Etes-vous
influencés par les fêtes que nous célébrons en Eglise ? Venez-vous à
l’église avec une idée précise de ce que le prédicateur va vous dire ? Par
exemple, en ce dimanche après Noël où l’Eglise célèbre la Sainte Famille, l’un
de vous s’est-il dit ce matin : chouette, encore une homélie sur la
famille ! Pourvu que mon mari (ma femme, mon gamin, ma belle-mère…) écoute
bien ! Et moi, comme prédicateur, ai-je vraiment le choix alors quant au
contenu de mon homélie ? En préparant ce dimanche, ce n’est pas tant la
famille qui occupait mon esprit, mais cette question que je vous renvoie :
Peut-on imiter la Sainte Famille ?
Curieuse question, j’en conviens.
Mais il me semble qu’il nous faut bien l’affronter un jour. Une première
réponse serait de dire qu’on ne peut pas l’imiter. La Sainte Famille est une
famille hors catégorie : une maman préservée du péché dès sa naissance, un
fils engendré par Dieu, un époux qui prend tout avec beaucoup de recul et ne
pose aucune question. Vraiment, cette famille ne joue pas dans la même ligue
que nos familles. Ils ont beau être humains, ils sont quand même ‘space’, non,
un peu à part. Comment voulez-vous imiter une telle famille ? C’est un
OFNI : un objet familial non identifié.
D’autres diront : les temps ont
changé, la notion de famille elle-même a beaucoup évolué. L’Eglise ne peut plus
présenter la Sainte Famille (papa, maman et un enfant) comme le modèle de la
famille. D’autres réalités familiales ont vu le jour : familles
recomposées, familles monoparentales, familles homoparentales. Les familles à
l’image de la Sainte Famille seraient des exceptions, voire des curiosités. Vous
comprenez, des comme ça, on n’en fait plus beaucoup ! Célébrer la Sainte
Famille et la donner pour modèle, reviendrait alors à stigmatiser les autres
réalités familiales qui existent aujourd’hui. Ce n’est pas, me semble-t-il, le
but de cette fête. Sous prétexte que l’Eglise défend un modèle précis de
famille, je ne peux pas, comme pasteur, ignorer la vie des gens que je
rencontre, ni condamner de manière péremptoire ce qu’elles vivent. Prêtre, je
dois accompagner au mieux toutes ces familles nouvelles lorsqu’elle s’adresse à
moi, et voir avec elles comment elles vivent l’Evangile et suivent le Christ
dans l’histoire qui est la leur. Et je vous invite tous à faire de même. Trop
de familles sont déchirées parce qu’un des leurs ne suit pas la même voie que
les autres ; trop de familles sont déchirées par une séparation et les
conséquences qu’elles entraînent ; trop de familles sont déchirées parce
qu’un enfant a eu le courage d’assumer sa différence.
Ecoutez à nouveau ce que disait la
prière d’ouverture de cette fête : Tu
as voulu, Seigneur, que la Sainte Famille nous soit donnée en exemple ;
accorde-nous la grâce de pratiquer, comme elle, les vertus familiales et d’être
réunis par les liens de ton amour, avant de nous retrouver pour l’éternité dans
la joie de ta maison. Intéressant, n’est-ce pas ! Et surtout très
ouvert comme discours. La Sainte Famille est donnée en exemple non pas tant
pour sa composition (papa, maman, enfant) mais pour ce qu’elle a vécu :
les vertus familiales et l’union dans l’amour de Dieu. C’est tout, mais c’est
beaucoup. Les vertus familiales ne sont pas précisées plus que cela. Il faut
donc les découvrir en méditant la vie de cette famille. Et cela commence plutôt
mal : Marie est enceinte avant son mariage avec Joseph et d’un autre que
lui ; le jeune couple se retrouve sur les routes à cause d’une décision
politique imbécile ; il connaît l’exclusion au moment où l’enfant vient au
monde, puis vient l’exil pour soustraire l’enfant à la colère du roi Hérode. Il
est indirectement la cause du massacre des saints innocents. A douze ans, le
petit devenu grand fera une fugue de trois jours. Quand il est adulte, au lieu
d’exercer un travail honnête comme son père, voilà que le fils parcourt le pays,
s’oppose aux religieux de son époque jusqu’à être menacé de mort. Et toute
cette histoire finit mal, le fils terminant sa vie sur une croix, comme un
vulgaire malfaiteur, avec sa mère comme témoin. Vous voulez vraiment imiter
tout cela ?
Puisque la Sainte Famille est
l’exemple de toutes les familles, nous pouvons retenir que les difficultés font
autant partie de la vie de famille que les joies. Et ce qui fait de cette
famille-là une sainte famille, ce n’est pas seulement l’origine divine du Fils,
mais le lien qui unit cette famille à Dieu. Elle est sainte parce que Dieu vit
avec cette famille, dans cette famille. Elle est sainte parce que sa vie est
entre les mains de Dieu et qu’elle laisse Dieu la conduire. Depuis le oui de
Marie et de Joseph à l’ange jusqu’à la mort du Fils en croix, tout s’est vécu
sous la conduite de Dieu. Et la mère et le père et l’enfant ont été un oui
permanent à l’œuvre de Dieu en eux. Les premières vertus de cette famille sont
donc l’obéissance à la volonté de Dieu pour chacun de ses membres et leur
fidélité à cette volonté. Quelle que soit la famille dans laquelle vous vivez,
vous êtes invités à découvrir quelle est la volonté de Dieu pour vous et à y
rester fidèles. Sans cette fidélité primordiale, il n’y a pas de fidélité humaine
possible. Sans cette fidélité primordiale, il n’y a pas de sainteté possible.
L’Evangile de cette fête ne montre
pas autre chose que la fidélité de cette famille à la volonté de Dieu. Bien que
leur Enfant leur ait été donné par Dieu, ils vont le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi. Et
s’ils ne comprennent sans doute pas grand-chose aux élucubrations du vieux
Siméon et de la prophétesse Anne, ils accueillent tout cela, sans se pousser du
col, sans faire non plus de scandale. Ils
s’étonnaient tout juste de ce qui
était dit de leur fils. Puis, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville
de Nazareth. Ils ont mené leur vie simplement, comme toutes les autres
familles du monde. Rien ne les distingue des autres familles. Il faut entrer
dans l’intimité de cette famille pour y découvrir la présence de Dieu à chaque
instant de la vie. Et pendant longtemps, Jésus n’est qu’un enfant comme les
autres, apprenant, jouant, vivant, tout simplement. L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la
grâce de Dieu était sur lui, dit sobrement l’évangéliste Luc.
Si vous comptiez sur la Sainte
Famille pour éduquer votre enfant, votre belle-mère ou qui sais-je encore,
c’est raté. Si vous comptiez sur la Sainte Famille pour trouver en elle le
modèle d’une vie paisible et sans soucis, c’est encore raté. Si vous comptiez
sur la Sainte Famille pour condamner la famille de votre voisin parce qu’elle
ne correspond pas au modèle catholique, c’est toujours raté : tout n’est
qu’amour dans cette famille. Par contre, si vous cherchez en elle comment vivre
mieux ce que Dieu attend de vous, regardez et méditez son exemple : vous
trouverez auprès d’elle la force de vivre mieux l’Evangile. En cela, elle sera
toujours notre modèle, parfaitement sainte parce que parfaitement accordée à la
volonté de Dieu. Amen.