Si de ta bouche,
tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a
ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. Nous
en sommes à peine au premier dimanche du temps de carême que déjà la liturgie
nous met en face de ce qui se prépare. Le chemin commence à peine qu’elle nous
donne le terme de la route, le but de cette marche au désert : la mort et
la résurrection du Christ, et par-delà notre propre salut ! Alors pourquoi
devrions-nous nous fatiguer ? D’ailleurs, n’est-ce pas chaque année la
même chose ? Le carême de cette année n’est-il pas le même que celui de l’an
passé : quarante jours finalement à attendre Pâques ? Quarante jours,
c’est tout !
Nous pouvons
voir les choses ainsi : quelques semaines d’efforts à faire, qui, si nous
ne les faisons pas, ne changeront pas grand-chose. Nous pouvons vivre
effectivement ce temps de carême comme n’importe quel temps liturgique :
nous allons à la messe le dimanche, nous prions sans doute un peu en semaine.
Peut-être mangerons-nous moins de viande ! Après tout, c’est la tradition
de faire maigre pendant le carême à cette période de l’année !
Vivrons-nous mieux ? Croirons-nous mieux ? J’en doute.
Nous pouvons
aussi choisir de vivre ce temps avec le Christ. Nous pouvons décider de partir
au désert pour le rejoindre. Il nous y attend. Bien sûr, nous n’allons pas
aller au bout du monde, ni nous retirer sous les palmiers, dans un océan de
sable. Mais nous pouvons faire un voyage intérieur. Nos cœurs ne sont-ils pas
quelquefois des déserts arides où rien ne pousse ? Nous pouvons choisir de
nous retirer au plus profond de nous, pour mieux nous retrouver, pour mieux
rencontrer Dieu, pour mieux y redécouvrir nos frères. Mais ça va changer
quoi ?
D’abord, le fait
de regarder longuement notre vie, et la relire à la lumière de la Parole de Dieu, permettra
de nous retrouver. N’y a-t-il pas des jours où nous pouvons avoir l’impression
que l’image que nous renvoie notre miroir n’est pas la nôtre ? Plonger au
cœur de notre vie permet de vérifier tout ce dont il faut nous séparer, tout ce qu’il
nous faut retrouver. C’est nous donner la chance de renaître, débarrassé de ce
qui effraie, enrichi de ce qui fait vraiment vivre. L’homme ne vit pas
seulement de pain, nous dit Jésus aujourd’hui. Il y a, en nous, depuis
notre baptême, une force de vie que nous n’exploitons pas assez, que nous
ignorons souvent. Nous retirer dans notre désert intérieur et nous laisser
tenailler par la faim et la soif d’absolu, nous permettra de faire jaillir en
nous la source de vie de notre baptême. Mercredi, la liturgie appelait
cela : savoir jeûner, autrement dit savoir se détacher de ce qui est
superflu pour retrouver le goût de l’essentiel.
Ensuite, le fait
de regarder longuement notre vie, d’y découvrir une soif de vivre que nous croyions
perdue, nous rapprochera des autres. Car eux-aussi ont soif de vivre ! Eux
aussi ont faim d’absolu ! Et nous nous rendons compte que notre désert
n’est pas si vide que cela. Il y a du monde qui n’attend que nous. Il y a du
monde qui a besoin de nous. Nous avons, chacun, le pouvoir de les aider. Mais
comment ? C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à
lui seul tu rendras un culte, nous dit Jésus aujourd’hui. Et voilà que notre pouvoir d’aider se transforme en devoir : le devoir de la charité, culte
authentique adressé à Dieu par le service du prochain comme en témoignent tant de
prophètes. Les autres ne sont pas là pour que nous nous servions d’eux, ou
qu’eux se servent de nous, mais pour qu’ensemble nous avancions sur la route
que le Christ nous a ouverte. Cette route s’appelle service, attention aux
autres, respect. Il y a du bonheur à se mettre volontairement au service
des autres. Mercredi, la liturgie appelait cela : faire l’aumône, être
charitable. Savoir s’ouvrir aux autres, s’intéresser positivement à eux pour
vivre et grandir avec eux.
Enfin, le fait
de regarder longuement notre vie, d’y découvrir tous ceux qui la peuplent, nous
permettra de rencontrer le Tout Autre, celui qui nous a justement invités à
entrer en nous. Il est là, depuis le début, depuis toujours, et il nous attend.
Il est à la fois la source qui fait vivre et une part de tous ceux que nous
rencontrons. Il est notre familier, notre intime. Il est celui que nous cherchons,
sans toujours le savoir. Il est celui qui nous offre sa vie, celui qui nous
libère de tout ce qui nous enchaîne, de tout ce qui nous oppresse. Il est celui
qui veille sur nous : nous n’avons qu’un mot à dire. Je le défends, car
il connaît mon nom, nous dit le psaume de ce jour. Mais il faut que nous en
ayons vraiment besoin, que nous reconnaissions notre désir et notre besoin
d’être sauvé. Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu, nous
dit Jésus aujourd’hui. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas crier vers lui, lorsque
nous sommes dans le besoin, au contraire ! Il nous dit simplement de ne
pas tenter d’arracher à Dieu une aide qu’il ne peut nous donner. Son désir,
c’est de nous sauver ; pas de jouer au magicien. La vraie prière, ce n’est
pas celle qui soumet Dieu à nos caprices ; c’est celle qui change notre
cœur, qui nous transforme de l’intérieur, qui nous met en présence de Dieu.
Mercredi, la liturgie appelait cela : prier le Père qui est présent dans
le secret. Savoir entrer en relation intime et vraie avec celui qui nous donne
la vie, sans cesse.
Ce n’est
peut-être pas un hasard si, à quatre jours d’intervalle, la liturgie nous
propose de manières différentes, ces trois chemins de perfection : le
jeûne, la charité et la prière. Nous sommes provoqués à emprunter ces chemins
durant ce temps que nous avons ouvert mercredi. Ils nous sont proposés comme un
moyen d’unifier notre vie pour avancer mieux et plus librement vers le matin de
la Pâque. Comment pourrions-nous passer la croix si nous restions pleins de
nous, coupés des autres, coupés de Dieu ? Comment pourrions-nous croire
du fond du cœur en ce Ressuscité qui nous sauve, si nous refusons
aujourd’hui de le rejoindre au cœur de nos déserts où déjà il nous attend pour
libérer nos vies ? Amen.
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