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Ce blog voudrait vous permettre de vivre un chemin spirituel au rythme de la liturgie de l'Eglise catholique.

Les méditations s'appuient soit sur les textes bibliques quotidiens, soit sur la prière de l'Eglise.

Puisque nous sommes tous responsables de la foi des autres, n'hésitez pas à laisser vos commentaires.

Nous pourrons ainsi nous enrichir de la réflexion des autres.







samedi 30 juillet 2022

18ème dimanche ordinaire C - 31 juillet 2022

 Riches en vue de Dieu ?




            Il y a quelque chose de pessimiste dans les lectures d’aujourd’hui, en tous cas dans la première lecture et dans l’évangile. Entre l’interpellation de Qohèleth : Vanité, des vanités, tout est vanité, l’avertissement de Dieu lui-même dans la parabole de Jésus : Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?, il n’y a guère de place pour un peu d’espoir, voire de consolation. La vie de l’homme semble n’être que vide et néant ne menant à rien. Quelle bonne nouvelle se cache donc là ? Y a-t-il seulement une bonne nouvelle pour ce dimanche ? 

            Je ne peux que vous encourager à lire dans son intégralité le petit livre de Qohèleth (encore appelé l’Ecclésiaste). C’est un livre de sagesse qui veut faire réfléchir l’homme sur sa vie et sur ses priorités. Nous avons entendu quelques versets du début du livre. S’il a effectivement un côté pessimiste de prime abord, il ne faudrait pas en rester là. L’auteur donne à celui qui le lit des clés de relecture de sa vie. Il rassemble ses réflexions sur ce qu’il a vu. Ce n’est pas une sagesse de comptoir ou de bureau ; sa sagesse est élaborée à partir de son expérience, de ses observations et de sa foi. Parce que c’est d’abord un homme croyant qui parle aux hommes de son temps et qui veut les inviter à une foi renouvelée en Dieu. Il ne s’agit pas seulement de croire en Dieu dans les derniers jours, mais tout au long de sa vie, dès sa jeunesse. Ses paroles peuvent sembler rudes, mais elles sont là pour nous faire réfléchir et nous aider à bien conduire notre vie. Ecoutez les derniers versets de ce livret : Pour conclure ces paroles, et tout bien considéré, crains Dieu et observe ses commandements. Tout est là pour l’homme. Dieu mettra en jugement toutes les actions, tout ce qui est caché, bon ou mauvais. Tout est dit : ne nous arrêtons donc pas à l’introduction, mais qu’elle suscite notre curiosité pour écouter tout ce que Qohèleth a à nous dire. Si tout semble vain dans la vie, Dieu lui est bien réel, sa Parole est notre guide : nous avons là un guide pour notre vie. N’est-ce pas une bonne nouvelle ?

 

            Il nous faut alors entendre Paul dans sa lettre aux Colossiens. Il nous offre une espérance, une vision de ce qu’est la vie chrétienne. C’est une vie les pieds sur terre et le regard levé vers le ciel. Le chrétien est un homme qui vit dans le monde d’ici-bas. Et nous devons habiter ce monde, mais à notre manière, forts de la foi qui est la nôtre. Le Christ, par sa mort et sa résurrection, nous permet de dépasser le pessimisme qui ouvre le livre de Qohèleth, parce que par sa Pâque, il nous ouvre à la vie avec Dieu. Cette vie avec Dieu, ce n’est pas pour plus tard, quand nous serons morts ; non, cette vie est pour maintenant. Nous sommes déjà saints par notre baptême ; nous sommes déjà pleinement vivants en Dieu. Ecoutez bien Paul : en effet, vous êtes passés par la mort et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. C’est la réalité d’un baptême reçu et vécu. Pour parler comme saint Jean, nous sommes dans le monde sans pour autant être du monde. Nous avons un art de vivre chrétien à développer qui témoigne de notre foi. Il ne s’agit pas d’être triste ou compassé ; il s’agit de vivre de la joie de posséder déjà le Royaume et de rayonner le Royaume. Nous ne sommes pas devenus chrétien pour être mal embouché, tristes à mourir, ou que sais-je encore ! Nous sommes chrétiens pour faire rayonner la joie de l’Evangile de Jésus mort et ressuscité pour notre vie ; nous sommes chrétien pour faire rayonner la joie du Salut. Un chrétien ne peut pas être un homme triste, mauvais coucheur, remplis d’amertume. Gardant les yeux tournés vers sa patrie, le Ciel où Dieu nous attend, il se sait aimé, il se sait capable d’aimer de l’amour même de Dieu. Il est impératif que nous portions à nouveau au monde la bonne odeur de Jésus ressuscité ! Par notre foi, nous savons qu’il n’y a plus le païen et le Juif, le circoncis et l’incirconcis, il n’y a plus le barbare ou le primitif, l’esclave et l’homme libre ; mais il y a le Christ : il est en tout, et en tous. Comment dire mieux que cela le souci de la fraternité universelle qui doit nous animer ? Comme nous l’a redit le Pape François : nous sommes tous frères (Fratelli tutti). Voilà encore une bonne nouvelle ! 

 

            Soyons riches de fraternité, riches de la foi que le Christ nous offre de vivre à sa suite. Gardons les pieds sur terre pour aller à la rencontre de celles et ceux que Dieu met sur notre route ! Gardons les yeux levés vers le Ciel, vers le Christ assis à la droite de Dieu : c’est là que nous sommes attendus. Et nous serons riches en vue de Dieu, riches de cette foi qui nous élève, riches de ces frères qui nous accueilleront auprès de Dieu. Que rien d’autre ne compte ; que rien d’autre ne prenne plus d’importance ! Amen.

dimanche 24 juillet 2022

17ème dimanche ordinaire C - 24 juillet 2022

 D'Abraham, le courageux à Jésus, l'audacieux.



(Marc CHAGALL, Abraham et les trois anges, 


                Si jamais nous ne l’avions pas encore compris, les lectures de ce jour devraient achever de nous en convaincre : la Bible ne parle que d’une chose : de l’immense amour de Dieu pour nous. Le but de l’humanité, si elle avait besoin d’un but clair dans sa vie, est de découvrir la puissance et la grandeur de cet amour que Dieu lui porte. Ceci fait, elle devra choisir entre courage et audace, entre une attitude d’ami de Dieu et une attitude de Fils de Dieu. 

            L’extrait du Livre de la Genèse nous raconte la suite de la rencontre entre Abraham et ses visiteurs aux chênes de Mambré. L’annonce de la naissance d’un fils n’était donc pas le seul motif de cette visite. Une autre mission attend ces hommes : voir si la conduite [de Sodome et Gomorrhe] correspond à la clameur venue jusqu’au Seigneur. Quelque chose dysfonctionne là-bas, et il s’agit de comprendre quoi. Il n’est pas dit, à ce moment-là de l’histoire, que Dieu menace de détruire ces villes. Il envoie ces hommes vérifier une rumeur, une clameur. Abraham comprend cependant qu’il se joue quelque chose de plus grand qu’une simple inspection. Remarquez comme sa proximité avec Dieu le rend capable de comprendre la gravité de la situation. Il est le premier à s’approcher de Dieu pour évoquer le pire : Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? Remarquez aussi qu’Abraham n’envisage pas simplement de permettre aux cinquante justes éventuels de quitter la ville ; quelle que soit le motif de la clameur au sujet de Sodome et Gomorrhe, c’est la ville qu’Abraham veut sauver, pas juste les cinquante : Ne pardonneras-tu pas à toute la ville ? 

Remarquez aussi le motif utilisé par Abraham pour faire fléchir Dieu : Loin de toi de faire une chose pareille ! Faire mourir le juste avec le coupable, traiter le juste de la même manière que le coupable, loin de toi d’agir ainsi. Celui qui juge toute la terre n’agirait-il pas selon le droit ? Il renvoie Dieu à sa sainteté, il renvoie Dieu à sa miséricorde, il renvoie Dieu à son sens de la justice. Puisqu’il est le Très-Haut, le Très Saint, le Très Miséricordieux, le Très Juste, il ne saurait s’humilier à faire quelque chose qui lui porterait atteinte ! Qui voudrait d’un Dieu qui ne soit pas saint ? Qui voudrait d’un Dieu qui ne soit pas miséricordieux ? Qui voudrait d’un Dieu qui ne soit pas Juste ? Dieu se range aux arguments d’Abraham : Si je trouve cinquante juste dans Sodome, à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. Abraham ne semble pas satisfait de la réponse ; il ose un marchandage courageux avec Dieu : Peut-être, sur les cinquante justes, en manquera-t-il cinq : pour ces cinq-là, vas-tu détruire toute la ville ? Il abaisse la limite qu’il avait initialement indiquée, modestement d’abord (peut-être en manquera-t-il cinq !), puis, le courage aidant toujours un peu plus, deux fois par tranche de cinq, et trois fois par tranche de dix, jusqu’à cette ultime réponse de Dieu : Pour dix, je ne détruirai pas. Abraham n’ira pas plus bas ; il estime qu’il a effectué son travail ; il a plaidé, il sait qu’il doit s’arrêter là. Aller plus loin serait manquer de respect à Dieu ; aller plus loin serait manquer de considération pour la Sainteté de Dieu ; aller plus loin serait considérer sans prix la Miséricorde de Dieu, aller plus loin serait déprécier la Justice de Dieu. Abraham ne portera pas atteinte à son amitié avec Dieu. Il savait quand commencer les négociations ; il sait aussi quand les finir. 

            Il faudra à l’humanité des siècles pour qu’un autre reprenne les négociations et aille là où Abraham n’avait pas osé : Et s’il n’y en avait qu’un, de Juste ? Ce négociateur-là, Dieu lui-même l’a envoyé. C’est Jésus, son Fils, le seul Juste, qui s’est livré pour les pécheurs que nous sommes. Abraham avait achevé à dix ; Jésus se présentera seul devant Dieu, sur la croix, pour le salut de l’humanité entière. Ce que l’ami ne pouvait faire, seul le Fils pouvait l’accomplir. Seul le Fils de Dieu pouvait dire à Dieu : si tu veux sauver l’humanité, prends-moi ! Si tu veux sauver l’humanité, ne sacrifie ni ta Sainteté, ni ta Miséricorde, ni ta Justice, mais sacrifie-moi ! Ecoutez bien ce que dit Paul aux Colossiens : Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. Il a effacé le billet de la dette qui nous accablait en raison des prescriptions légales pesant sur nous : il l’a annulé en le clouant à la croix. Un, livré et cloué à la croix pour tous, pour que tous puissent vivre par un. C’est tout le sens du baptême que nous recevons : Dans le baptême, vous avez été mis au tombeau avec le Christ et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Le courage de l’ami Abraham lui avait permis de sauver Lot et sa famille ; l’audace du Fils Jésus lui a permis de sauver l’humanité entière, pas seulement celle de son époque, mais tous les hommes, à travers le temps et l’histoire, jusqu’à ce que l’Histoire soit pleinement accomplie et que Dieu soit tout en tous. 

            Devant Dieu, avons-nous pour nos frères et sœurs en humanité le courage d’Abraham ou oserons-nous avoir l’audace de Jésus, l’audace des Fils de Dieu que nous sommes par notre baptême ? Ce serait déjà bien d’avoir le courage d’Abraham et d’oser demander à Dieu ce que nous estimons juste et pour nos frères et sœurs en humanité et pour la sainteté de Dieu. Mais avoir l’audace d’un Fils, c’est croire qu’il n’y a pas de péché assez grand que Dieu ne saurait pardonner, qu’il n’y a rien d’assez fou que Dieu ne saurait réaliser par amour pour les hommes. Avoir l’audace d’un Fils, c’est croire que Dieu peut tout, que sa Miséricorde est inépuisable et que son Amour est infini. Avoir l’audace d’un Fils, c’est croire que nous pouvons tout demander à Dieu et qu’il nous l’accordera. Osons demander à Dieu ; il accordera. Osons chercher auprès de Dieu ; nous trouverons en lui. Osons frapper à sa porte ; il nous ouvrira. Parce que depuis le sacrifice de Jésus sur la croix, quand Dieu regarde les hommes, il voit son Fils, il voit Jésus et son amour pour nous. 

            L’eucharistie qui nous rassemble nous fait faire mémoire de ce sacrifice unique de Jésus sur la croix. La communion au Corps et au Sang du Christ nous unit à Jésus et le rend présent à notre vie. Laissons-le venir à nous ; laissons-le transformer notre vie. Et nous serons, comme lui, des Fils audacieux, portant au cœur le salut de tous les hommes, qu’ils soient puissants ou misérables, croyants ou non. L’amour que Dieu nous porte, acceptons-le et portons-le à tous. Amen.

samedi 16 juillet 2022

16ème dimanche ordinaire C - 17 juillet 2022

 Les torts partagées des deux soeurs. 


Bassano, Le Christ dans la maison de Marie, Marthe et Lazare
1577, Musée des Beaux-Arts, Houston



            Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. Si je comprends bien l’affirmation de Jésus, rappelant l’importance d’écouter la Parole de Dieu, j’ai plus de mal avec ce qu’elle a pu engendrer comme excès au cours des temps dans l’Eglise. Elle peut laisser entendre que rien n’est plus important que l’écoute de la Parole du Christ et que le service des frères est second, pour ne pas dire insignifiant. Permettez-moi donc de relire cette page d’évangile et de l’intituler les torts partagés des deux sœurs

            Tout avait plutôt bien commencé. Jésus rend visite à des amis, Marthe et Marie, les sœurs de Lazare, absent ce jour-là. Il vient se reposer, vivre un de ces temps privilégiés dont nous avons tous besoin. C’est un temps gratuit, un temps béni avec des amies. J’aime bien ce récit qui nous rappelle que Jésus s’invite dans notre vie, qu’il veut avoir besoin de nous comme amis. J’aime le fait que Jésus ait envie de se reposer chez moi ; j’aime le fait que je puisse me reposer en Jésus. Le fait qu’il soit Fils de Dieu n’enlève rien à son humanité et à ce besoin très humain d’avoir des amis, c'est-à-dire des personnes sur qui il peut compter pour passer un bon moment, pour souffler, juste être lui. Et nous voyons les deux sœurs heureuses d’accueillir Jésus. L’une, Marie, lui fait la conversation ; l’autre, Marthe, prépare ce qui est nécessaire pour que Jésus profite bien de son passage. Rien que de très normal. Chacune fait sans doute ce qu’elle fait de mieux. Tout le monde n’est pas doué pour la conversation ; tout le monde n’est pas doué pour la cuisine. Le tableau semble idéal. Parmi les nombreuses œuvres d’art représentant cette scène, deux l’ont bien comprise ainsi, montrant une Marie assise près de Jésus, heureuse de l’écouter, et une Marthe en cuisine, plumant allègrement volailles diverses et préparant des mets délicieux en quantité. Admirez le tableau de Bassano (Le Christ dans la maison de Marie, Marthe et Lazare) ou celui de Pieter Artsen (Marthe préparant le repas) et vous verrez qu’il n’y a nulle tension entre les deux sœurs : chacune fait avec plaisir ce qu’elle sait faire. Nous devons bien comprendre qu’il n’y a pas de mal à s’affairer en cuisine pour bien recevoir un invité ; il n’y a rien de mal non plus à prendre du temps avec lui, pour l’écouter et échanger les dernières nouvelles. Quiconque aime recevoir et faire plaisir sait que ce sont là les deux choses essentielles à faire lorsqu’on reçoit. Alors pourquoi l’histoire dérape-t-elle ? 

Pieter Artsen, Marthe préparant le repas, 
16ème siècle, Musée de Toulon

            Luc, qui nous rapporte cette rencontre, nous dit que Marthe vient se plaindre auprès de Jésus : Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. Voici que le service qu’elle a choisi de rendre lui pèse. Pourquoi est-ce à moi d’être en cuisine ? Pourquoi l’autre, là, ne fait-elle rien ? Elle papote pendant que je déplume, nettoie et cuit ? Le premier tort de Marthe, c’est de ne plus accepter le rôle qu’elle a choisi. Elle veut faire autre chose. Son second tort, c’est de s’en plaindre à Jésus, comme si Marie lui était devenue étrangère. Pourquoi ne pas s’adresser simplement à Marie ? Lui aurait-elle refusé un coup de main nécessaire ? Elle ressemble à ces parents qui se disputent au sujet d’un enfant : tu diras à ton fils que… Pardon ! tu ne peux pas le lui dire toi-même ? C’est aussi ton fils, non ? Vous comprenez la situation… Marthe nous rappelle toutes ces fois où, dans notre vie, humaine ou spirituelle, nous envions trop les autres et ne reconnaissons plus la chance que nous avons d’être nous. Il y a des gens qui veulent tellement vivre la vie des autres, que la leur, leur devient insupportable ! Et ce serait alors à un tiers de régler ce souci. C’est l’Etat qui doit faire des lois qui abolissent toutes les différences pour que je ne sois pas singularisé ; c’est l’école qui doit mettre tout le monde sur un pied d’égalité même si c’est au prix d’un nivellement vers le bas ; c’est l’Eglise qui doit se réformer pour que l’impossible devienne possible ! Bref, c’est à un autre de faire en sorte que soit acceptable pour moi ce que je ne supporte plus. Le tort de Marie, parce que je crois bien qu’elle en a un aussi, c’est de ne pas avoir remarqué que sa sœur en faisait trop ou qu’elle avait besoin d’un coup de pouce. J’aurais bien vu le moment où Marthe et Marie, d’un commun accord, échange leur place : Marthe prenant le temps d’échanger quelques mots avec Jésus et Marie surveillant les plats préparés par sa sœur pour que rien ne déborde ni ne brûle. C’est peut-être un détail pour vous, mais ça ne mangeait pas de pain de faire ainsi, et surtout, cela aurait préservé l’esprit fraternel que Jésus était venu chercher. 

            Rappeler ce détail me permet de ne pas rejoindre la cohorte de prédicateurs qui ont fait l’éloge de Marie et le malheur de Marthe. Parce qu’à trop appuyer la réponse de Jésus, on risque d’aboutir à un travers trop bien connu et dont nous avions déjà un aperçu dimanche dernier, dans la parabole du bon samaritain. Le prêtre et le lévite, trop plein de Dieu, n’ont pas vu Dieu qui agonisait dans l’homme blessé. C’est un risque réel, quand on comprend mal la vie spirituelle, d’oublier les pauvres à force de se fondre en méditation et en prière. Marie a bien fait de se consacrer à Jésus, mais elle aurait dû aussi rester attentive à sa sœur. Marthe a bien fait de s’affairer en cuisine, car même si l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, un bon rôti ou un bon gigot, c’est quand même pas mal aussi ! Mais elle n’aurait pas dû se plaindre « en haut lieu » de quelque chose qui ne concernait qu’elle et Marie. D’où le titre que j’ai donné à ma relecture : les torts partagés des deux sœurs. 

            Je me refuse finalement à choisir Marie contre Marthe et vice-versa. Les deux ont leur importance. Dans ma vie spirituelle, la prière, l’écoute de la Parole de Dieu sont aussi importantes que le service du frère. C’est une question d’équilibre pour que ma prière ne devienne pas une fuite du monde et que ma charité ne soit pas juste une activité coupée de sa source. Les grands ordres religieux l’ont bien compris, eux qui ont équilibré, même dans la temporalité d’une journée Ora et Labora : la prière et le travail. Je l’ai compris en méditant un tableau de Maurice Denis. Il représente Marthe et Marie, attablées avec le Christ, dans un tableau étrangement eucharistique. Jésus a devant lui un calice, Marie est en attitude d’écoute et Marthe apporte un plateau de pains : tout ce qu’il faut pour l’eucharistie, ce sacrement qui fait du fruit de la terre et du travail des hommes, le pain de la vie et le vin du Royaume. En chacun de nous doivent cohabiter Marthe et Marie pour que le Christ soit toujours bien reçu et bien écouté. Ainsi il pourra toujours se reposer en nous, et nous en lui. Et toute notre vie sera eucharistie. Amen.



Maurice Denis, Marthe et Marie, 1896, Musée de l'Ermitage

mardi 12 juillet 2022

15ème dimanche ordinaire C - 10 juillet 2022

 Dieu nous rend capable de vivre comme lui.


        

(Hortus Deliciarum, Le bon Samaritain)




Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. Si seulement tout était aussi simple que ne l’énonce ce verset biblique du livre du Deutéronome !  A écouter Moïse, il suffirait d’écouter Dieu nous parler pour aussitôt nous convertir, pour aussitôt ajuster notre vie et devenir saints. Mais nous savons bien que rien n’est aussi simple, et que les choses qui s’énoncent le plus facilement sont souvent les plus difficiles à mettre en œuvre. N’avons-nous pas d’autre choix que de désespérer de nous-mêmes ? 

            Vous savez bien que ce n’est pas ce que recherche Dieu. Le projet d’amour de Dieu pour nous est un projet de vie, fondé sur une espérance. Et ce projet de Dieu nous pousse à croire que Dieu veut le meilleur pour nous. Moïse en est bien conscient, lui qui affirme que cette loi n’est pas au-dessus de tes forces, ni hors de ton atteinte. Dieu n’est ni un sadique qui ne mettrait qu’embûche sur embûche sur notre route, ni un maître exigeant demandant plus que nous ne pourrions lui donner. Non, notre Dieu est proche de nous, proche de chacun de nous. Il veut notre réussite, il veut notre vie pour lui, avec lui, toujours. Le christianisme ne saurait être une religion de la sueur, qui exige toujours plus de nous, et qui ferait de Dieu un éternel insatisfait. Les plus anciens se souviennent peut-être avec moi de ces efforts que nous devions faire dans notre enfance et qui n’étaient jamais suffisants, jamais assez bien ! Nous nous fatiguions pour un Dieu qui ne semblait jamais se fatiguer de nous voir échouer. Quelle vision de Dieu avons-nous répandue ainsi ? Quel dégoût de Dieu avons-nous engendré ainsi ? Et nous arrivons même à nous étonner que tant d’hommes et de femmes se soient éloignés de Dieu ! 

            Ne me comprenez pas mal. Je ne cherche pas à brader notre foi ; je ne cherche pas à relativiser la vie chrétienne. Je veux simplement que nous remettions les choses à leur juste place. Ce qui est premier, ce n’est pas que je me fatigue pour Dieu ; ce qui est premier, c’est que Dieu m’aime et veut mon bonheur. Ce qui est premier, ce n’est pas d’étaler tout ce que je fais pour Dieu ; ce qui est premier, c’est reconnaître ce que Dieu fait pour moi. Ce qui est premier, ce n’est pas que j’aime Dieu ; ce qui est premier, c’est que Dieu m’aime, gratuitement, immensément, parfaitement. Il m’aime d’un amour que je ne peux qu’imiter. Il m’aime, parce qu’il est Dieu. Autrement dit, si Dieu ne m’aimait pas tel que je suis, il ne serait pas vraiment Dieu ; si Dieu ne m’aimait pas avec mes quelques qualités et mes nombreux défauts, il ne serait pas vraiment Dieu. Ce qui fait que Dieu est Dieu, c’est justement cet amour qu’il porte à tout humain qu’il fait venir à la vie terrestre. Ce qui fait que Dieu est Dieu, c’est justement qu’il nous appelle à vivre pour lui, par lui et avec lui, simplement, du mieux que l’on peut. Il ne nous aime pas parce que nous sommes saints ; il nous aime pour que nous puissions devenir saints. Mieux, il nous rend participant de sa propre sainteté. Et parce qu’il fait cela, parce qu’il nous rend capable de sa sainteté, il nous invite à vivre comme lui. Nous sommes rendus capables par Dieu lui-même d’aimer et de vivre selon sa Parole. Il n’est pas question d’efforts à faire ; il est question d’accueillir une manière de vivre, celle de Dieu. 

            Vivre comme Dieu, ce n’est pas avoir sa parole en bouche à longueur de journée. Vivre comme Dieu, c’est avoir l’autre, tout autre, à mon esprit avant moi. Vivre comme Dieu, c’est croire que je sers Dieu quand je sers les hommes, tous les hommes qu’il met sur ma route, que ces hommes croient comme moi ou pas, qu’ils vivent comme moi ou pas. Vivre comme Dieu, c’est croire que l’autre qui croise ma route et qui a besoin de moi, c’est Dieu lui-même qui croise ma route et qui a besoin de moi. Le Samaritain de l’évangile, en se faisant le prochain de l’homme blessé, ne s’interroge pas longtemps sur ce que cet homme avait fait pour mériter d’être ainsi agressé ; il a vu un homme blessé, en danger de mort, et il s’est porté à son service, humblement. D’autres, plein de Dieu de par leur métier ou leur statut social, n’ont rien fait. Ils n’ont pas su, ou pas voulu voir en cet homme la présence de Dieu qui souffre quand l’homme souffre, la présence de Dieu qui meurt quand l’homme meurt. 

            Ils sont nombreux aujourd’hui, ces hommes et ces femmes blessés sur le chemin ; saurons-nous nous faire leur prochain ? Ils sont nombreux, ces hommes et ces femmes dans le besoin ; saurons-nous leur venir en aide ? Les résultats des différentes élections que notre pays a connues ces derniers mois, et l’incapacité manifeste de nos élus à travailler ensemble au bien commun, ne laissent que peu d’espérance. Quand les extrêmes et les populismes montent, ce sont la charité, la solidarité, la justice et l’espérance qui baissent, parfois jusqu’à disparaître. Celui qui est trop différent de nous devient alors celui dont il faut se méfier, celui qu’il faut combattre, celui qu’il faut mettre hors de nos frontières pour que nous retrouvions un bonheur hypothétique. Entendrons-nous Dieu nous redire que notre vie dépend de notre capacité à aimer, à servir et à accueillir ? N’oublions pas que si nous sommes l’homme blessé dont quelqu’un croise la route, nous sommes aussi le samaritain qui croise la route d’un blessé. A trop peu aider et aimer, nous ne serons que trop peu aidés et aimés. A bonne entendeur ! Amen.

samedi 2 juillet 2022

14ème dimanche ordinaire C - 03 juillet 2022

 Réjouissez-vous avec Jérusalem ! 



(Arcabas, Le messager de la joie)



            Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Ce cri du prophète Isaïe, il nous faut le faire nôtre, plus que jamais. Il nous redit la confiance que nous pouvons avoir en Dieu dans les moments difficiles de notre histoire. Il nous redit que rien n’est jamais fini de notre espérance. 

            Quand il est prononcé pour la première fois, Jérusalem ne va pas bien du tout. En fait, il ne reste rien de la belle ville de David, à part quelques ruines. Il y a longtemps, en punition des nombreux péchés du peuple, la ville fut rasée par Nabuchodonosor, ses habitants emmenés en exil. Le peuple que Dieu s’était choisi n’existait plus ; le Dieu d’Israël lui-même semblait vaincu par les dieux étrangers. La défaite était totale ; la désolation était absolue ; l’espoir était vain. Il faudra le temps de l’effacement, le temps de la conversion pour que ce cri : Réjouissez-vous avec Jérusalem ! puisse non seulement être poussé, mais encore être entendu. Car le prophète ne prêche pas dans le désert ; il prêche à des hommes et à des femmes qui attendaient à nouveau un signe de Dieu, lui qui jadis avait entendu le cri de son peuple opprimé en Egypte. Ce cri d’Isaïe vient redonner courage et annoncer que Jérusalem sera reconstruite, que la période de l’exil est terminée, que l’humiliation du peuple est effacée et que ses nombreux péchés sont pardonnés. 

            Comprenez-vous alors pourquoi je vous ai dit qu’il fallait que nous fassions nôtre ce cri ? Nous avons toutes les raisons de désespérer. Depuis la publication du rapport Sauvé, l’Eglise de France est comme sonnée et les affaires semblent succéder aux affaires. Après le retrait des archevêques de Lyon puis de Paris, la visite apostolique du diocèse de Toulon qui a conduit à la suspension des ordinations dans ce lieu, les fermetures définitives de quelques communautés nouvelles, voici la visite apostolique de notre diocèse. Elle commence à peine, mais nombreux sont ceux qui, ne sachant rien, n’hésitent pourtant pas à spéculer et à répandre le venin de la discorde et de la suspicion. Ajoutez à cela le fait qu’il n’y a eu qu’un seul prêtre ordonné cette année et aucun diacre en vue du sacerdoce, et vous pouvez en conclure, comme le font certains, que tout va mal dans notre belle Eglise d’Alsace. Il est urgent que nous retrouvions l’espérance ; il est urgent de nous réjouir de ce qui se fait de bien, dans notre communauté comme ailleurs dans le diocèse ; il est urgent de se réjouir d’être croyant ; il est urgent de retrouver notre confiance en Dieu qui peut tout et qui n’abandonne jamais son peuple. Un croyant qui désespère est un croyant perdu. 

            Pour retrouver l’espérance, il nous faut revenir à l’enseignement de Jésus et à la mission qu’il a confiée à ses disciples. L’Evangile de ce dimanche est on ne peut plus clair : Dites-leur le règne de Dieu s’est approché de vous. Nous n’avons rien d’autre à dire, rien d’autre à faire, pas même et surtout pas à chercher à les convertir : cela est l’œuvre de Dieu lui-même. Lui seul peut toucher les cœurs, lui seul peut convertir. Mais nous pouvons et devons témoigner de ce règne de Dieu devenu proche des hommes. Nous le ferons par notre espérance ; nous le ferons par notre art de vivre en fraternité ; nous le ferons par notre confiance sans faille en Dieu, notre Père, en Jésus, notre Sauveur et en l’Esprit qui nous fait vivre en frères. Il n’y a même pas à insister auprès de ceux qui refuseraient de nous entendre, juste à leur redire : Sachez-le, le règne de Dieu s’est approché. Et n’oublions pas la première parole à dire avant même l’annonce du règne de Dieu : Paix à cette maison ! L’œuvre de Dieu que nous avons à propager, c’est fondamentalement la paix entre tous, la paix pour tous. Ce n’est pas la peine de vouloir parler de Dieu si notre but est d’engendrer des conflits. Notre devoir premier, c’est la paix et l’annonce du règne de Dieu qui est toujours un règne de paix. Dieu ne peut pas régner dans les cœurs agités, dans les cœurs qui se font la guerre. Souvenons-nous du message des anges quand Dieu est entré dans le monde en son Fils Jésus. Il résonnait ainsi : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ! Il n’y a là rien de difficile à comprendre, me semble-t-il ! Invoquer Dieu pour faire la guerre et pour détruire l’homme est une hérésie doublée d’un blasphème, et ce dans toutes les religions. 

            Au moment où nous entrons en vacances et profitons d’un temps de repos bien mérité, demandons à Dieu cette paix du cœur et cet art de vivre en frères qui nous fera annoncer son règne par notre vie simple et ordinaire. Puissent les hommes et les femmes que nous rencontrerons, découvrir à travers nous ce règne de Dieu devenu proche des hommes. Qu’ils soient croyants ou non, qu’ils soient engagés à construire avec nous un monde plus juste et plus fraternel, un monde plein d’espérance en demain qui vient. Amen.