La célébration qui nous réunit en ce
soir est indéniablement marquée par les événements qui se sont déroulés ces
derniers jours à Trèbes. Comment ne pas voir dans l’acte du lieutenant-colonel
Beltrame, qui a donné sa vie pour sauver celle d’une femme qui lui était
inconnue, comme une image du geste du Christ que nous commémorons en chacune de
nos eucharisties ? Comment, à l’évocation de ce courage, ne pas entendre au creux de notre mémoire cet
extrait de chants religieux qui convient si bien au Jeudi Saint qui nous
rassemble : ma vie, nul ne la prend,
mais c’est moi qui la donne ?
Si nous avions oublié la force de l’acte
posé par Jésus en ces heures qui précèdent sa mort, si le temps écoulé depuis
nous avait fait oublier que nous étions concernés par ce don, et qu’à notre
tour, nous pouvions nous trouver en situation de faire de même, voilà que cette
vie échangée dans un magasin de Trèbes nous le rappelle cruellement. Ce que
nous célébrons en chacune de nos eucharisties n’est pas romantique ; ce
que nous célébrons en chacune de nos eucharisties, ce n’est pas ordinaire, ni
banal. Ce que nous célébrons en chacune de nos eucharisties, c’est ce don
absolu de la vie d’un homme innocent livré aux mains des coupables que nous
sommes. Ce que nous célébrons en chacune de nos eucharisties, c’est l’amour
plus fort que la peur, l’amour plus fort que la mort. Ce que nous célébrons en
chacune de nos eucharisties, c’est le don de Dieu qui se livre totalement,
parce qu’il nous aime, alors même que nous n’avions rien fait pour le mériter.
Qui n’a pas été saisi par un sentiment de
reconnaissance envers lui et envers ces hommes et ces femmes qui ont fait de
notre sécurité leur métier en apprenant le geste courageux de cet officier
vendredi ? Qui n’a pas été saisi d’émotion en apprenant sa mort ? Ce
sont ces mêmes sentiments qui devraient nous animer ce soir alors que nous
faisons mémoire de ce dernier repas de Jésus avec ses disciples ! Reconnaissance
pour sa vie livrée une fois pour toutes afin que les hommes, ceux de son
époque, et tous ceux qui suivraient jusqu’à la fin des temps, ne connaissent
plus la peur d’être livré au Mal et à la Mort ! Emotion profonde devant
cette mort qui nous vaut la vie ! La messe qui nous rassemble n’est pas le
repas des amis de Jésus ; elle est le repas où Dieu convoque tous ceux et
celles pour qui Jésus a donné sa vie afin qu’à leur tour, ils apprennent, dans
les petites choses du quotidien le plus souvent, mais aussi dans le don réel de
leur vie quelquefois, à ne pas se satisfaire du Mal, à oser s’élever contre les
injustices, à oser prendre la défense du petit maltraité, persécuté, exploité. Le
don de Jésus, dans son Corps et dans son Sang, nous oblige !
Ce n’est pas un hasard si les deux gestes
rapportés par les évangélistes sont le lavement des pieds et le signe de l’eucharistie :
Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang, livrés
pour vous. Tout est contenu là : le don absolu de Dieu qui livre sa
vie pour notre vie et le renvoi vers le frère toujours à servir, toujours à
protéger. Comment pourrions-nous avoir part avec le Christ en ignorant sa
présence dans chacun être humain qu’il place sur notre route ? Comment
pourrions-nous avoir part avec le Christ en sacrifiant encore aux forces de
mort qui détruisent notre humanité et donc notre sainteté ? Comment quelqu’un
pourrait-il avoir part au Royaume en détruisant la vie par haine de celui qui
est différent, par haine de celui qui croit autrement, par haine tout
simplement ? Pour tuer le Mal, il ne faut pas tuer l’autre, il faut commencer
par tuer le Mal qui nous ronge de l’intérieur. Pour tuer le Mal, il ne faut pas
tuer l’autre, il faut commencer par oser s’élever contre tout homme qui a perdu
le sens du bien. Pour tuer le Mal, il ne faut pas tuer l’autre, il faut oser s’élever
contre quiconque ne sait plus respecter autrui. Pour tuer le Mal, il ne faut
pas tuer l’autre, il faut oser s’élever contre celui qui propage des discours
de haine. Pour tuer le Mal, il faut ne plus s’habituer à sa présence ; il
faut ne plus dire qu’on n’y peut rien ! Jésus, le premier, en offrant sa
vie, nous a dit qu’il était possible d’affronter et de vaincre le Mal ; Jésus,
en nous invitant au service des hommes, nous a montré la route à suivre. Un homme
courageux nous a montré la semaine passée que cette route était la seule à
suivre. Nous ne construirons pas un monde meilleur en détournant les yeux. Nous
ne construirons pas un monde meilleur en nous taisant. Nous ne construirons pas
un monde meilleur en refusant le combat contre toute forme de Mal. Il n’y a pas
de petit Mal et de grand Mal : il n’y a que le Mal, toujours à combattre.
Chrétiens, nous recevons le Corps et le Sang
livrés du Christ comme une nourriture qui nous rend forts et capable d’affronter
toute forme de Mal. En accueillant Jésus dans le Pain et le Vin eucharistique,
c’est la vie du Christ que nous accueillons ; c’est la vie du Christ que
nous laissons agir en nous pour qu’elle rende actuelle pour nous la libération
du Mal. A la suite du Christ, entrons dans ce combat avec courage et
détermination. Que plus jamais le Mal ne passe par nous. Amen.
(Armia El Katcha, Le lavement des pieds, icône copte, publié par France catholique n° 3578)
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