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mercredi 17 avril 2019

Jeudi Saint - 18 avril 2019

Cessons d'être des chrétiens médiocres !





            Ce jeudi saint sera sans doute le plus triste de mes vingt-sept ans de sacerdoce. Triste parce que marqué par la crise que traverse l’Eglise, crise liée aux comportements déviants de certains prêtres. Même s’ils sont peu nombreux au regard du nombre de prêtres à travers le monde, ils sont toujours de trop et entachent sérieusement et durablement la réputation de tous les prêtres. Triste aussi parce que, pour une fois, je ne ferai pas de lavement de pieds. Il paraît que ce n’est pas possible ici, les adultes étant peu enclins à se laisser faire ; quant à le faire avec des enfants, la crise, mentionnée plus haut, aura eu vite fait d’éveiller méfiance et soupçon chez certains. J’ai donc renoncé à poser le geste, mais pas à en parler.


            Je crains que ce geste, beau et fort, n’ait jamais vraiment été compris. Déjà Jésus avait dû vaincre les réticences de Pierre, réagissant violemment lorsque Jésus se présente devant lui, à genoux, tablier à la ceinture, bassin et linge à la main. Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! S’il avait bien compris le geste, il n’a pas compris pourquoi Jésus le posait à ce moment-là de son existence. Nous sommes à quelques heures de son arrestation, de son jugement et de sa mort. Et c’est bien là qu’il prend tout son sens. L’évangéliste Jean, lorsqu’il nous parle du dernier repas de Jésus, ne le fait pas comme les autres. Il n’y a pas chez lui d’institution de l’Eucharistie ; il n’y a pas chez lui les gestes et les paroles au sujet du pain et du vin, devenant son Corps et son Sang livrés pour que nous ayons la vie. Il y a, chez Jean, ce geste du lavement des pieds, l’institution de ce que l’on a appelé le sacrement du frère qui est toujours à servir à la manière dont le Christ a servi les hommes. La messe, c’est bien et c’est nécessaire : c’est pour cela que nous relisons et le livre de l’Exode qui nous rappelle le sens de la Pâque juive, et l’extrait de la première lettre de Paul aux chrétiens de Corinthe, qui est le texte le plus ancien qui nous parle des gestes et paroles de Jésus, au soir de sa mort, sur le pain et le vin, donnant à la Pâque juive un sens plus fort encore. C’est toujours la fête de la libération, mais elle se fait désormais par Jésus, l’Agneau immolé une fois pour toutes afin que tous les hommes puissent vivre. C’est ce sacrifice que nous commémorons à chaque eucharistie, en proclamant notre foi en Jésus, mort et ressuscité, dont nous attendons le retour dans la gloire.


            Hélas, une médiocrité de la pensée a rapidement entraîné une double médiocrité des actes. D’abord, oubliant le texte de Jean, nous avons fait des prêtres des êtres à part, plus sacrés que consacrés, parce qu’ils avaient ce « pouvoir » de rendre Jésus présent dans le pain et le vin de l’eucharistie, oubliant que c’est Jésus lui-même qui se rend présent. Cette première médiocrité des actes en a entraîné une autre, de la part de certains de ceux qui avaient ainsi été portés aux nues. Ils ont abusé l’Eglise en abusant les plus faibles ! Ils ont abusé d’un pouvoir qui n’était pas le leur, mais dont ils devaient être les serviteurs. Et cette double médiocrité des actes entraîne à nouveau, aujourd’hui, une médiocrité de la pensée qui fait que les hommes se méfient désormais des prêtres, au point de voir le mal dans le plus noble geste qu’ils puissent poser : celui de s’abaisser devant les petits pour les servir à travers le lavement des pieds. Nous, prêtres, témoignons ainsi que notre place est bien là, à genoux, à servir le petit et le faible, et non pas à mettre le faible et le petit à genoux devant nous pour nous servir. Se méfiant des prêtres, les hommes ne réfléchissent plus ; ne réfléchissant plus, ils n’aiment plus ; n’aimant plus, ils font gagner Satan, qui ne se réjouit jamais autant que quand l’amour recule, voire disparaît. Quelle belle occasion nous avons manqué ce soir de comprendre et ce beau geste, et la place du sacerdoce dans l’Eglise de Jésus Christ. Quelle tristesse d’en être arrivé là !


            Comment nous en sortir ? En apprenant, prêtres et fidèles laïcs, l’obéissance au Christ, qui nous a dit, en ces deux gestes présentés dans les lectures de ce Jeudi Saint, de faire cela en mémoire de lui, comme lui a fait pour nous. Nous nous en sortirons en approfondissant toujours plus l’enseignement de Jésus pour comprendre mieux à quoi il nous invite. Nous nous en sortirons en quittant cette méfiance qui pourrit la vie à tout le monde, qui empêche d’avancer, qui empêche d’aimer. Cessons d’être des disciples médiocres ! Devenons ce que le Christ attend de nous : des frères qui s’aiment, des frères qui se respectent, des frères qui se mettent ensemble au service des plus faibles et des plus petits. Amen.


(Tableau de Duccio di Buoninsegna, Le lavement des pieds, 1310, Musée de l'Opera del Duomo, Sienne)

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