Il y a des moments où je regrette de n’avoir
pas vécu à la même époque que Pierre, Jacques et Jean. Et même des moments où
je regrette même de n’avoir pas été l’un d’eux. Imaginez : être choisi par
Jésus pour vivre un moment unique comme celui de la transfiguration !
Quelle chance ! Comment ne pas sentir sa foi en Jésus être renforcée ?
Comment ne pas redescendre de la montagne heureux et fort ? Mais bon, vous
comme moi, c’est en 2019 que nous vivons et cet épisode est loin maintenant. Nous
en gardons le souvenir par les évangélistes qui ont rapporté ce que ces
trois-là leur ont confié plus tard. Alors, sommes-nous définitivement privés de
voir la gloire de Dieu de notre vivant ?
Certains affirmeront : ça va venir,
mais plus tard, sous-entendant que cette expérience est unique et ne se fera
pour nous que par-delà la mort. Selon eux, nous ne pouvons pas, ici-bas,
contempler la gloire de Dieu. S’il est vrai que nous ne connaîtrons Dieu
parfaitement que lorsque nous serons appelés à vivre pleinement auprès de lui,
il n’est pas vrai de dire ou de croire qu’une expérience comme celle que font
Pierre, Jacques et Jean n’est pas pour nous, dès ici et maintenant. Au
contraire, il n’y a pas de meilleur moment, ni de meilleur lieu que celui où
nous sommes, pour vivre justement la même expérience.
A chaque eucharistie, en effet, Jésus nous
emmène, comme jadis Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne, pour prier,
c'est-à-dire pour faire une rencontre avec Dieu. L’espace sacré du chœur est ce
lieu de la montagne où Dieu se révèle à nous dans sa parole lue et commentée ;
il se révèle à nous également dans le pain et le vin de l’Eucharistie où sa
gloire se donne en partage pour notre salut. Nous y sommes invités par le
Christ, pour prier. Non pas pour faire nos dévotions personnelles, mais pour
prier de la prière même de Jésus, la prière de l’Eglise qui s’unit au Christ
pour rendre à Dieu la gloire qui lui revient. Au cours de la messe, nous
rencontrons Dieu, seul et en Eglise. Quelquefois nous sommes comme Pierre,
Jacques et Jean, accablés de sommeil,
ne comprenant pas bien ce qui se passe ; mais quelquefois, nous sommes
aussi comme Pierre et ses compagnons, résistant pour rester éveillé, et
comprenant que quelque chose d’extraordinaire et de grandiose se joue ici.
Oui, ici et maintenant, nous pouvons
contempler la gloire du Christ ; oui, ici et maintenant, nous pouvons
rencontrer Dieu lui-même qui nous redit comme jadis : celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le !
Et lorsque nous prenons à cœur d’écouter cette parole, nous pouvons nous sentir
transportés, proches de Dieu lui-même. N’avez-vous jamais eu chaud au cœur en
entendant telle parole d’Evangile qui vous rejoignait particulièrement dans
votre existence ? N’avez-vous jamais eu l’envie de prolonger ce cœur à
cœur avec Dieu alors que tous quittaient l’église pour s’en retourner chez
eux ? Je ne dis pas que cela se produit à chaque fois, mais de temps en
temps, quand je suis bien disposé, bien attentif, quand je me laisse guider par
le Christ lui-même ; alors sa parole me touche, alors sa parole me
concerne, alors sa parole me convertit.
Oui, comme je comprends Pierre qui veut
prolonger ce moment à contempler la gloire de Dieu ! Comme je comprends
son envie de rester là, en dressant des tentes : on est si bien auprès de
Dieu. Mais nous le savons, la gloire de Dieu nous est révélée pour que nous en
témoignions. Les disciples devaient garder le silence parce que cette
expérience ne prendra sa pleine force qu’après Pâques, quand le Ressuscité se
manifestera pour raffermir ses disciples. Au moment de la Transfiguration, ils
ont un avant-goût de ce que sera la gloire du Christ, après son passage par la
croix et son retour vers le Père. Mais nous qui vivons en 2019, nous n’avons
pas à nous taire ; au contraire, il nous faut témoigner de ce Jésus, mort
et ressuscité pour notre vie, mort et ressuscité pour la vie du monde. Comment ne
pas partager ce que nos cœurs croient, ce que nos yeux voient de la gloire du Christ
à l’œuvre dans notre monde. Je veux bien admettre qu’en ces temps qui sont les
nôtres, où des révélations sordides succèdent à d’autres toutes aussi sordides,
nous ayons du mal à contempler cette gloire ; mais je veux admettre aussi
que le péché de quelques-uns ne saurait ternir la fidélité des autres, bien
plus nombreux. L’Eglise reste sainte quand bien même les pécheurs y seraient
les plus nombreux.
En sortant de cette église, nous ne serons
peut-être pas tous transportés par ce qui aura été vécu ici, mais tous, nous
pourrons avoir la certitude que Dieu lui-même nous a approchés, qu’il nous a
parlés et qu’il nous a nourris. De tous, il a fait des citoyens des cieux appelés à une vie plus grande, plus belle.
Puissions-nous ne pas être accablés de
sommeil, mais garder au cœur ce que nous aurons vu et entendu, en fidèles
ouvriers de l’Evangile. Amen.
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