Gaëtan & Marie, en écoutant la
première lecture que vous avez choisie pour cette célébration, nous pouvons
légitimement être pris de vertiges, tant l’amour décrit par Paul est parfait,
tellement loin de nos amours humains. Qui n’a pas envie d’éprouver un tel
amour ? Qui n’a pas envie d’être aimé d’un tel amour ?
Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce
que vous a dit, jeudi, l’officier d’état civil qui vous a déclarés unis devant
la loi de notre République ? Il vous a rappelé que les difficultés
pourraient survenir dans votre vie. Vous n’êtes pas plus naïfs que moi ;
c’est une évidence qu’il vous a ainsi rappelée. Des épreuves, vous en
connaîtrez sans doute : tous les couples ici présents peuvent en
témoigner. Mais il vous a dit aussi que votre amour vous permettrait de les
vaincre. Il n’a pas tout-à-fait tort ; il a juste oublié, me semble-t-il,
de rappeler que l’amour vainc tous les obstacles à la condition qu’il soit de
la trempe de celui décrit par Paul. La langue française, d’ordinaire si riche
en vocabulaire pour décrire avec nuance quantité de choses, se révèle
soudainement bien pauvre pour exprimer l’amour. Ainsi, en français, on aime la
glace à la vanille ou les burgers de la même manière qu’on aime
quelqu’un ! C’est le même mot, sans aucune nuance. Or nous savons bien que
ce n’est pas vraiment pareil, n’est-ce pas ?
L’amour dont parle Paul, vous l’aurez
deviné, ne concerne que cet amour qui nous lie à quelqu’un. Il est un amour qui
ne souffre ni la nuance, ni la demi-mesure. Je soupçonne même Paul de penser
que l’amour, s’il n’est pas comme il le décrit, n’est qu’un ersatz d’amour, ou
pour reprendre une vieille publicité française : ce n’est qu’un amour
canada dry. Ça en a l’odeur, ça en a la couleur, ça en a le goût ; mais ce
n’est pas vraiment de l’amour. Pour Paul, l’amour est ce qui donne du goût à la
vie, du prix à nos actes, de la force à notre héroïsme. S’il me manque l’amour, dit-il,
je ne suis rien, cela ne sert à rien. Cet amour-là, nous dit aussi Paul, ne
s’apprend pas, il se reçoit. N’oublions pas comment Paul commence sa longue et
belle réflexion sur l’amour. Il disait : Frères, parmi les dons de Dieu, vous cherchez à obtenir ce qu’il y a de
meilleur. Eh bien, je vais vous indiquer une voie supérieure à toutes les
autres. Cette voie, c’est l’amour, mais l’amour accueilli comme un don de Dieu. Lui, le premier, nous a
aimés ainsi, parfaitement. Et c’est parce qu’il nous a aimés ainsi, qu’à notre
tour, puisant à la source de l’amour, nous pouvons aimer de la même manière.
Le signe de l’immense amour de Dieu pour
nous est présent dans chacune de nos églises, à la bonne place, visible de
tous. C’est le signe de la croix. Ce signe est commun à tous les
chrétiens ; il les rassemble tous. Les chrétiens des différentes
confessions se sont affrontés sur quantité de choses (l’organisation de
l’Eglise, les ministères, les sacrements…), mais jamais sur le signe de la
croix, jamais sur le signe de l’amour de Dieu pour nous. La croix est la folie
de l’amour de Dieu pour les hommes. Par amour, il est allé jusque-là, jusqu’à
mourir lui-même en Jésus pour nous faire vivre, pour nous faire comprendre à
quel point son amour pour nous est sérieux, grand et fort. Son amour pour nous
est plus grand, plus fort que la mort même. Il est l’ultime défi que les hommes
ont à relever : aimer tels qu’ils sont aimés de Dieu. Et l’amour de Dieu
pour nous, nous l’avons entendu, prend
patience, rend service, ne jalouse pas, ne se vante pas, ne se gonfle pas
d’orgueil, ne fait rien de malhonnête, ne cherche pas son intérêt, ne s’emporte
pas, n’entretient pas de rancune, ne se réjouit pas de tout ce qui est mal, mais
trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, fait confiance en
tout, espère tout, endure tout. Il ne passera jamais. Vous admettrez que
seul celui qui a été jusqu’au bout de l’enfer et en est revenu, peut ainsi
chanter l’amour et le qualifier à jamais. Lui seul peut dire qu’il aime
vraiment ; lui seul sait tout ce que demande un amour absolu. Mais nous
pouvons nous unir à lui pour vivre un amour semblable. Le Christ nous a aimés
jusque-là, non pas pour nous divertir ou parce qu’il n’avait rien de mieux à
faire ce fameux vendredi ; il nous a aimés jusque-là pour que, dans son
amour, nous puisions la force du nôtre ! Il n’est pas impossible d’aimer
ainsi dès lors que notre vie s’enracine en lui.
L’évangile que j’ai proclamé nous montrait
alors que Jésus n’a pas attendu d’être cloué en croix pour manifester cet amour
au monde. Son premier signe, selon l’évangéliste Jean, fut posé à Cana, en
Galilée, un jour de noces. La fête battait son plein et voilà que quelqu’un
s’inquiète. Tout pouvait partir en vrille parce qu’ils n’avaient pas de vin, ou n’avait plus de vin. A part le maître du
repas et ceux qui devaient faire le service, personne ne s’était encore rendu
compte de rien ; mais Marie, la mère de Jésus, avait tout entendu.
Aussitôt, bien que promptement remballé par son Fils, elle oriente les
serviteurs vers Jésus. Elle ne sait pas ce qu’il va faire, ni comment il va le
faire, mais elle sait qu’il fera quelque chose. Celui qu’elle a porté dans son
sein, celui que Dieu lui a donné en héritage, ne peut pas laisser gâcher la
fête. Dieu ne peut pas laisser s’achever la fête. La consigne de Marie est
claire : Faites tout ce qu’il vous
dira ! C’est la consigne qu’elle s’était appliquée à elle-même lorsque
tout a commencé : Que tout se passe
pour moi selon ta parole ! La suite, vous l’avez entendu : Jésus
a donné le vin de la fête, pas seulement quelques amphores pleines, mais six
cents litres de bon vin, du vin le meilleur. Quand Jésus est au cœur de la vie
des hommes, quand les hommes sont à l’écoute de Jésus, la fête ne finit jamais.
La foi en Jésus est trop importante pour être triste. L’œuvre de Jésus est trop
importante pour les hommes pour qu’elle ne les conduise pas vers une fête
éternelle à laquelle rien ne manquera. Il y avait, à Cana en Galilée, un homme
et une femme qui s’aimaient, qui célébraient leur amour et qui avaient pensé à
inviter Jésus, sans rien encore savoir de lui. Il y avait là aussi des
serviteurs qui ont écouté Jésus, suivi sa parole, et la fête a pu continuer.
Comme jadis à Cana en Galilée, il y a ici,
aujourd’hui, un homme (Gaëtan) et une femme (Marie) qui s’aiment et qui sont
venus célébrer leur amour. En venant dans cette église, c’est bien Jésus qu’ils
ont pensé à inviter, même si c’est furtivement. Dans un instant, coulera le vin
de la fête que Jésus nous offre en son sang, et nous romprons le pain, signe de
son corps livré par amour. Tout sera là, comme jadis, pour que la joie de la
fête soit complète. Mais avant cela, Gaëtan et Marie, vous nous aurez dit
publiquement que c’est bien par amour que vous êtes là. Et je vous dirai, au
nom de l’Eglise, que votre amour est un signe de cet amour de Dieu pour tous.
En vous aimant l’un l’autre, vous nous rappelez à tous que nous sommes faits
pour l’amour, nous sommes faits pour aimer et être aimés. Et à ceux qui ont pu
échouer dans leur quête d’amour, sera redit qu’ils sont aimés infiniment par
Dieu, peut-être même plus que les autres s’ils n’ont pas encore retrouvé le
goût de l’amour.
Gaëtan et Marie, à travers les textes que
vous nous avez faits entendre, vous nous redites que Dieu n’est pas un embêtement
de plus dans la vie, mais une chance de la réussir, une chance de lui donner
toute sa force, toute sa grandeur, toute sa vitalité. Laissez à Dieu une place,
même infime, dans votre vie, et vous goûterez longtemps au vin de la fête, vin
de la joie, vin de l’amour sans cesse versé par Dieu sur le monde. A travers
vous, à travers votre amour marqué du sceau de l’éternité, Dieu manifestera sa
gloire, et nous pourrons encore croire en lui. Amen.
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