Jean le Baptiste, l'homme des passages.
A côté des prophètes de la Première Alliance, il y a un autre personnage qui domine le temps de l’Avent : c’est Jean le Baptiste. Deux dimanches lui sont consacrés durant ce temps de préparation à Noël au point qu’il est quelquefois difficile de faire comprendre que si Jean annonce bien la venue du Messie, il n’en annonce pas pour autant la naissance. Quand Jean paraît dans le désert, Jésus lui-même est déjà grand et en passe de commencer son ministère. C’est un personnage intéressant, parce qu’il aurait pu tirer partie de sa notoriété, du fait que les foules venaient se faire baptiser par lui. Il n’en fait rien ! Au contraire, Jean reste à la place qui est la sienne, celle à laquelle Dieu l’a appelé : il est l’homme des passages.
Il est l’homme des passages parce qu’il ne garde pas auprès de lui ceux qu’il baptise. Il les renvoie dans leur vie. Les foules viennent vers lui pour se faire baptiser, mais aussi pour le consulter : Que devons-nous faire ? J’aime la sobriété de la question. Ce n’est pas une question religieuse d’abord au sens où ceux qui viennent vers Jean chercheraient comment entrer dans le Royaume, par exemple. Cette question : Que devons-nous faire ? est d’abord une question existentielle : comment devons-nous vivre ? Les foules viennent à Jean comme elles iraient vers un sage. Est-ce sa peau de chameau, sa vie plutôt austère qui les attirent, qui le font reconnaître comme un sage ? Nous n’en savons rien. Ce que disent les évangélistes, c’est que des foules viennent à lui et Luc nous dit aujourd’hui qu’il les renvoie dans leur existence : Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; et celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ! Ce n’est même pas une leçon de morale, mais juste des pistes pour un mieux vivre ensemble, une manière de concevoir sa vie comme étant liée à celle des autres, une manière de concevoir son bonheur comme lié au bonheur des autres. Cela se vérifie avec son adresse aux collecteurs d’impôts et aux soldats. Aux premiers, il recommande de n’exiger rien de plus que ce qui est fixé ; et aux seconds, il recommande un respect des autres (Ne faites de violence à personne, n’accusez personne à tort) et de savoir se satisfaire de ce qu’ils ont (Contentez-vous de votre solde). Là encore, ce n’est pas une leçon de morale, mais une indication pour vivre mieux avec les autres. Jean veut faire passer les hommes et les femmes de son temps dans un monde nouveau où le profit, la violence, le mensonge n’ont pas cours.
Jean est encore l’homme des passages lorsqu’il renvoie vers un autre. Il ne joue pas à être celui qu’il n’est pas. Il aurait pu en profiter pour jouer à la star : le peuple était en attente et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Il lui eut été facile d’aller dans le sens de la foule ; elle l’aurait sans doute suivi s’il avait joué au Christ ! Mais quand on est l’homme des passages, on renvoie vers celui que l’on annonce : Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Il ne revendique rien pour lui ; il ne réclame même pas une reconnaissance particulière ; il pointe vers un autre. Me vient à l’esprit la belle représentation de Jean le Baptiste du retable d’Issenheim. Il est au pied de la croix, le doigt pointé vers le Crucifié. Ce n’est pas Jean qu’il faut regarder ; c’est le Christ. L’homme des passages est aussi l’homme qui s’effacera quand il aura baptisé celui qu’il a annoncé. Il nous indique ainsi le rôle du vrai disciple : faire voir le Christ, le donner à rencontrer, sans se mettre en avant. Il ne se place même pas en modèle à suivre. Il dit comment il faudrait vivre ; il dit qui il faut suivre. Là s’arrête sa mission. On pourrait appliquer à Jean la parole de Bernadette Soubirou : on m’a chargé de vous le dire, pas de vous le faire croire. Ceux qui viennent vers Jean sont libres de suivre ses conseils ou pas. Mais s’ils choisissent de les suivre, ils vivront mieux ; ils seront signe qu’un autre monde est possible et que ce monde commence maintenant, avec eux. Jean le Baptiste, celui qu’on vient voir comme on va consulter un sage, renvoie vers un autre comme l’ont fait avant lui tous les prophètes. Comme eux, il transmet fidèlement au peuple la Bonne Nouvelle. Comme eux, il renvoie vers cet Autre qui viendra de Dieu. Que les gens l’écoutent ou pas, peu importe après tout. Il annonce, il indique, il oriente ; les gens disposent.
Annonçant
la venue du Christ, Jean est enfin l’homme des passages en clôturant en quelque
sorte le Premier Testament. Homme des passages, il est l’homme du seuil qu’il
faut franchir pour entrer dans ce monde nouveau que le Christ vient inaugurer. Comme
Moïse, il contemplera, de sa prison, ce monde nouveau qui germe, mais n’y
entrera pas. Il ne pourra pas marcher à la suite du Christ, mais lui aura
grandement préparé le chemin. Son rôle est irremplaçable dans ce grand projet
de salut de Dieu pour les hommes. De Jean, apprenons à vivre mieux les uns avec
les autres ; par lui, découvrons le Christ qui se tient à notre porte ;
comme lui, annonçons la Bonne Nouvelle pour que le monde se convertisse et qu’il croit. Et souvenons-nous que
ce monde nouveau que le Christ a inauguré se construit avec nous, dès
maintenant. Amen.
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