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Ce blog voudrait vous permettre de vivre un chemin spirituel au rythme de la liturgie de l'Eglise catholique.

Les méditations s'appuient soit sur les textes bibliques quotidiens, soit sur la prière de l'Eglise.

Puisque nous sommes tous responsables de la foi des autres, n'hésitez pas à laisser vos commentaires.

Nous pourrons ainsi nous enrichir de la réflexion des autres.







samedi 26 juin 2010

13ème dimanche ordinaire C - 27 juin 2010

Homélie donnée au Carmel de Marienthal

Qui peut vraiment suivre le Christ ?
Un peu provoquante, la question, je n'en disconviens pas, mais nous avons le droit de la poser ainsi aujourd'hui, après avoir entendu cette page d'Evangile (Lc 9, 51-62). C'est bien cette question qui me semble être au centre de cette page. Et elle nous oblige alors à nous interroger sur ce qui est nécessaire pour nous mettre à la suite de Jésus.

Certains diront : Pour suivre le Christ, il faut le vouloir ! On ne peut forcer personne. Et ils ont raison... en partie. Disons que c'est un bon début. Je te suivrai partout où tu iras, dit un homme à Jésus. Nous ne savons pas s'il a fini par le faire. Ce que nous savons, c'est ce que lui répond Jésus. Et honnêtement, qui d'entre vous s'attendait à pareille réponse ? N'aurions-nous pas préféré un "Mais bien sûr, viens, mon ami !" ? Or la réponse de Jésus énumère le style de vie de Jésus : Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête. Un publiciste vous dirait qu'on fait mieux comme argument de vente. Le propos de Jésus n'est pas tant d'encourager que de préciser les qualités requises. Vouloir suivre Jésus, c'est bien ; le suivre vraiment, dans un quotidien, demande détachement, révision des priorités. Suivre Jésus, c'est le suivre sur le chemin du renoncement, de la simplicité pour ne pas dire de la pauvreté évangélique. C'est s'engager à une dose d'incertitude. Oui, dans un sens, pour suivre Jésus, il faut le vouloir, mais sans se tromper sur les exigences nécessaires pour réaliser cela.
D'autres alors diront : plutôt que de le vouloir, il faut être appelé par Jésus pour pouvoir le suivre vraiment. Et ils ont, eux-aussi, raison... en partie. Nous le constatons bien dans l'Evangile. Jésus dit à un autre : "Suis-moi" L'homme répondit : "Permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père." Mais Jésus répliqua : "Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le Règne de Dieu." Là non plus, nous ne savons pas ce qu'il en a été au final. A-t-il suivi ou non ? Il a été appelé, mais avait encore des choses à faire. Être appelé par Jésus, c'est un bon début, encore faut-il être prêt à entendre cet appel à tout laisser, là, de suite, et se mettre en route. L'exigence de Jésus ne vise pas à détourner des conventions sociales, mais à rappeler qu'il y a urgence et pour l'appelé et pour ceux à qui il est envoyé. L'urgence, c'est celle du Royaume à annoncer.

Alors qui peut vraiment suivre Jésus ? La prière de l'Eglise y répond à sa manière dans la liturgie de ce dimanche. La prière sur les offrandes nous fera dire : Dieu qui agis avec puissance dans tes sacrements, fais que le peuple assemblé pour te servir soit accordé à la sainteté de tes propres dons. Peut vraiment suivre Jésus, servir Jésus, celui qui est accordé à lui, accordé à la sainteté de ses dons. Cet accordement est un don de Dieu qu'il nous faut demander, accueillir et vivre. Que voulez-vous ? Il ne suffit pas de demander et de recevoir ; il faut encore faire quelque chose avec ce que nous recevons. La liturgie des ordinations fait dire à l'évêque : Que Dieu lui-même achève en vous ce qu'il a commencé. C'est vrai de toute personne ordonnée ; mais c'est vrai aussi de tout baptisé. Cette phrase pourrait faire partie du rituel du baptême (lorsque nous sommes reconnu fils et fille de Dieu), du rituel de la confirmation (lorsque l'Eglise confirme ce qui a été réalisé en nous au jour de notre baptême), du rituel du mariage (lorsque des époux s'engagent l'un envers l'autre et que leur amour devient une icône de l'amour de Dieu pour chacun) et de l'Ordo Missae, c'est à dire du déroulement de l'Eucharistie. Une fois que nous avons reçu le Corps du Christ, n'est-ce pas à lui d'agir en nous, et à nous de le laisser faire en nous pour que cette sainteté du don reçu puisse être communiqué à toute notre existence ? Une fois que nous avons communié, n'avons-nous pas, selon le mot de saint Augustin, à devenir ce que nous avons reçu : le Corps vivant du Christ ?

Il ne suffit pas d'être appelé par Jésus pour être capable de le suivre ; il ne suffit pas de le vouloir pour pouvoir suivre Jésus ; il ne suffit pas d'être baptisé pour être chrétien ; il ne suffit pas de communier pour être du Corps du Christ... Il faut en toute chose que nous soyons raccord avec Jésus, qu'il devienne notre tout et qu'à notre tour nous le suivions là où il veut nous mener et non là où nous voudrions aller. Il faut qu'en tout, nous devenions comme le Christ, et qu'avec courage, nous prenions la route qui mène à notre Jérusalem, conscients des obstacles que nous rencontrerons. En suivant Jésus librement et non par instinct grégaire, nous parviendrons, malgré le chemin étroit et escarpé, à la gloire du Royaume. Nous savons que c'est là le but ; nous savons que nous y parviendrons parce que Jésus, le premier, a pris ce chemin. C'est sur ce chemin qu'il nous faut le suivre, consciemment. Appelés par lui, désireux en notre coeur de le suivre, nous parviendrons nous aussi là où le Divin Maître est entré le premier, si comme lui nous nous laissons conduire par l'Esprit. Amen.



(Dessin de Coolus, Blog du lapin bleu. Et dire qu'il en existe encore qui ne le connaisse pas !)

dimanche 20 juin 2010

12ème dimanche ordinaire - 20 juin 2010

Que dites-vous de moi ? Que dites-vous de vous ?


Régulièrement revient cette question de Jésus à ses disciples : Pour vous, qui suis-je ? Et on comprend bien son importance, tant il est vrai que se tromper sur Jésus, revient à se tromper sur notre foi, sur notre Dieu, sur notre espérance ! Une fausse déclaration au sujet de Jésus, et voilà tout un édifice qui s'écroule, un Dieu qui change, une espérance qui disparaît. Il suffit d'observer l'histoire des premiers siècles de l'Eglise pour se rendre compte que cette question de Jésus était loin d'être simple. Les réponses multiples qui ont été données et qui ont abouti à la rédaction de nos symboles de foi, témoignent des rudes discussions, pour ne pas dire batailles, qui ont pimenté la vie des premiers chrétiens. Jésus est-il vrai Dieu ? Dieu peut-il mourir sur une croix ? Jésus est-il vrai homme ? N'a-t-il pas joué à être homme ? Est-il un homme particulièrement saint qui a été adopté par Dieu ? Ce ne sont que quelques unes des questions qui ont agité les premiers croyants. En redisant tout à l'heure notre foi, nous donnerons la réponse de l'Eglise, la réponse de tout croyant à chacune de ces questions, et nous nous situerons communautairement et personnellement face à cette question de Jésus : Pour vous, qui suis-je ?

Cette question de Jésus, pour fondamentale qu'elle soit, en appelle pourtant une autre ? Je la formulerai ainsi : Et vous, que dites-vous de vous-mêmes ? C'est-à-dire : Qui est l'homme aujourd'hui ? Ou encore : Qu'est-ce qu'un chrétien en ce 21ème siècle ? Certes, Jésus ne l'a pas posée, mais ne l'a-t-il pas sous-entendue, lui qui, dans son double commandement de l'amour, liait Dieu et les hommes ? En préparant cette homélie, je me suis demandé si ce n'était pas aujourd'hui la première question à se poser. Qui sommes-nous ? Quand on voit comment va notre monde, quand on observe tant d'attaques contre des symboles religieux, contre des cimetières, quand on voit que même les morts ne sont plus en paix, n'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur l'homme, sur ses rapports avec ses congénères, sur son rapport à Dieu ?

Qu'est-ce qu'encore un homme s'il vient à nier sa dimension religieuse ? Question rude pour un citoyen français, attaché à la laïcité au point d'en être aveuglé, et méconnaissant ainsi l'héritage religieux proprement chrétien qui a fondé pour une large part et le pays et le continent sur lequel il vit. N'en déplaise à certains, la France a existé avant la Révolution, et ce qui aujourd'hui est du service public était alors largement assuré par les religieux (écoles, hôpitaux, présence auprès des plus pauvres...) Nier la dimension religieuse de l'homme, c'est nier et effacer près de 17 siècles de notre histoire au seul profit du siècle des Lumières, qui, à contempler la décrépitude des règles morales élémentaires, n'éclaire plus beaucoup ! On a chassé la religion et Dieu pour fonder un vivre ensemble purement humaniste : l'idée était sans doute belle, mais l'homme ne se suffit pas à lui-même. La pleine stature de l'humanité, c'est la ressemblance et l'image de Dieu qu'elle porte en elle et qu'elle est appelée à découvrir par un cheminement spirituel. La vie avec le Christ n'a d'autre but que celui-là : rendre à l'homme la dignité qui est la sienne pour qu'il s'élève et construise un monde plus juste qui ne repose pas sur une idéologie politique (elles se sont toutes effondrées) mais sur ce qu'il y a à la fois d'unique et de commun à tous : la filiation divine en Jésus. Paul est plus que clair à ce sujet dans la seconde lecture entendue. En Jésus Christ, vous êtes tous fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n'y a plus ni Juif ni païen, il n'y a plus esclave ni homme libre, il n'y a plus l'homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu'un dans le Christ Jésus. La fraternité humaine se fonde sur le sacrifice unique du Christ sur la croix qui a ouvert ainsi à tous les hommes le chemin du salut, la dignité d'enfant de Dieu qui surpasse tout ce qu'on peut imaginer. Celui qui a compris qui il est vraiment ne peut plus se tromper sur Jésus, la personne à qui il doit ce qu'il est devenu.

C'est là que se compliquent les choses. Car quelle question aborder en premier ? Faut-il d'abord découvrir le Christ pour savoir qui je suis ? Ou dois-je d'abord me connaître pour bien saisir qui est Jésus et ce qu'il réalise pour moi ? Un début de réponse pourrait être d'engager un vrai compagnonnage avec Jésus, même si on ne sait pas très bien qui il est. Sa question de confiance, il ne la pose pas au début de son ministère, mais bien après que ses disciples et les foules l'aient entendu et vu à l'oeuvre. Peut-être faut-il faire cet effort de se mettre vraiment à l'école de Jésus pour découvrir d'abord ce qu'il a à nous dire, ce qu'il nous invite à vivre, pour constater alors qui il est vraiment. N'est-ce pas là la vraie démarche de celui qui cherche un sens à sa vie : non pas s'en inventer un, non pas suivre l'air du temps, mais se mettre patiemment et humblement à l'école d'un maître pour écouter, voir, et bien juger ? Se mettre à l'école de Jésus pour l'entendre nous proposer une conversion radicale, nous envoyer vers les autres pour construire avec eux et pour eux un monde meilleur, un monde qui ressemble à ce que Dieu en avait fait jadis, à la Création. Se mettre à l'école de Jésus pour nous sentir véritablement aimés, tel que nous sommes, par celui que Jésus appelle lui-même son Père et notre Père. Se mettre à l'école de Jésus pour découvrir en lui la source de la vraie vie, celle qui met en route, celle qui se partage et qui procure la joie véritable. Se mettre à l'école de Jésus pour nous découvrir vrais hommes appelés à partager la sainteté de Dieu.

Répondre à la question de Jésus avec honnêteté n'engage pas seulement notre foi ; c'est engager toute notre vie ! Ayant découvert qui est Jésus pour moi et ce qu'il réalise dans ma vie, je découvre vraiment qui je suis ; et par là, je découvre aussi que mes semblables partagent cet héritage avec moi. Voilà de quoi fonder solidement notre humanité ; voilà de quoi rappeler le rôle irremplaçable du Christ dans la construction de cette humanité ; voilà de quoi rendre à Dieu la louange qui lui revient. Puissions-nous ne jamais l'oublier ! Amen.



(Icône du Christ, collection de l'auteur)

samedi 12 juin 2010

11ème dimanche ordinaire C - 13 juin 2010



Homélie donnée en la chapelle du Carmel de Marienthal à l'occasion d'une messe pour les défunts de la famille.





Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi. Il faut sans aucun doute une grande foi, une longue expérience et une belle relation à Dieu pour, comme Paul, poser pareille affirmation. Elle est pourtant réalité, pour chacun de nous, dès que l'eau du baptême a coulé sur nous et que nous avons été identifiés à lui. Je voudrais, avec vous, essayer de mieux en comprendre le sens.


C'est le Christ qui vit en moi. Chaque baptisé peut donc oser cette affirmation, puisqu'il a accueilli le Christ au coeur même de sa vie. Mieux encore, il a été accueilli par le Christ. Recevant le Christ, nous sommes reçus par lui, comme un frère, comme une soeur, comme co-héritiers de la grâce de Dieu. Nous vivons du Christ parce que le Christ vit en nous. Et lorsque nous communions, n'est-ce pas encore cette union intime au Christ qui se joue ? La fête du Corps et du Sang du Christ que nous célébrions dimanche dernier nous le redisait avec force. Nous pouvons en être convaincus : en Jésus, Dieu ne nous laisse pas seul. Par l'incarnation de son Fils, il ne s'est pas contenté de rejoindre l'humanité, en général ; il nous rejoint chacun, en particulier, là où nous en sommes de notre vie, de notre foi, pour nous attirer à sa suite et nous faire progresser vers ce Royaume où nous sommes tous attendus, vers ce Royaume où les défunts de nos familles, pour qui nous offrons cette eucharistie, vivent désormais.

C'est le Christ qui vit en moi. Cette affirmation n'est pas pour l'au-delà, quand nous verrons Dieu face-à-face, à notre tour. Elle est pour aujourd'hui, pour ici et maintenant. Et pourtant, nous savons bien, parce que la vie nous l'apprend chaque jour, qu'il y a encore du chemin à parcourir. Il y a des jours sombres dans notre vie, des jours desquels le Christ semble curieusement absent. Et, à y regarder de près, ce sont toujours les jours les plus difficiles. Le Christ ne serait-il là que quand il fait soleil dans nos vies ?

C'est le Christ qui vit en moi. Une parole de foi à ne pas oublier dans les jours gris. Une parole de foi qui doit se vérifier surtout dans ces jours-là. Peut-être connaissez-vous ce poème d'Ademar de Borros qui nous parle d'un homme regardant sa vie comme des traces de pas dans le sable. Il en vient à remarquer deux traces de pas, côte à côte, la sienne et celle de Dieu ; et à certains moment, plus qu'une seule trace, marquée plus profondément dans le sol. Le poète remarque bien vite que cette trace unique, s'enfonçant lourdement dans le sol, correspond justement aux jours les plus difficiles de sa vie. Il se tourne alors vers Dieu pour l'interroger : Pourquoi, dans les jours difficiles, n'y a-t-il plus qu'une seule trace ? Où étais-tu quand j'avais besoin de toi ? Pourquoi me laisser seul avec mon fardeau ? Et Dieu de lui répondre : Mon fils, les jours où tu ne vois qu'une seule trace, plus profonde, je te portais sur mes épaules ! Dieu est présent, toujours, au coeur de la vie de celui qui lui fait confiance. Dieu est présent, toujours, au coeur de notre vie, et si nous ne le voyons plus marcher à côté de nous, peut-être devrions-nous vérifier si ce n'est pas lui qui nous porte, et qui porte avec nous notre fardeau.

C'est le Christ qui vit en moi. Ayant accueilli le Christ au coeur même de notre vie au jour de notre baptême, nous pouvons être certain de sa présence définitive au coeur de notre vie. Il est l'ami fidèle qui jamais ne reprend sa parole. Il est celui qui a donné sa vie pour nous, sur la croix. C'est lui qui nous rend juste ; c'est lui qui nous sauve ; c'est lui qui veille sur nous ; c'est lui qui nous accueille toujours. Nous n'avons pas d'autre effort à faire que d'accueillir sans cesse la grâce qu'il nous fait. Nous n'avons pas d'autre effort à faire que de désirer vivre toujours plus de lui. Comme le lapin bleu sur le dessin de votre feuille, vous pourrez toujours retrouver sa trace en vous, entendre le coeur de Dieu qui bat en vous. En écoutant bien, en aimant mieux celles et ceux qu'il place sur votre route, vous finirez par entendre votre coeur battre au rythme du coeur de Dieu, et comme Paul, vous pourrez dire : Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi.

(Dessin de Coolus, site du lapin bleu. Si vous ne l'avez pas encore consulté, dépêchez-vous !)

samedi 5 juin 2010

Fête du Corps et du Sang du Christ - 06 juin 2010

Homélie donnée en dimanche en l'église saint Joseph de HOENHEIM.


Ils ont l'air fin, ces hommes et ces femmes qui ont suivi Jésus toute la journée et qui, le soir venu, se rendent compte qu'ils n'ont rien à se mettre sous la dent parce qu'ils ont oublié leur pique-nique. Ils ont l'air un peu stupide, ces disciples qui ne sont même pas capables d'organiser une petite sortie autour du Christ et d'assurer l'intendance. Il a l'air moqueur, Jésus, lorsqu'il se tourne vers ses disciples pour les inviter à nourrir ces têtes-en-l'air qui se sont nourris l'esprit de sa parole, mais qui n'ont pas de pain pour le ventre. Ainsi additionnées, cela fait beaucoup d'incohérences. Mais ne fallait-il pas cela pour que la gloire de Dieu soit manifestée ? Car, n'en doutons pas : avec Jésus, chaque incohérence de la part des hommes est occasion de manifester la puissance de Dieu et sa présence au monde des hommes. N'est-il pas, lui, Jésus, Dieu fait homme, vivant au milieu de son peuple, pour le combler de ses dons ?

Si nous avions arrêté notre lecture au moment où les disciples informaient Jésus de la situation, quiconque, connaissant un peu le Christ, aurait pu prédire que cela finirait bien, que Jésus, forcément aurait pitié de cette foule et qu'il interviendrait en sa faveur, comme il était déjà intervenu lors de cette noce à Cana, où il n'y avait plus de vin. Car quiconque connaît, ne serait-ce qu'un peu, Jésus, sait qu'il est venu pour le bonheur des hommes, pour que les hommes connaissent la joie de Dieu. Mais alors se pose la question de cette déviation mise en place par Jésus lui-même et qui nous fait passer par les Apôtres. Ils sont comme un maillon indispensable à la réalisation du signe du pain multiplié. Donnez-leur vous mêmes à manger ! L'ordre est sans appel. Il oblige les Apôtres à faire l'inventaire de ce qui est disponible : cinq pains et deux poissons ! Peu de chose, convenons-en ! Mais ce peu de chose va se trouver multiplié par la force de l'amour : l'amour de Dieu à l'égard des hommes qui attendent un signe de sa main ; l'amour d'un inconnu qui a accepté de céder ces choses dérisoires face au grand nombre à nourrir. Car là se trouve peut-être le secret de la toute puissance de Dieu : Dieu veut avoir besoin de nous pour agir auprès de nos frères.

Donnez-leur vous mêmes à manger ! Cet ordre du Christ aux Apôtres a mis les hommes en marche ; des solidarités se sont nouées ; Jésus a pu rendre grâce à son Père pour cela et chacun a pu manger à sa faim. Ce premier ordre sera amplifié au soir du Jeudi Saint, lorsque le Christ célèbrera la première eucharistie de l'histoire. Ne dira-t-il pas aux siens : Faites cela en mémoire de moi ? Aujourd'hui, nous ne pouvons séparer ces deux événements. Si le repas de la nuit du Jeudi Saint est explicitement eucharistique, le repas partagé de l'évangile de ce jour l'est tout autant. Cette multiplication des pains annonce en effet que Dieu veille sur les siens et qu'il leur donne la nourriture au temps voulu. Ce repas surmultiplié va marquer au coeur les Apôtres ; quand ils entendront le Christ les inviter à refaire les gestes du Jeudi Saint, comment pourraient-ils ne pas penser à tous ces repas pris avec lui, et plus particulièrement à ce repas où il a nourri une multitude. Dans cet endroit désert, il partage aux hommes un peu de pain et de poisson, signe de l'amour partagé ; au soir du Jeudi Saint, il partage à ses disciples du pain et du vin, signe d'une vie offerte par amour, signe de la vie des hommes sauvés par le don de la sienne. Dans les deux cas, les disciples sont au coeur du signe : au désert, le partage entre tous leur revient ; à la cène, le devoir de mémoire devient leur quotidien.


Aujourd'hui encore, l'Eglise vit de ces signes du Christ : signe du pain partagé par amour, signe de la vie donnée, offerte par amour. Lorsque nous célébrons l'Eucharistie, c'est bien de cela qu'il s'agit : partager un morceau de pain, dans lequel nous reconnaissons la présence agissante du Christ, mort et ressuscité pour nous. Participer à ce repas est tout, sauf banal. Communier au Corps et au Sang du Christ devient le signe fort de ma volonté de suivre le Christ et de le reconnaître présent en chacun de ceux qu'il me donne de rencontrer. Et ceci se vérifie dans les deux manières que nous avons d'envisager la communion.

Nous pouvons, un instant, considérer la communion sous l'angle de celui qui la donne. Que fait-il ? Il tient la place des Apôtres, chargés de donner au peuple les bienfaits de Dieu. Lorsque vous vous approchez de lui, il élève une hostie, il vous regarde et vous adresse une parole : Le Corps du Christ ; puis il vous partage le pain. Cette succession - regarder, parler, donner - est loin d'être innocente. Si je ne regardais pas la personne à qui je partage le pain, je ne ferais que distribuer quelque chose, sans considérer ni ce que je donne, ni la personne à qui je donne. Lorsque je regarde la personne qui se présente devant moi, je la regarde à travers ce morceau d'hostie que j'élève ; je la vois à travers Dieu, avec les yeux de Dieu. La question ne se pose pas alors de savoir si cette personne m'aime, ni même si moi, je l'aime ! Il n'est pas davantage important de se demander à ce moment-là si je vais donner ou pas. Ce qui compte, c'est cette personne qui avance, avec son histoire, avec sa vie et qui demande, en tendant les mains, un peu de la vie de Dieu pour elle. En lui donnant ce pain, devenu Corps et Sang du Christ, je reconnais qu'elle fait partie de ma famille, je reconnais qu'elle marche aussi à la suite du Christ. Le court dialogue qui s'établit dans la foi, vient consolider cette appartenance commune. En disant : Le Corps du Christ, je pose une affirmation qui ne peut être reçue que par ceux qui partagent la même expérience de foi que moi. Par la réponse : Amen, réponse donnée distinctement, la personne adhère publiquement au Christ Sauveur. Les personnes qui donnent la communion témoignent de l'amour de Dieu pour tous ceux et celles qui s'approchent de l'autel ; les prêtres le font encore d'une manière toute particulière puisque, consacrant le pain, ils rendent possible cet échange de vie et d'amour entre Dieu et les hommes.


Nous pouvons maintenant envisager la communion sous l'angle de celui qui la reçoit. Il s'approche de l'autel, il se déplace. Il manifeste physiquement sa volonté d'aller à la rencontre du Christ et de recevoir de lui ce qu'il veut lui donner. Il exprime aussi qu'il est prêt à partager, avec les autres qui s'approchent, ce don de Dieu à tous les hommes. Il tend les mains, ouvertes, vides et accueillantes ; il reconnaît qu'il a besoin de Dieu pour remplir sa vie. Il pose enfin une parole de foi, en réponse à celle qu'il a entendue. Il adhère pleinement à ce qui lui est proposé, puis il mange le pain reçu. En se déplaçant, il a répondu à l'invitation de Dieu à partager sa table ; en mangeant le pain, il reçoit Dieu dans sa vie, au plus intime de lui-même. Et c'est parce que Dieu demeure désormais chez lui qu'il peut regarder le monde avec les yeux de Dieu. C'est parce que Dieu demeure chez lui qu'il peut tendre ses mains vers ses frères en signe d'amitié, de pardon, de partage. C'est parce que Dieu demeure chez lui qu'il peut aller à la rencontre des autres. C'est parce que Dieu demeure chez lui qu'il peut proclamer à son tour les merveilles de Dieu pour son peuple. Tout son être, toute sa vie sont comme dilatés par l'amour de Dieu reçu au coeur de son existence. Et cet amour-là ne peut pas rester inactif ; cet amour-là ne peut que se partager, se répandre. A partir d'un petit morceau de pain donné et reçu dans la foi, c'est tout un monde qui peut s'ouvrir à la bonté et à la miséricorde de Dieu.

Il a suffit d'un peu de pain, de quelques poissons et de disciples prêts à partager pour qu'une foule immense, au temps de Jésus, mange à sa faim. Il suffit d'un peu de pain et d'un peu de vin pour transformer ce monde, notre monde, en monde d'amour. Nous accueillerons le pain, nous accueillerons le vin. Il ne manquera plus que toi pour les recevoir ; il ne manquera plus que toi pour les partager. Amen.


(Dessin de Coolus, extrait du blog du lapin bleu. Voir liens)