A trois jours de l’entrée en Carême,
il me faut bien reconnaître que les lectures de ce dimanche nous entraînent
déjà à vivre ce temps particulier de l’Eglise. Que ce soit la lecture du livre
de Ben Sirac le Sage, ou Paul dans sa première lettre aux Corinthiens, ou
encore Jésus dans ce passage de l’évangile de Luc, tout nous tourne déjà vers
l’intérieur de nous, vers notre cœur. Tout se joue là, dans cet organe que nous
avons consacré à l’amour, mais que la bible consacre à tout autre chose. Jésus
nous le fait comprendre quand il affirme que ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur.
Jésus se situe ainsi parfaitement
dans la ligne de Ben Sirac qui prévient : Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors
qu’on pourra le juger. Que pourrons-nous juger alors ? Ce qu’il y a
dans son cœur ! Car, pour l’homme biblique, le cœur n’est pas d’abord le
siège des sentiments, mais des décisions. Oui, l’homme qui se laisse façonner
par la Parole de Dieu réfléchit avec son cœur. C’est encore Ben Sirac le Sage
qui nous le rappelle dans un autre passage de son livre, au chapitre 17 : Aux humains, [Dieu a donné] un cœur pour
réfléchir. Cela peut paraître surprenant à l’homme moderne qui a assigné
cette tâche au cerveau, quand il accepte que ce ne soit pas un organe situé
bien plus bas qui réfléchisse pour lui. Le projet de Dieu était bien que
l’homme utilise son cœur pour réfléchir et donc pour décider aussi. Autrement
dit, c’est au plus intime de lui que l’homme doit prendre les grandes décisions
de sa vie. Et il peut le faire là, parce que dans le projet de Dieu, c’est
aussi là que Dieu parle en cœur à cœur avec l’homme. C’est là que l’homme
connaît Dieu. Il nous faut ici convoquer le prophète Jérémie qui affirme au
chapitre 31 de son livre : Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec
la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés – oracle du Seigneur. Je
mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur.
Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire
chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : « Apprends à
connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits
jusqu’aux plus grands – oracle du Seigneur. Nous
qui accueillons par l’Eucharistie le Christ Sauveur au cœur même de notre vie,
nous qui croyons qu’en Jésus venu en notre chair, Dieu a établi sa demeure en
nous, nous devrions mieux que d’autres comprendre cette approche du cœur de
l’homme comme lieu de nos décisions.
En
effet, si Dieu habite en nous, comme l’affirme Jérémie, alors notre cœur est à
lui, notre cœur est le siège de sa demeure. Toutes nos décisions, prises là où
Dieu habite en nous, devraient donc être marquées du sceau de sa parole, et
rien de mauvais ne devrait sortir de notre bouche. Jésus a bien raison
d’affirmer alors que l’homme bon tire le
bien du trésor de son cœur qui est bon. Forcément, puisque Dieu y demeure.
En même temps, Jésus nous dit que l’homme
mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais, parce qu’il n’a pas laissé
à Dieu la place qui lui revient. Chasse Dieu de ta vie, et ton cœur sera rempli
par le Mal, parce que les bons sentiments que tu peux y mettre, s’ils ne sont
pas défendus par Dieu, ne tiendront pas quand viendront les temps difficiles ou
l’adversité. Ils cèderont le pas au Mal qui s’installera là. Plus rien de bon
ne pourra sortir de toi. Le temps du Carême qui approche va être l’occasion de
replonger dans notre cœur et de vérifier qui y habite : l’esprit de Dieu
ou l’esprit du Mal ?
Nous
comprenons alors mieux et l’importance de revenir sans cesse à la source de
notre baptême, et l’importance de l’eucharistie fréquente. Par le baptême, nous
devenons fils de Dieu. Dieu nous adopte comme sien, il établit sa demeure en
nos vies singulières et uniques. Il restaure en nous son image et sa
ressemblance que le péché originel a dégradée. Par l’eucharistie, il vient nous
donner le pain des forts, la nourriture qui nous rend capable de résister au
Mal, quotidiennement. Il nous faut vivre de la grâce de ces sacrements pour que
Dieu puisse prendre toute la place qui lui revient dans notre cœur, et que le
Mal n’ait plus de prise sur nous. L’eucharistie fréquente vient comme revigorer
notre baptême et redire que nous voulons que Dieu soit le maître et le guide de
notre vie. Ce qui est visé, c’est la réalisation en nous de la parole de
l’Ecriture que Paul rappelle aux chrétiens de Corinthe : La mort a été engloutie dans la victoire. Ô
Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il ton aiguillon ? Il
nous rappelle ainsi que nous sommes destinés à la vie, à la vie en plénitude
qui n’existe qu’en Dieu seul. Nous pouvons faire nôtre alors l’appel de
Paul : Frères bien-aimés, soyez
inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car
vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas
perdue.
Dès
maintenant, sans perdre de temps, pour vivre dans trois jours un début de
Carême efficace, redisons à Dieu notre désir de le voir habiter en nous.
Invitons-le chez nous, pour qu’un jour, il puisse nous inviter chez lui. Que
notre cœur demeure à Dieu ; que notre cœur demeure en Dieu. Amen.
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