Je ne sais pas si c’est l’âge qui m’y
pousse ou une meilleure compréhension des évangiles que je commente depuis
vingt-sept années maintenant, mais je suis de plus en plus convaincu de ce que
Paul affirme, à la suite de Jésus, quand il dit : Toute la Loi est
accomplie dans l’unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme
toi-même. Tout est là, tout est dit. Paul, après Jésus, n’est pas le seul à
poser cette affirmation. L’évangéliste Jean la reprendra, à sa manière, dans sa
formule désormais célèbre : Dieu est amour. Nous ne nous en
sortirons pas si nous ne comprenons pas cette évidence.
Une fois l’évidence posée, il me faut
alors admettre qu’elle peut ne plus être simple à comprendre : entre ceux
qui utilisent le nom de Dieu pour détruire et tuer, et ceux qui ont utilisé ce
nom pour abuser d’un pouvoir qu’ils n’avaient pas, l’image même de Dieu se
trouve gravement affaiblie. Ce qu’il faut des années à comprendre peut s’effondrer
en un instant, quand éclate le scandale. Pourtant, plus que jamais il nous faut
tenir cette affirmation. Dieu ne peut pas être autre chose qu’amour ; et vivre
selon les principes de sa foi ne peut se faire que dans l’amour. Tout ce qui n’est
pas amour, n’est pas Dieu. Tout ce qui n’apporte pas plus d’amour, ne vient pas
de Dieu. Tout ce qui n’est pas marqué du sceau de l’amour est à refuser parce
que contraire à Dieu. Il faudra bien que cela rentre dans nos têtes de mules. Paul
est très clair à ce sujet, lui qui poursuit aussitôt en disant : Si vous
vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez
vous détruire les uns les autres. Les conflits, petits ou grands, viennent
tous de là, d’un manque d’amour !
Quel remède propose alors Paul ?
Parce que c’est une chose de poser un diagnostic, c’en est une autre de
proposer le bon remède. En bon médecin des âmes, Paul répond : la vie
sous la conduite de l’Esprit Saint ! C’est vite dit, sans doute, mais
c’est vrai. L’Esprit Saint, faut-il le rappeler ici, nous l’avons tous reçu au
jour de notre baptême. C’est la présence de Dieu à notre vie aujourd’hui. C’est
la force de Dieu qui nous est donnée et qui nous rend capable de vivre selon
notre foi. C’est Dieu avec nous. Une fois que nous avons goûté à l’amour de Dieu,
une fois que nous avons compris que cet amour nous est offert pour que nous en
vivions, l’Esprit nous donne d’en vivre. Comment, ayant goûté le meilleur (l’amour
de Dieu pour nous, révélé en Jésus, mort et ressuscité), pourrions-nous nous
contenter du médiocre (un ersatz d’amour qui ne pense qu’à profiter et à
abuser) ? C’est juste impossible !
Pour profiter pleinement de ce remède, il nous
faut comprendre aussi que vivre selon foi et vivre selon des règles morales, ce
sont deux choses différentes. Vivre selon le Christ, c’est vivre de la liberté
qu’il nous offre. La première liberté, c’est celle de ne pas se laisser
conduire par ses pulsions. Les règles morales ne nous font pas vivre libres :
elles enferment notre vie dans des catégories (le juste et l’injuste, le bien
et le mal…), mais sans nous en libérer. Elles peuvent même exciter l’envie de
transgression, juste pour voir. En un sens, elles nous sécurisent en nous indiquant
ce qui est bon ou pas ; alors que Jésus, le Christ, par son invitation à
aimer l’autre, déverrouille les portes qui nous séparent des autres ; il
nous invite au risque de l’autre. Il nous invite à la confiance réciproque, à
essayer et à ne pas désespérer, ni de nous, ni de l’autre, si l’essai n’est pas
transformé. Aime, toujours et encore, comme tu t’aimes, comme tu voudrais être
aimé. Aime et sois libre ! Là est la certitude que Dieu t’accompagne
chaque jour, dans chacun de tes actes, dans chacune de tes décisions.
Puisque nous sommes rassemblés pour
célébrer l’eucharistie, nous devons nous rappeler que ce sacrement est le signe
efficace de l’amour de Dieu pour nous. Là dans le pain et le vin partagés, il s’est
donné lui-même, entièrement, par amour. Là est le signe de notre salut, c’est-à-dire
le signe du désir de Dieu de nous savoir avec lui, toujours. Là, sur l’autel,
sera la source même de l’amour que nous sommes invités à vivre en mémoire de
Jésus qui nous a aimés jusqu’à la mort sur la croix. La juxtaposition, au
soir du jeudi Saint, de l’institution de l’eucharistie et du lavement des pieds,
nous redit avec force que vivre notre foi, ce n’est pas seulement prier et
communier, mais aussi, en même temps, aimer tout homme comme un frère en Christ.
C’est le même amour qui est à l’œuvre ; c’est le même amour qui est à
vivre dans ces deux formes.
Laissons-nous transformer par l’Esprit
Saint, réellement : qu’il nous donne d’accueillir l’amour que Dieu nous
porte ; qu’il nous rende capables de le rendre à Dieu à travers l’amour
que nous saurons manifester à nos frères et sœurs en humanité. Par l’Esprit
Saint, apprenons à aimer toujours mieux, pour vivre toujours mieux, pour être
toujours plus libre. Amen.