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Ce blog voudrait vous permettre de vivre un chemin spirituel au rythme de la liturgie de l'Eglise catholique.

Les méditations s'appuient soit sur les textes bibliques quotidiens, soit sur la prière de l'Eglise.

Puisque nous sommes tous responsables de la foi des autres, n'hésitez pas à laisser vos commentaires.

Nous pourrons ainsi nous enrichir de la réflexion des autres.







samedi 26 janvier 2019

03ème dimanche ordinaire C - 27 janier 2019

De l'importance de la Parole de Dieu.






Dans un monde de l’image comme celui que nous connaissons, la parole peut sembler avoir perdu de sa force. Ce que nous voyons prend plus d’importance que ce que l’on nous dit. Pourtant la parole garde toute sa valeur ; elle est même nécessaire pour ne pas se méprendre sur l’image, sur ce que nous voyons ou croyons avoir vu. Une agence publicitaire, travaillant sur le rôle de la presse, l’a bien compris et démontré en montant différemment les mêmes images : dans un cas, ces images racontaient l’histoire de soldats européens qui attaquaient un village du Moyen-Orient entrainant en représailles une explosion ; dans la seconde version, ces mêmes images montraient une explosion entraînant une intervention de soldats européens pour protéger les populations du Moyen-Orient. Sans commentaire, ces images en tout point identiques, disent deux histoires différentes. La parole et le témoignage direct restent indispensables pour nous permettre de bien comprendre. C’est ce que nous disent les lectures de ce dimanche.

Relisez le passage du Livre de Néhémie. Nous pouvons être impressionnés par cette image du peuple rassemblé au retour d’exil pour écouter la Loi retrouvée. Peut-être sommes-nous même édifiés de constater à quel point la Parole de Dieu peut transformer une vie, bouleverser un cœur ! Mais pourquoi cette page du livre de Néhémie résonne-t-elle plus souvent comme une belle histoire que comme la réalité ? Aurions-nous perdu le sens de cette Parole ? Avons-nous trop d’idoles pour pouvoir entendre encore ce Dieu qui nous parle ? Lorsque Esdras travaille à Jérusalem, le peuple de Dieu est une nation à reconstruire. Quelques cent-cinquante années auparavant, il avait été vaincu militairement et déporté. Il ne restait rien de la grandeur du royaume de David et de Salomon. Il ne restait pas pierre sur pierre de Jérusalem ou du Temple. Pour tous ceux qui essayèrent de comprendre cet événement douloureux, il devenait clair que le rejet de Dieu par le peuple et le rejet de sa Parole étaient à l’origine de cette catastrophe. Maintenant que le peuple était de retour sur sa terre, la terre promise jadis à leurs Pères par Dieu, il devenait nécessaire d’inscrire cette Parole au cœur de la vie du peuple. La célébration à laquelle nous assistons est ce moment où le peuple manifeste sa joie de vivre sous le règne de cette Parole qui tant de fois, dans le passé, l’avait libéré de ses esclavages. Après l’exil, un nouveau temps commençait : il devait être marqué par cette Parole et par l’engagement clair à en vivre.

La proclamation de ce texte de Néhémie nous provoque aujourd’hui à réfléchir sur notre propre rapport à la Parole de Dieu, sur notre attachement au livre de la Bible. Nous savons que Dieu a parlé à son peuple dans le passé. Mais sommes-nous bien conscients qu’il veut encore nous parler aujourd’hui ? Ce vieux livre qu’est la Bible n’est pas un livre du temps jadis ; il est une Parole pour aujourd’hui ; il est une Parole qui nous ouvre l’avenir ; il est une Parole pour tous les temps. Fréquenter cette Parole, en dehors du dimanche matin, lors de la messe, est demandé à chacun de nous. Comment pouvons-nous marcher à la suite du Christ, à la rencontre de Dieu, si nous ne l’entendons plus quotidiennement ? Je ne doute pas que nos vies soient bien remplies ; je ne doute pas que nos activités multiples nous prennent un temps considérable. Il y a tant de choses à faire. Mais il y a aussi beaucoup d’inutile dans une journée, de temps perdu. Pourquoi ne pas l’utiliser à l’écoute de cette Parole ? Il ne s’agit pas d’y consacrer des heures : mais juste d’en lire un passage, deux-trois phrases ; les textes que l’Eglise propose à notre méditation chaque jour. Faire l’effort pour cela. Nous avons tous une bible : est-elle autre chose qu’un livre parmi d’autres sur les rayons poussiéreux de nos bibliothèques ?

Il y en a pour qui la Bible est un instrument de travail : prêtres, diacres, théologiens, mais aussi catéchistes, animateurs liturgiques. Savons-nous encore goûter cette Parole gratuitement, sans qu’elle ait un lien immédiat avec ce que nous devons préparer dans le cadre de nos engagements ecclésiaux ? A force d’approcher les textes bibliques, sommes-nous encore bouleversés par cette Parole de Vie et par le souffle qu’elle vient donner à nos existences ? Lorsque le peuple entend la Parole de Dieu et les explications d’Esdras, il pleure tant il est touché par ce qui est dit. Quand vous écoutez de nouveaux convertis, ils vous disent souvent avoir été bouleversés par une Parole de Dieu. Lors de moment de retraite, j’ai moi-même fait l’expérience que la parole du prédicateur s’adressait à moi, dans ce que je vivais. Ils sont vraiment forts, ces moments-là. Mais il y a aussi les moments où cette Parole semble ne plus nous toucher. Alors vient le découragement, souvent suivi de l’abandon. C’est là qu’il nous faut réentendre Néhémie et les acclamations de ce peuple qui a connu le pire. C’est là qu’il faut entendre à nouveau le passage du prophète Isaïe lu par Jésus à la synagogue de Nazareth. C’est là qu’il faut entendre Jésus nous redire : Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre. Aujourd’hui est le jour de votre salut. 

J’en suis convaincu : il nous faut redécouvrir toute la force de ces paroles, toute l’actualité de ces textes bibliques. Ils sont Parole de Dieu pour nous aujourd’hui. Ils sont capables de donner sens à notre vie, de répondre à tous nos pourquoi. Selon le mot de Mgr Elchinger, la Bible, ce n’est pas de la tisane pieuse à boire le soir au coin du feu : c’est de la dynamite ! La Parole de Dieu, entendue et vécue, fait éclater nos étroitesses d’esprit ; elle renverse les murs qui nous séparent ; elle nous fait vivre notre vie en grand. N’ayons pas peur d’ouvrir ce livre ; n’ayons pas peur de nous laisser transformer par cette Parole. Nous avons tout à y gagner. Laissons-nous pénétrer de cette Parole ; laissons-nous entraîner à sa suite ! AMEN.

 

 


dimanche 20 janvier 2019

02ème dimanche ordinaire C - 20 janvier 2019

A la suite de Jésus, poser des signes.






Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. Voilà dit de manière claire comment, après l’appel des disciples, commence la mission de Jésus auprès des hommes dans l’Evangile de Jean. Une petite phrase pour nous faire entrer dans la grande histoire de ce Dieu qui se révèle aux hommes. Nous sortons du temps de Noël, du temps de l’enfance, pour rencontrer enfin Jésus adulte. 

Cette première rencontre se fait lors d’un mariage. Marie, sa mère, était invitée. Il l’a accompagnée, avec ses amis. Rien d’extraordinaire. On ne sait rien sur les époux, on ne sait rien de l’ambiance ;  on sait juste que la fête risque de tourner court car ils n’ont plus de vin. Pour l’heure donc, Jésus participe à ce qui fait la vie des hommes : il vit sa vie humaine, dans toutes ses dimensions. Pour celles et ceux qui en doutaient, Jésus est bien l’un des nôtres. Totalement. Tout semble donc aller bien jusqu’à ce que sa mère s’adresse à lui : ils n’ont plus de vin. Comme si cela était sa faute ! Comme s’il pouvait y remédier ! Les commentateurs ont longuement glosé sur cette intervention de sa mère et sur la réponse de Jésus. J’aime assez l’interprétation que j’en ai lu en préparant cette homélie : à savoir que Marie, par ces mots, fait comprendre à son fils que le temps est venu qu’il vive sa vie, qu’il réalise ce pourquoi il est venu. Il est venu dans le monde pour sauver les hommes ; il est venu dans le monde pour les rendre heureux. Quoi de plus symbolique pour marquer le début de cette vie que de sauver non seulement une fête, mais la fête par excellence : celle de l’amour qui unit un homme et une femme. Si l’Eglise a fait du mariage un sacrement, c’est peut-être parce que l’amour qui unit un homme et une femme peut devenir le signe de l’amour que Dieu veut partager avec chacun de nous du moment qu’il est admis à cette noce. En invitant Jésus, les époux et leurs familles n’ont certainement pas pensé inviter Dieu lui-même. Mais Dieu se manifeste toujours là où on ne l’attend pas.

Pour marquer son entrée dans le monde, Jésus va donc donner un signe. Ou, plus exactement, il va donner un ordre qui deviendra un signe. Personne ne sait comment l’eau a été changé en vin. Est-ce l’intervention bienveillante de Marie ? Est-ce le fait d’un geste secret de Jésus ? Est-ce la confiance accordée à la parole de Jésus par les serviteurs qui est à l’origine du signe ? Qu’importe finalement ! Ce qui compte, c’est que la fête est sauvée. Ce qui compte, c’est que quelqu’un a vu, que quelqu’un a dit, que quelqu’un a fait. C’est peut-être tout cela qui fait le signe. Marie aurait-elle pu à elle seule poser ce signe ? Si Jésus n’avait pas été averti, aurait-il pu le faire ? Les serviteurs, sans l’intervention de Marie et la parole de Jésus, auraient-ils obtenu le même résultat ? Chacun, à la place qui est la sienne, a contribué à la réalisation du signe de Cana. Ce signe est alors plein d’enseignement pour l’Eglise, la communauté des croyants. Sans le Christ, elle ne peut rien ; sans les hommes, Dieu ne peut rien ; sans les charismes propres à chacun, nous ne pouvons rien. Saint Paul l’a bien compris lorsqu’il explique qu’à chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous. Ce n’est qu’en unissant nos capacités et nos dons que nous pouvons faire avancer l’Eglise. Les signes que le Christ a posés, et qui ont entraîné la foi de ses disciples, sont encore possible aujourd’hui si nous unissons nos forces : les hommes et les femmes qui ne connaissent pas le Christ peuvent encore être entraînés à sa suite si les croyants font vivre leurs charismes, leurs dons respectifs, sans chercher à en tirer leur propre gloire. Ensemble, nous pouvons poser des signes qui entraîneront la foi de ceux qui les verront, à l’exemple de ce premier signe de Jésus, jadis, à Cana. 

Par le signe de Cana, Jésus provoque la foi de ses disciples. A la suite de Jésus, nous pouvons et devons poser des signes pour stimuler notre foi et faire advenir la foi des non croyants. Par exemple des signes d’unité entre croyants au Christ de différentes confessions en cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens ; ou encore des gestes de communion entre catholiques de différents villages ; sans oublier les gestes de charité envers tout homme que Dieu met sur notre route. Tous ces gestes témoigneront de notre volonté de construire un monde meilleur, plus juste et plus humain. En faisant ainsi, nous deviendrons l’Epouse parfaite de Jésus Christ, celle qui fait la joie de son Dieu. AMEN.
 
(Duccio di Buoninsegna, Les noces de Cana, 1308-1311, Museo dell'Opera del Duomo, Sienne)

samedi 12 janvier 2019

Baptême du Seigneur C - 13 janvier 2019

Il a été baptisé mais n'en est pas chrétien pour autant !







Il y a une chose qui étonne (encore) beaucoup de gens : c’est que Jésus est né juif et il est mort juif alors même qu’il a reçu le baptême. C’est évident pour moi et pour ceux qui maitrisent un peu les concepts de notre foi ; mais cela en étonne d’autres, même chez les chrétiens. Enfin quoi, il a bien été baptisé, non ? Ben oui, et la fête de ce dimanche nous le rappelle. Mais le baptême qu’il a reçu est celui de Jean le Baptiste, et il est différent du baptême chrétien. Alors oui, Jésus a été baptisé, mais n’en est pas pour autant devenu chrétien.

En lisant attentivement l’évangile de Luc, nous pouvons dire la même chose de tous ceux qui sont venus à lui : ils ont été baptisés, mais n’en sont pas chrétiens pour autant. Le baptême de Jean est un geste de conversion, un geste qui marque le désir de se tourner à nouveau vers Dieu. C’est un geste qui venait combler la soif de Dieu d’un peuple. Remarquez bien ce qu’écrit Luc : le peuple venu auprès de Jean le Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. De cette affirmation, je déduis que ce ne sont pas quelques illuminés qui sont allés voir le Grand illuminé pour se constituer en groupe ou en association. Non, c’est un peuple qui se déplace parce qu’il attend quelque chose ou plutôt quelqu’un qui peut quelque chose pour lui. Un peuple, c’est plus que trois ou quatre, même plus que cinquante ou cent. Un peuple, c’est aussi une manière de dire que tous ces gens sont habités par la même espérance. Il y a quelque chose, au-delà d’une appartenance ethnique, qui les lie, un désir profond jusqu’ici inassouvi. Il y a comme une lame de fond qui les rassemble tous autour de Jean le Baptiste. Et tous sont travaillés par la même question : celui-là n’est pas le Christ ? Nous parlons donc d’un peuple, qui attend, qui cherche des réponses, qui attend quelqu’un. Le baptême de Jean est un premier moyen pour eux d’être apaisés, rassurés : ils ne sont pas oubliés, ils ne sont pas maudits, il leur est toujours possible de revenir vers Dieu. Mais la réponse de Jean est limpide. Même s’il ne dit pas qu’il n’est pas le Christ, sa réponse ne laisse pas de place à mauvaise interprétation : Il vient, celui qui est plus fort que moi. Il faudra donc attendre encore, chercher encore, avec cette certitude que le temps est proche de la venue de celui qu’ils espèrent. 

Ce qui est surprenant, c’est que personne ne leur dit, quand Jésus vient au milieu d’eux, pour avec eux se faire baptiser, que c’est lui, qu’il est là, celui qu’ils ont tant attendu. Ni Jean, ni Jésus, ni Dieu le Père : personne ne vient éclairer ce peuple en attente. La parole venant du ciel, s’adresse à Jésus, et à lui uniquement : Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. Elle lui est dite, chez Luc, après son baptême, dans un de ses moments d’intimité que Jésus cultive : un temps de prière personnelle : après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit… et il y eut une voix venant du ciel. La voix ne s’adresse pas au peuple pour lui dire : Ecoutez-le ! comme le font entendre d’autres évangélistes. Non, chez Luc, c’est intime, parce que ce rapport avec Dieu ne peut être qu’intime, personnel. Il faut que chacun fasse l’expérience de Dieu dans sa vie, et pas seulement qu’il en entende parler. Souvenez-vous de Zachée : il avait entendu parler de Jésus puisqu’il voulait le voir absolument. Mais ce qui l’a converti, c’est bien sa rencontre personnelle avec Jésus, quand Jésus s’est adressé à lui : aujourd’hui, il me faut aller chez toi. Il n’y a pas de miracle, pas de grand signe : il y a une soif de Dieu, une rencontre, une parole : et la connexion a lieu. Pour Jésus, il fallait cette parole intime du Père pour qu’il entre dans sa mission ; là il est envoyé par Dieu, il ne peut plus en douter si d’aventure il l’avait fait ! Jésus a été baptisé par solidarité avec ce peuple qui cherche Dieu ; et il est envoyé par Dieu vers ce peuple, comme son Fils bien-aimé. Tout est réuni pour que la soif du peuple soit étanchée. Jésus a bien été baptisé mais pas pour devenir chrétien ! 

Il a été baptisé donc mais il n’en est pas chrétien pour autant ! C’est malheureusement ce que nous pouvons dire de beaucoup aujourd’hui, et même quelquefois de nous. Ce n’est un secret pour personne : tous ceux qui ont été baptisés, ne vivent pas en baptisés vingt-quatre heure sur vingt-quatre.  Parce que la vie nous éloigne du Christ, parce que nos aspirations sont autres, parce que le Mal travaille encore en nous. Si le baptême que nous recevons nous identifie au Christ, s’il fait de nous des fils de Dieu, alors nous devons vivre comme lui. Jamais il n’a menacé, invectivé, frappé ou détruit ; jamais il n’a répandu la haine de ceux qui gouvernaient à son époque. Et quand il a piqué une sainte colère, ce n’était pas pour satisfaire une pulsion personnelle ou pour appeler à la révolte, mais pour défendre la grandeur de Dieu, la grandeur du Temple. Défendre les petits et les pauvres, c’est s’attaquer aux structures du péché, jamais aux personnes ! Défendre les petits et les pauvres, si c’est bien une attitude chrétienne, ne suppose jamais et ne permet jamais une solidarité dans le Mal. 

Il a été baptisé mais il n’en est pas devenu chrétien pour autant ! Le baptême de Jésus, même s’il n’a pas le sens du baptême que nous avons reçu, doit nous interroger quand même sur le sens que nous donnons à cet acte fondateur de notre vie croyante. Il nous faut revenir à la source, à ce premier contact avec Dieu pour l’approfondir toujours, mieux le comprendre et le rendre plus vrai, plus agissant dans notre quotidien. Le baptême, au-delà de l’acte posé, est un art de vivre à la manière de Jésus ; c’est une relation qui se tisse entre Dieu et nous, entre nous et les frères qu’il nous donne. En ces jours troubles que nous connaissons maintenant depuis deux mois, puisse l’eau de ce sacrement nous rafraîchir l’esprit, apaiser notre soif d’un monde plus juste et nous remettre dans les dispositions qui furent celles du Christ Jésus : une vie de bien au service de tous. C’est la seule voie possible ; c’est la seule attitude chrétienne à avoir. Amen.

 
(Piero della Francesca, Le Baptême du Christ, vers 1450-1465, National Gallery, Londres)
 

 

samedi 5 janvier 2019

Epiphanie - 06 janvier 2019

Avons-nous le droit de célébrer l'Epiphanie ?









L’actualité de cette fin de semaine est marquée, pour moi, par cette lettre anonyme hideuse adressée à un député de la Nation, à qui le ou les destinataires promettent la mort parce qu’il n’est pas blanc et qu’il serait venu profiter des avantages du pays (la France) ! Le reste de la lettre est encore plus abject et ne mérite pas qu’on le relaie. Je découvre cela au moment où je m’apprête à rédiger l’homélie de la fête de l’Epiphanie ; et je m’interroge : avons-nous le droit de célébrer encore cette fête quand des français, blancs apparemment, élevés sans doute au lait du christianisme, en arrivent à écrire pareilles horreurs ! Avons-nous le droit de célébrer l’Epiphanie, quand des responsables politiques, soucieux pour une fois d’installer une crèche dans les espaces publics, en retirent toutefois Melchior au motif qu’il est noir ?

La fête de l’Epiphanie, rappelons-le, nous fait célébrer la révélation du Fils unique aux nations, grâce à l’étoile qui les guidait (oraison de la solennité). Dieu lui-même convoque ainsi tous les peuples de la terre, quelles que soient leurs croyances ou leurs origines, à reconnaître en l’Enfant de la crèche le Fils qu’il a envoyé pour sauver tous les hommes qu’il a créés ! Ce faisant, c’est bien lui, Dieu, qui appelle tous les hommes à une fraternité universelle ; c’est bien lui, Dieu, qui nous oblige à reconnaître en tout homme un frère à accueillir, un frère à aider, un frère à aimer. Ceux que Dieu convoque ainsi dans la maison commune de notre humanité, puis-je moi les renvoyer au prétexte qu’ils n’ont pas la bonne couleur ? Ceux que Dieu aime d’un amour unique, puis-je moi les haïr au prétexte qu’ils me prendraient quelque chose qui me reviendrait de droit ? Ceux que Dieu a créés dans son unique amour, puis-je moi les anéantir au prétexte que je ne m’en reconnais pas le frère ? Comment puis-je seulement servir un tel Dieu qui semble faire tout son possible pour me contrarier ? Vous comprendrez bien, sœurs et frères en Christ, que c’est à celui qui refuse le projet d’amour de Dieu pour tous les hommes de changer et de se convertir, et non à Dieu de changer de projet. Vous comprendrez bien que c’est celui qui refuse ce projet d’amour qui doit s’ouvrir aux autres, et non aux autres de se retirer de sa présence. La terre que Dieu nous donne ne nous appartient pas ; elle est le bien commun de l’humanité. La France ne nous appartient pas ; elle est le bien commun de tous ceux et celles qui veulent vivre dans la liberté, la fraternité et l’égalité, d’où qu’ils viennent au départ, quelles que soient leurs opinions, leur foi ou leur non foi. Le refus de l’autre jusqu’à le menacer de mort n’est pas une opinion. Et notre pays devrait s’en souvenir, particulièrement après les camps de la mort que nos grands parents ont connu. 

Aujourd’hui, des étrangers viennent à la rencontre du Fils de Dieu, à l’invitation de Dieu lui-même. Aujourd’hui, nous sommes invités par Dieu lui-même à nous reconnaître tous frères, en ce Christ qu’il nous offre. Les lectures de cette fête nous montrent bien que ce n’est pas une nouvelle idée de Dieu : c’est un projet ancien, c’est l’unique projet de Dieu depuis les commencements. C’est l’unique projet de Dieu depuis qu’il s’est choisi un peuple particulier pour être lumière pour toutes les nations : les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore, prophétisait Isaïe. Et Paul, approfondissant l’enseignement reçu du Christ par les Apôtres, affirme aux Ephésiens : ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. Puisque l’Evangile est Bonne Nouvelle, nous ne saurions accepter des propos qui en réduisent la portée, ni des actes contraires à son enseignement. Regardons ce que ces étrangers nous apportent au lieu de ne voir que ce qu’ils seraient susceptibles de nous prendre. Regardons et apprécions l’or, l’encens et la myrrhe de ces rencontres avec celui qui nous est différent mais non indifférent, de celui qui nous est autre mais non hostile. Rejetons de notre vie les germes d’Hérode qui ira jusqu’à massacrer les nouveau-nés d’Israël, parce qu’incapable de s’ouvrir à la nouvelle d’un Dieu fait homme, d’un nouveau Roi pour l’univers. Cultivons le message des anges reçu à Noël et amplifié par cette Epiphanie : ils chantaient la gloire de Dieu et la paix pour tous les hommes que Dieu aime ! 

Pouvons-nous encore célébrer l’Epiphanie aujourd’hui, interrogeais-je en début d’homélie ? Nous le pouvons et nous le devons, pour toujours nous souvenir de l’unique projet de Dieu et le rendre toujours plus actuel, toujours plus réel. Ce que Dieu a accompli en Jésus Christ, poursuivons-le et vivons-le intensément. Ainsi nous participerons à construire ce monde où tous les hommes vivent en frères, par la grâce de Dieu et la volonté de son peuple. Amen.


(Jérôme BOSCH, L'adoration des Mages, vers 1510)