(En ce troisième dimanche de Carême, dans toutes les églises d'Alsace, sera donnée l'homélie ci-dessous, rédigée par Mgr Luc RAVEL, archevêque de Strasbourg).
L’évangile du jour
place le mal au centre. La coïncidence est belle car, vendredi prochain, nous
sommes tous invités à une journée de jeûne et de prière pour lutter contre les
abus sexuels dans l’Église. Ces abus sont un très grand mal. Ils cassent des
vies en morceaux. Le pape François nous a annoncé une « bataille totale contre les abus » dans l’Église. Les termes sont
guerriers mais personne ne s’y trompe : nous sommes en état de guerre contre le
mal introduit par la perversion de quelques uns. Ne pas s’y intéresser personnellement, c’est traverser le
champ de bataille la fleur au fusil. C’est une inconscience grave : « Je voudrais ici réaffirmer clairement : si
dans l’Église on détecte même un seul cas d’abus – qui représente déjà en soi
une horreur –, un tel cas sera affronté avec la plus grande gravité. Frères et sœurs, dans la colère légitime des
personnes, l’Église voit un reflet de la colère de Dieu, trahi et frappé par
ces consacrés malhonnêtes. L’écho du cri silencieux des petits, qui au lieu de
trouver en eux une paternité et des guides spirituels ont trouvé des bourreaux,
fera trembler les cœurs anesthésiés par l’hypocrisie et le pouvoir. Nous avons
le devoir d’écouter attentivement ce cri silencieux étouffé » (Pape
François, 25 février 2019, Discours de clôture de la rencontre sur les abus
sexuels).
Ne pas s’y intéresser,
oser dire qu’on en parle trop, c’est mépriser les victimes. Dans l’armée, on
parle d’abandon de poste. Collectivement,
le diocèse cherche avec vous les bonnes pratiques et nous aboutirons avant la
fin de l’année. Rappelons qu’aucun état religieux ne donne une immunité.
Personnellement,
nous avons à nous impliquer tous au niveau de l’écoute, de la prière, de la
conversion. Je laisse la question absolument primordiale de l’écoute : chaque
chrétien doit devenir un cœur qui
écoute. Un amour qui prend soin des plus
petits et des plus blessés. C’est le but de notre marche diocésaine actuelle.
Voyons les deux autres implications personnelles.
1. La prière, le jeûne et l’esprit du
mal.
La prière et le jeûne : ce sont les armes du Christ,
les armes de lumière qui n’excluent aucune des autres mesures juridiques,
pénales et pastorales. Ces « armes spirituelles » n’éliminent pas les autres
moyens. Elles les complètent car cette bataille n’est pas seulement à taille
humaine. Il y a des causes humaines : troubles moraux, perversions psychiques
ou abus de pouvoir. Les crimes se réalisent à travers ces choses terribles qui
seront condamnées. Mais il y a plus. Il y a la patte de l’esprit du mal.
Écoutons encore le pape François : « Frères et sœurs, nous sommes aujourd’hui
face à une manifestation du mal, flagrante, agressive et destructrice. Derrière
et à l’intérieur de tout cela, il y a l’esprit du mal qui, dans son orgueil et
son arrogance, se sent le maître du monde et
pense avoir vaincu. (…) Dans ces cas douloureux, je vois la main du mal qui
n’épargne même pas l’innocence des petits. (…) Derrière cela se trouve Satan. »
(Ibid.)
La présence de l’esprit du mal ne diminue pas du tout
la responsabilité des coupables. Mais le pape nous invite à voir plus loin. Une
certaine théologie, douteuse, a esquivé l’existence active de Satan, de
l’esprit du mal. Certains ont voulu jeter à la poubelle ce qui leur semblait
être des vieilles superstitions, liées aux anges, bons ou mauvais. Il y a
peut-être eu, jadis, des excès dans les prédications. Mais nier la réalité
n’est pas meilleur : on peut bien cacher le soleil avec sa petite main, il n’en
brille pas moins. Il y a donc dans notre monde d’autres forces que celles des
hommes. Ces forces s’attaquent directement aux esprits humains. Ainsi, des
esprits mauvais, preneurs d’otages du psychisme, terroristes de la pensée, ont
courbé l’intelligence et tordu le cœur d’un certain nombre de prêtres. Contre
ces esprits, ce n’est point la crainte ou le droit mais la prière et le jeûne qui
sont efficaces, « pour nous empêcher de
désirer le mal », confirme saint Paul (2ème lecture).
La pénitence jointe à la prière vise à laisser plus de
place au Christ dans notre vie. S’ouvrir ainsi de façon nouvelle au Christ nous
pose dans une autre dimension de notre bataille : lutter contre le mal ne
suffit pas, il faut aussi avancer dans le bien.
2. La conversion :
Et c’est notre deuxième implication personnelle : la
conversion.
Le propos du Christ dans
cet évangile est d’une rare violence. En toile de fond, la mort d’innocents qui
ont eu le seul tort d’être sous la tour de Siloé au mauvais moment ! Cette
violence verbale dit franchement une
chose : nous avons besoin de nous convertir. Tous les chrétiens, et donc tous
les prêtres et évêques, ont besoin de se convertir : les bons pour progresser,
les mauvais pour changer. Et nous sommes un peu des deux.
Nous devons être
convaincus que nous ne sommes pas faits pour rester au même niveau chrétien.
Pour redoubler à l’infini la même classe d’école. Pour ronronner dans une foi
satisfaite, même pratiquante. Nous sommes faits pour avancer. Or, dans la vie
chrétienne, on avance par sauts, par conversions successives. Ne pas le savoir,
c’est se condamner à la régression par la force des habitudes : « On a toujours
fait comme ça ! » Nous sommes des non-convertis si nous ne nous
considérons pas comme à convertir.
Pas un d’entre nous ne devrait se dire converti, même s’il est chrétien depuis
quatre-vingt ans.
Or, l’appel à la
conversion se reçoit souvent lors d’une occasion brutale : un accident, un
passage près de la mort, une forte déception…
3.
Trois occasions de conversion.
Regardons pour l’exemple
les trois cas « d’accident » traités par le Christ et qu’il nous présente comme
autant d’occasions de conversions.
Les
galiléens massacrés disent leur sang mêlé à celui des
sacrifices qu’ils offraient. Ce sont les prêtres, massacrés aujourd’hui à cause
de quelques uns d’entre eux. Beaucoup le vivent difficilement. Ne leur faut-il
pas entendre ce message du sang versé alors qu’ils offrent le sang très pur du
Sacrifice ? C’est la conversion qui est demandée à chacun de nos prêtres :
suis-je moins pécheur que les prêtres coupables même si je n’ai pas commis les
mêmes crimes ? Ne suis-je pas prêtre pour offrir ma vie en même temps que
j’offre l’Eucharistie ? Il me revient ce mot de Paul Claudel : « Que les prêtres offrent le Corps du Christ
et le leur avec. » Nos réputations salies, nos missions compliquées, nos
vies ternies par d’autres : on en pleure, mais après ? Prêtre, convertis-toi en
acceptant que ton sang et ta sueur soient mélangés à Celui du Christ, la
victime innocente. Prêtre, tu es appelé à la conversion au sacrifice personnel,
à la conversion de l’humilité. Elle sera rude mais elle débouchera sur une
fécondité prodigieuse.
L’effondrement
de la tour de Siloé évoque la chute des stars, ces tours
splendides aux yeux des hommes. Pensons à la condamnation des cardinaux parmi
les plus brillants : Mac Carrick, Pell… « Celui
qui se croit solide qu’il fasse attention de ne pas tomber. » (1 Cor 10, 2ème
lecture) En pâtissent tous ceux qui se trouvaient au-dessous. Ceux qui étaient
à l’ombre de ces grands. Ceux qui leur vouaient une confiance exorbitante.
Ceux-là succombent à l’écroulement de leurs « stars pastorales ».
Convertissez-vous ! Une seule tour ne s’effondre jamais : notre Seigneur. À
lui, toute confiance, tout honneur et toute gloire ! Le respect profond que je vous
invite à avoir pour vos prêtres ne coïncide pas avec cette sorte d’admiration
béate qu’on voit assez fréquemment et qui tourne souvent à l’esprit partisan.
Nous ne sommes pas des fidèles du père Untel, aussi charismatique soit-il. Nous sommes les brebis du Seigneur Jésus.
Le
figuier stérile nous présente un troisième grand malheur,
celui de l’infécondité. C’est moins sanglant, mais ce n’est pas moins mauvais.
Un homme sans fécondité est pour Dieu une chose aussi terrible que
l’écroulement de la haute tour. C’est peut-être l’infertilité de notre vie
chrétienne : nous sommes un beau figuier mais sans fruits. Les fruits, ce sont
les hommes qui découvrent le Christ. « Maître,
laisse-le encore cette année (...) Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas. »
Nous sommes sur cette bonne terre de l’Église. N’épuisons pas le sol pour rien.
Portons du fruit, c’est à dire soyons missionnaires. Voilà encore une
conversion : passer d’être chrétien avec les croyants à être missionnaire envers ceux qui ne le
sont pas.
Que Dieu nous donne sa
grâce pour notre prière et notre conversion. Amen.
+ Luc RAVEL
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