nous
sommes faits fils de Dieu, frère de Jésus Christ, membre de l’Eglise, Peuple
que Dieu se donne. C’est après ce passage par la piscine que la rencontre peut
avoir lieu entre l’aveugle-né devenu voyant et Jésus, de même que nous rencontrons
le Christ en grandissant, après la célébration de notre baptême, puisque
majoritairement, nous avons été baptisés étant enfant, voire bébé. Nous avons
été interrogés nous-aussi sur notre foi, et nous avons eu l’occasion de
ratifier, y compris devant la communauté, notre foi en Dieu qui nous sauve en
son Fils.
Pour
Bartimée, la guérison physique se double d’une guérison spirituelle : devenu
voyant, il devient clair-voyant : il est en mesure de reconnaître d’abord Jésus
comme prophète, puis comme Fils de l’homme, celui qui vient de Dieu. Le lien
entre ces deux guérisons, c’est la personne de Jésus. Il est la lumière du monde, qui éclaire tout homme venant dans le
monde. Il est celui qui nous a dit, trois semaines avant notre entrée en
Carême, que nous étions la lumière du
monde : nous avons à répandre la lumière du Christ, à la diffuser aux
autres. Bartimée est le premier à le faire, dans un contexte certes polémique ;
mais il ne craint pas les hommes maintenant qu’il a été approché de Dieu. Il
témoigne, il interroge, il provoque la réflexion. Quel chemin parcouru en peu
de temps ! Il nous rappelle avec force ce que c’est de vivre en baptisé,
en hommes et en femmes plongés par Dieu dans le bain du baptême : c’est
vivre en étant illuminé de la lumière du Christ lui-même au point de la
répandre et de permettre à d’autres d’en être illuminés s’ils le veulent bien. Paul a précisé, des années plus tard, ce que signifie vivre en fils de lumière : vivre dans la bonté, la justice, la vérité, savoir reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. Est-il utile de préciser davantage ?
Bartimée
s’est laissé éclairer par Dieu ; les Pharisiens, eux, refusent cette
lumière. A mesure que Bartimée voit, eux deviennent aveugles. Ils ne voient pas
Dieu à l’œuvre en Jésus ; ils ne reconnaissent pas ce qui est évident :
cet homme, qui est devant eux, était aveugle et maintenant il voit, par la
grâce de Dieu. A force de dénoncer ce qu’ils supposent être le péché de
Bartimée, ils ne voient pas qu’ils s’enfoncent eux-mêmes dans le péché, parce
qu’ils se ferment à Dieu, ils se ferment à sa lumière.
A l’exemple de Bartimée,
devenons des voyants, capables de reconnaître Dieu à l’œuvre autour de nous. A l’exemple
de Bartimée, portons aux hommes la lumière du Christ qui est en nous depuis
notre baptême. Vivons de la joie de l’Evangile ! Vivons de la joie d’être
sauvés, dès maintenant et pour toujours. Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, Mille images d'Evangile, éd. Presses d'Ile de France)