De grâce, laissons le jugement à Dieu !
Qu’est-ce qui ne va pas dans l’évangile de ce dimanche ? Qu’est-ce qui est choquant ? Est-ce la prière du pharisien qui étale ses mérites devant Dieu ? Est-ce le fait que le publicain, collecteur d’impôts, donc collaborateur de l’occupant romain, soit déclaré juste plutôt que le pharisien qui respecte pourtant scrupuleusement la Loi de Dieu ? Pour moi, rien de tout cela n’est choquant. Ce qui est choquant, c’est la raison pour laquelle Jésus raconte cette parabole. Et la raison, la voici : certains étaient convaincus d’être des justes et méprisaient les autres. Voilà ce qui est choquant selon moi.
Comment pouvons-nous mépriser quelqu’un ? Comment pouvons-nous croire que nous vaudrions plus que les autres, ou que quelqu’un vaut moins que nous ? Ne sommes-nous pas tous égaux ? Ne sommes-nous pas tous faits de la même pâte ? Le mépris des autres, ajouté à la croyance que le groupe auquel nous appartenons vaut plus que les autres, a conduit à l’esclavage, au racisme, à la déportation de nos frères et sœurs juifs et autres (tziganes, homosexuels…) lors de la deuxième guerre mondiale ; et cela conduit aujourd’hui à une nouvelle guerre aux portes de l’Europe, pour ne prendre que notre continent. Les discussions qui vont s’ouvrir sur la fin de vie ne risquent-elles pas aussi de reproduire ce même travers, en identifiant des vies qui ne vaudraient plus d’être vécues et auxquelles nous pourrions alors mettre fin, sans nous sentir coupables, sous couvert d’un droit à mourir dans la dignité ? Le mépris de l’autre exclut ; le mépris de l’autre tue, même si ce n’est que socialement. C’est toujours dramatique.
La réponse à cette attitude choquante est pourtant simple quand on est croyant : elle consiste à laisser Dieu, et lui seul, être l’unique juge en la matière, au moment qu’il aura fixé. N’écrivons pas l’histoire des hommes plus vite que Dieu. Le temps du jugement viendra ; mais ce temps ne nous appartient pas ; le jugement ne nous appartient pas. Voyez les deux hommes de la parabole ; à la fin de l’histoire, le juste n’est pas celui qu’on aurait cru au début. Dans la bonne société, le match pharisien contre publicain était clairement en faveur du pharisien. Ce qu'il dit des autres, il ne le fait pas, nous pouvons le croire sur parole. Il n’est ni voleur, ni injuste, ni adultère. Il jeûne bien deux fois par semaine et verse bien le dixième de tout ce qu’il gagne. Un homme parfait aux yeux de sa société. Il a tout pour lui, au contraire du publicain, dont le seul métier – collecteur d’impôts – le disqualifie aux yeux de son peuple, puisque sa fonction l’oblige à collaborer avec l’occupant romain. En d’autres temps, on en a tondu ou fusillé pour moins que ça. Et pourtant dit Jésus : Quand ce dernier (le publicain donc) redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre (le pharisien donc). Pourquoi cette différence de regard ? Parce que Dieu ne regarde pas comme nous. Il ne dit pas que ce que vit le pharisien est mauvais ; il dit que l’attitude du publicain, aux yeux de Dieu, est plus juste, plus ajusté à ce que Dieu attend des hommes.
Là il me faut alors préciser, sans tarder, que Dieu n’attend pas de nous du misérabilisme (oh Seigneur, vois comme je ne suis pas bien du tout ; ce n’est d’ailleurs pas ce que fait le publicain), ni que nous n’étalions devant lui que nos défauts. Ce qu’il attend de nous, c’est que nous soyons vrais devant lui, sans nous comparer aux autres. Ecoutez ce que disait Ben Sirac le Sage : Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes. Il ne défavorise pas le pauvre. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin. Le publicain, dans son attitude toute faite de contrition, sera écouté, parce qu’il a besoin du regard favorable de Dieu sur sa vie pour sortir de sa condition de pécheur : Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis ! Ecoutons encore Ben Sirac : Celui dont le service est agréable à Dieu est bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. C’est le pharisien qui aurait dû se souvenir de ce passage de l’Ecriture. Car nul doute que son service (son jeûne et son partage) est agréable à Dieu ; mais il a du mépris pour les autres hommes qui ne sont pas aussi bien que lui, qui sont comme ce publicain. Et surtout, il n’attend rien de Dieu ; il ne fait aucune demande ! Comme les hommes de son temps, Dieu voit et apprécie ce que ce pharisien fait de positif (jeûne et partage) ; mais il entend aussi le mépris affiché envers ceux qui ne sont pas et ne font pas comme le pharisien. Celui qui se place au-dessus des autres devant Dieu ne peut pas être reconnu comme un homme juste.
Ecoutez Paul, pharisien, fils de pharisien, dans sa lettre à Timothée. On pourrait croire qu’il se vante en disant tout ce qu’il a bien fait : J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de justice. Il ne fait que dire ce qui est vrai, comme le pharisien de la parabole. Mais, à sa différence, il ne méprise personne, il ne dit pas qu’il est le seul à avoir fait ainsi. Ecoutez-le bien : Le Seigneur, le juste juge, me la remettra (la couronne de justice) en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse. Et concernant ses adversaires, il ne demande ni leur défaite, ni leur anéantissement : La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. Une demande adressée à Dieu qui sera entendue et exaucée. Bien que pharisien, vivant sa foi avec ardeur et sérieux, Paul sera reconnu comme un homme juste. Sa prière est ajustée à sa vie ; sa prière est ajustée à sa foi en Dieu qui a envoyé son Fils pour sauver les pécheurs : d’où sa demande envers ceux qui l’ont abandonné.
Le pharisien de la parabole n’a pas vu son attitude
ne pas être reconnu juste parce qu’il est pharisien, mais parce que ni son
regard, ni sa prière ne sont ajustées au Dieu qu’il sert ; il n’a pas
besoin de Dieu ; son refuge, ce sont ses actes de piété. Le publicain n’est
pas reconnu juste parce qu’il est publicain, il est reconnu juste parce que sa
prière est ajustée au Dieu auquel il s’adresse ; c’est le Dieu qui prend
pitié, le Dieu qui invite à la conversion, le Dieu juste qui juge avec justice.
Comme le psalmiste, il a su reconnaitre en Dieu le Seigneur
qui rachètera ses
serviteurs ; il se souvient qu’il n’y a pas de châtiment pour qui trouve en Dieu son refuge. Faisons de même, ajustons-nous à la justice et à la bonté de Dieu ;
plaçons notre confiance en lui sans renoncer à vivre conformément à notre foi,
sans orgueil et sans mépris pour ceux qui ont plus de difficulté. Et surtout, de
grâce, laissons Dieu, et lui seul, être notre juge et celui de toute l’humanité.
Nous nous en sortirons tous bien mieux. Amen.
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