Pâques, l'expérience d'un amour qui s'ajuste à moi.
Il a osé, il ne recule devant rien ! En publiant sur son propre réseau social, puis sur celui de la présidence américaine, cette photo où on le voit habillé comme un pape, cet homme prouve à tous ce que l’on supposait déjà : il ne respecte rien, ni personne ; tout ce qui compte, c’est qu’il puisse se mettre en avant et provoquer. Tout le contraire de ce qu’il aimerait incarner. Il l’avait dit la veille à un journaliste qui l’interrogeait : « J’aimerai être pape. Ce serait mon choix numéro un ». Sa mine sévère sur la photo le place à mille lieux de ce que les hommes sont appelés à découvrir de Dieu à travers celui qu’Il donnera comme pasteur à son Eglise. Il n’y a ni amour, ni tendresse, juste de l’arrogance et de la soif de pouvoir. Tout ce que nous ne devons ni imiter, ni désirer. Heureusement pour nous, c’est Dieu qui choisira le prochain pape.
Il a osé, il ne recule désormais devant rien ! C’est ce que nous pouvons dire en voyant la certitude de Pierre lorsqu’il répond au grand prêtre : Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Il sait maintenant, par expérience, qu’il y a plus à attendre et à espérer de la part de Dieu que des hommes, fussent-ils ceux qui le servent et qui prétendent agir en son nom. Il est loin le temps où Pierre affirmait ne pas connaître celui qui alors passait en jugement avant d’être exécuté sur le bois de la croix. Il a fait l’expérience de l’amour et de la tendresse infinie de Dieu envers lui ; il affirme avec audace que le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus… c’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Avec les Apôtres, il est tout joyeux d’avoir été jugé digne de subir des humiliations pour le nom de Jésus. Il a accepté ce que disait Jésus : le disciple n’est pas au-dessus de son maître, et que le chemin que Jésus a emprunté pour nous sauver est chemin de vie pour les hommes qui croient en lui. Rien ne peut faire peur a celui qui se sait déjà sauvé et toujours aimé.
Il a osé, il ne recule devant rien, Jésus, lorsqu’il parle avec Pierre sur le bord de la mer de Tibériade. Après s’être fait reconnaître par ses disciples et avoir partagé avec eux un repas, il prend à part celui qui avait renié, et par trois fois l’interroge : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? La première fois en demandant s’il l’aime vraiment, plus que ceux-ci, c'est-à-dire plus que les autres ! La deuxième fois en lui demandant s’il aime vraiment. La dernière fois s’il l’aime, tout simplement, sans rien ajouter de plus. La langue française rend très mal la profondeur de ce dialogue qui joue sur différents verbes grecs qui parlent d’amour. Le texte original nous montre l’audace de Jésus et ce qu’il fait pour nous. En effet, dans sa première question, Jésus demande à Pierre : m’aimes-tu d’amour agapè, autrement dit, de charité, de cet amour qui va jusqu’au don ultime, de cet amour dont Jésus a fait montre sur la croix. Et Pierre répond : je t’aime d’amour philia, c'est-à-dire : je t’aime d’amitié. Ce n’est pas la même chose. D’où sans doute la deuxième question : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? toujours en parlant de l’amour agapè, histoire de vérifier que Pierre a bien compris la question. Et Pierre de répondre encore qu’il aime Jésus comme un ami. Et l’on entend Jésus qui ne se décourage pas et qui n’abandonne pas. La troisième fois, Jésus l’interroge : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? en utilisant le verbe qui dit l’amour philia, l’amour d’amitié. Et Pierre, bien que peiné, lui répond : Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime, en utilisant toujours l’amour d’amitié. Comprenez-vous ce que Jésus a fait pour Pierre, et qu’il fait pour chacun de nous ? Il l’interroge d’abord en lui demandant la plus haute forme d’amour, parce que c’est ainsi qu’il aime Pierre, c’est ainsi qu’il nous aime. Et devant l’impossibilité répétée de Pierre, soit de comprendre la question, soit de répondre par le même amour, Jésus abaisse ses prétentions, Jésus se met à portée de Pierre : puisque ce dernier semble bloqué sur le registre de l’amour d’amitié, Jésus va là où est Pierre. Il ne lui reproche pas ce qu’il ne peut pas donner pour l’instant. Il prend ce que Pierre peut lui donner ; il prend l’amour que nous pouvons lui donner, et tant pis si cet amour n’est pas parfait.
Il a osé, il ne recule devant rien pour nous dire son amour. Et si nous avons du mal à comprendre combien nous sommes aimés de Dieu, et si nous avons du mal à comprendre la croix comme signe de l’amour de Jésus pour nous, Jésus s’abaisse encore. Il nous dit l’idéal à atteindre à travers ses premières questions ; mais il nous offre, avec sa dernière interrogation, une porte de sortie à notre mesure pour que nous ne reculions jamais devant la nécessité d’aimer. En fait, il nous dit qu’il n’est pas nécessaire d’aimer tout de suite d’un amour absolu pour commencer à aimer Dieu, pour commencer à aimer les frères qu’il met sur notre route. Ce qui compte, c’est justement que nous commencions à aimer, même si ce n’est que d’amitié. L’amour s’exerce, l’amour grandit : quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture ; une manière peut-être de nous dire que nous apprendrons, avec l’âge, à faire confiance, à nous laisser faire, à aimer autrement. Alors aimons comme nous pouvons, en attendant d’aimer comme Dieu nous aime. C’est tout ce qui importe. Ne désespérons ni de nous, ni des autres, et surtout pas de Dieu. Il nous accompagne dans notre apprentissage de l’amour ; il nous a donné son Fils en exemple vivant de l’amour parfait. A l’écouter, à le suivre, nous finirons peut-être par savoir aimer comme il nous aime. Et si d’aventure nous n’y arrivions pas, il porterait quand même à notre crédit nos essais d’aimer, même s’ils sont petits, même s’ils peuvent nous paraître insignifiants. En se mettant à portée de Pierre, Jésus nous dit qu’il n’est jamais insignifiant d’aimer, que c’est toujours ce qu’il faut faire, même imparfaitement, même petitement.
C’est cela la beauté de Pâques ; c’est la beauté de l’amour divin qui s’ajuste à nos capacités pour que pas un ne se décourage, pour que pas un ne puisse dire : cela ne me sert à rien d’aimer puisque je n’arrive pas à aimer comme Dieu attend que j’aime. Aimer comme Dieu nous aime est le résultat d’un compagnonnage avec Jésus ; il y faut plus ou moins de temps, beaucoup de patience, beaucoup d’essais, beaucoup de pardon aussi. Commencer à aimer par contre est le résultat d’un choix, qui peut se faire ici et maintenant, pour chacun de nous. Et si à notre tour, nous osions et ne reculions devant rien pour aimer toujours, pour aimer chacun, même juste un tout petit peu ? Chiche, on essaie ? Amen.