Comprenez-vous
ce que je viens de faire ? Voilà une question de Jésus que nous ne
pouvons pas évacuer sans chercher à y répondre. En effet, elle est intimement
liée au geste singulier et provoquant qu’il vient de poser : Jésus se
défait de son vêtement, s’agenouille devant chacun de ses disciples et leur
lave les pieds. Abaissement surprenant de la part d’un maître reconnu prenant
ainsi la place de l’esclave.
Il
faut bien imaginer la scène : voilà Jésus réuni avec ses amis pour un
repas. Tout semble se passer bien et voilà qu’au cours du repas, Jésus se lève
et pose ce geste surprenant, sans explication préalable. Il n’y a que Jésus pour
plomber ainsi l’ambiance d’un bon repas entre amis ! Vous pouvez faire l’essai
lors du prochain repas que vous donnerez à vos amis : sans rien dire,
levez-vous, enlevez vos vêtements, passez juste un linge autour des reins pour
ne pas être totalement nu, et allez de l’un à l’autre avec une cruche, une
bassine et une serviette, sans un mot ! Vos amis vous prendront pour un
doux-dingue ! Si vous le faites à la cantine scolaire, nul doute que le
psychologue de l’établissement soit appelé en renfort !
Plus
surprenant encore est le fait que seul Pierre réagisse ! Est-il donc le
seul à avoir deux sous de jugeote ? Les autres ne se rendent-ils pas
compte de ce que fait Jésus ? La réaction de Pierre, pour normale qu’elle
soit, marque bien la particularité du geste de Jésus. Je crains même que Pierre
n’ait été le seul à dire tout haut ce que tous pensaient tout bas. Sa grande
gueule lui donne l’avantage d’une certaine sincérité dans ses réactions. Ce que
fait Jésus est impensable, voire inadmissible ! C’est un complet
renversement de valeurs qu’il opère ! Jésus en est bien conscient, il le dit
lui-même, après coup, quand il explique enfin son comportement étrange : c’est un exemple que je vous ai donné, pour
que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous.
Alors
qu’a-t-il fait en réalité, avec ce geste étrange que la liturgie du Jeudi
Saint nous fait refaire à notre tour ? Il a pris la place du serviteur, la
place du plus petit, celle que personne jamais ne veut. Et il a affirmé que la
grandeur de l’homme se trouve justement à cette place, à la dernière place, au
service des autres. Et quiconque veut commander aux autres doit se mettre à
leur service ! C’est un grand mystère que Jésus nous enseigne ainsi :
il nous dit que l’amour du service vaut mieux que l’amour du pouvoir. Et il
invite ses disciples, donc nous aujourd’hui, à garder au cœur et dans nos
actes, cet amour du service. Non pas le service que les autres nous rendent,
mais bien le service que nous avons à rendre aux autres. La communauté des
disciples de Jésus est une communauté au service des hommes, au service du
monde.
Dans
l’Evangile de Jean, ce geste du lavement
des pieds prend la place de l’institution de l’Eucharistie qui est le geste de Jésus
rapporté par les autres évangélistes, le soir avant sa mort. A Jean, le
lavement des pieds ; à Matthieu, Marc et Luc, le geste du pain rompu et de
la coupe de vin partagée. Deux gestes différents mais qui ont un même sens :
notre vie ne vaut que si elle est donnée, partagée à tous, partagée pour le
bonheur et la vie de tous ! Nous n’échapperons donc pas à cette nécessité
du service. Et lorsque nous nous approchons de la table eucharistique pour y
prendre le pain et le vin devenus corps et sang du Christ, c’est à cet amour du
service que nous communion aussi, parce que toute la vie du Christ ne se
comprend que comme un immense service de l’humanité qu’il est venu sauver.
Nous
ne pouvons comprendre ni le geste du lavement des pieds, ni le don de l’eucharistie,
ni la vie de Jésus, si nous n’acceptons pas d’entrer dans une vie de service,
si nous n’acceptons pas d’aimer le service. Avec Jésus, l’homme ne peut plus se
servir de l’homme ; avec Jésus, l’homme doit servir l’homme, toujours. Là est
sa grandeur, là se manifeste sa dignité, là se joue sa filiation divine. Nous
ne serons vraiment comme Dieu que lorsque nous accepterons de servir les
autres.
Comprenez-vous
ce que Jésus a fait le soir du Jeudi Saint ? En se faisant notre Serviteur,
il nous a tout donné parce qu’il s’est donné lui-même. Puisque notre baptême
fait de nous les frères et les sœurs de Jésus Christ, nous ne pouvons que le suivre
sur ce chemin du service ; c’est ainsi que nous parviendrons au bonheur
promis dans son Royaume ! De ce jour saint, apprenons l’amour du service,
l’amour du don total à ceux que Jésus met sur notre route. Amen.
(Tableau de Sieger KÖDER, publié dans Die Bilder der Bibel von Sieger KÖDER, éd. Schwabenverlag)
(Tableau de Sieger KÖDER, publié dans Die Bilder der Bibel von Sieger KÖDER, éd. Schwabenverlag)
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