Bienvenue sur ce blog !

Ce blog voudrait vous permettre de vivre un chemin spirituel au rythme de la liturgie de l'Eglise catholique.

Les méditations s'appuient soit sur les textes bibliques quotidiens, soit sur la prière de l'Eglise.

Puisque nous sommes tous responsables de la foi des autres, n'hésitez pas à laisser vos commentaires.

Nous pourrons ainsi nous enrichir de la réflexion des autres.







samedi 29 décembre 2018

Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph - 30 décembre 2018

Histoire de familles…






            De quoi nous parle la Bible, si ce n’est d’histoires de familles ? D’Adam et Eve à Marie, Joseph et Jésus, en passant par Abraham et tous les autres, il n’est question que de familles. Notre première lecture s’en fait l’écho en nous parlant d’Elcana et Anne qui vont donner naissance au petit Samuel. La Bible peut dire : Familles, je vous aime ! Au-delà du slogan, il y a une réalité plus grande encore qui anime tous les écrivains bibliques : faire comprendre à leurs lecteurs qu’ils sont invités à prendre leur place dans cette grande famille, car l’Alliance que Dieu propose concerne tout homme. 

            Les familles dont nous parle la Bible sont loin d’être exemplaires en toutes choses. On y connaît la jalousie (Caïn et Abel, mais aussi Esaü et Jacob), le meurtre, l’infidélité, les rivalités, les difficultés et les joies des familles ordinaires. Il n’y a pas un modèle de famille biblique ; il y a des familles qui essaient de vivre, tant bien que mal, l’alliance que Dieu propose, à l’époque qui est la leur. Même la Sainte Famille que nous célébrons aujourd’hui connaît des moments plus difficiles. La « fugue » de Jésus à douze ans en est un exemple. Je veux bien qu’on me dise que c’était parce qu’il lui fallait être chez son Père, comprenez bien Dieu, qu’il s’est absenté ; cela n’enlève rien au fait qu’il a inquiété ses parents et retardé leur retour à la maison. Qu’est-ce qui l’empêchait de les prévenir de son désir d’être encore au Temple ? 

            Il me semble qu’il y a là de quoi rassurer nos familles d’aujourd’hui. Elles ne sont ni pires, ni meilleures que les familles bibliques. Elles essaient, tant bien que mal, à travers les difficultés et les joies de notre temps, de vivre quelque chose de l’amour que Dieu nous porte. Il n’y a pas de familles parfaites, et ceux qui le croient, s’illusionnent. L’histoire d’Anne et d’Elcana et leur souffrance d’être sans enfant trop longtemps, l’histoire de Marie et Joseph recherchant leur fils dans la crainte qu’il lui soit arrivé quelque chose de grave, tout cela ce sont nos histoires aussi ; tout cela nous est relaté pour nous éclairer, nous interroger, nous faire grandir et finalement renforcer notre confiance en Dieu qui peut tout et veut d’abord notre bonheur. L’histoire d’alliance que Dieu nous propose ne se vit pas seul ; c’est aussi une histoire de famille. Certains anciens le vivent douloureusement aujourd’hui quand ils constatent qu’ils ne sont pas suivis par leurs enfants et leurs petits-enfants : qu’avons fait de travers, interrogent-ils souvent. Rien, rassurez-vous. Vous avez fait ce qu’il fallait : vous avez témoigné auprès de vos enfants que Dieu était important pour vous. C’est tout ce que vous pouviez faire ; le reste dépend d’eux. Mais ce que vous avez semé est irremplaçable. Personne ne pourra arracher le bon grain de la présence de Dieu dans une vie. Dieu lui-même moissonnera le moment venu. 

            Cette fête de la Sainte Famille est là pour nous rappeler à chacun que nous avons notre place dans cette grande famille des enfants que Dieu se donne. Relisez la première lettre de Jean : Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes… Mes bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu. Il n’y a pas à en douter ! Il y a à travailler pour le devenir toujours plus. Le baptême ne suffit pas ; il est la première pierre d’un édifice toujours à construire ; il est la fondation de notre appartenance à la famille de Dieu. Recherchons et promouvons tout ce qui peut renforcer cette appartenance, ce désir d’être de Dieu. Recherchons et promouvons ce qui renforce notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ. Recherchons et promouvons tout ce qui nous permet de nous aimer les uns les autres toujours plus, toujours mieux. Nos familles sont saintes non pas parce qu’elles ne connaîtraient pas de difficultés, mais parce qu’elles ont en elles la force de les vaincre et de les dépasser. Nos familles sont saintes lorsqu’elles cherchent à toujours s’aimer davantage, malgré les mensonges, malgré les doutes, malgré les peurs. Nos familles sont saintes quand elles n’attendent pas d’être parfaites pour se tourner vers Dieu, mais qu’elles osent lui crier leurs soucis et leurs peines. Nos familles sont saintes parce qu’elles sont humaines et que c’est dans cette humanité que Dieu est venu en son Fils Jésus. C’est cette humanité qu’il est venu sauver ! C’est cette humanité qu’il a choisi d’aimer ! 

            Ne doutons pas de l’amour de Dieu pour nous. Ne doutons pas de notre capacité à partager cet amour offert. Osons vivre à la mesure de Dieu, à la mesure de son amour pour nous. Plus nous grandirons en humanité, plus nous grandirons en sainteté, Jésus ayant définitivement lié les deux. Que grandisse l’amour de la Sainte Famille dans nos familles ; que vivent nos familles de l’amour que Dieu leur porte. Amen.

 
(Enluminure de Frère Jacques)
 

mercredi 26 décembre 2018

Noël : Messe du jour - 25 décembre 2018

Quand Dieu parle…






Au cœur de notre nuit a jailli un cri de joyeuse espérance : Aujourd’hui vous est né un Sauveur… qui est le Christ, le Seigneur. Et ainsi Dieu accomplit les promesses de la première Alliance. Peut-être cette bonne nouvelle nous a-t-elle surpris : comment, Dieu a encore quelque chose à dire ? Peut-être nous a-t-elle laissé indifférents : oui, et alors ? Peut-être nous a-t-elle réjouis : depuis le temps que nous l’attendions, quelle bonne nouvelle, vraiment ! Passé le temps de l’annonce, nous pouvons maintenant faire un pas de côté et comprendre davantage. La lettre aux Hébreux, dont nous avons entendu un extrait, veut nous y aider. 

Au départ, un constat : A bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes. Ce qui, pour le croyant, est une certitude et une évidence, peut vite devenir, pour le non-croyant ou l’indifférent, une source d’inquiétude. Que certains veuillent s’encombrer d’un Dieu, c’est une chose ; mais qu’ils le gardent surtout dans leur sphère privée. Mais si on vient nous dire que ce Dieu parle, alors là… Les plus cyniques vous diront peut-être qu’on savait que ça le prenait, Dieu, de parler par des prophètes. L’avantage, c’est que ce n’était jamais en direct. L’avantage, c’est qu’un prophète, quand ça dérange, ça se supprime ! Et on n’entend plus parler de Dieu ! Un bon cachot, un coup d’épée : problème réglé ! Souvenez-vous de Jean le Baptiste : il a rétréci d’une tête. Avec la bonne nouvelle annoncée au cœur de notre nuit, tout change : à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses. Cet enfant, venu au cœur de notre nuit, au cœur de notre vie, c’est la Parole de Dieu faite chair, le Verbe de Dieu pour parler comme saint Jean dans l’évangile. Quand vous allez voir l’enfant de la crèche, c’est Dieu que vous rencontrez. Quand, devenu grand, il parlera, c’est Dieu lui-même qui parlera. Plus d’intermédiaire ; c’est du direct – live ! Vous voyez le problème ? Tant qu’il parlait par des prophètes, on pouvait toujours se dire qu’ils ont peut-être mal transmis, ou que nous avons mal compris. Par prophète interposé, Dieu restait chez lui, bien là-haut ; et nous, on restait chez nous, bien au chaud ! Quand la Parole vient en direct, c’est plus compliqué. Comment ignorer ce qui n’est plus du ouï-dire, mais une vraie parole, de première main ?  Comment l’écouter encore sans se sentir concerné par ce qu’il dit, par ce qu’il demande ? Comment l’écouter sans prendre le risque d’être séduit par la promesse de bonheur qu’il adresse à chacun de nous ?

Vous comprenez bien que l’événement de cette nuit n’est pas banal. Vous comprenez aussi que si nous le prenons au sérieux, aujourd’hui en 2018, cela peut tout changer. Il y a une manière de vivre Noël qui nous rapproche des incroyants : celle qui consiste à dire que ce n’est qu’un souvenir, au mieux un anniversaire, celui de Jésus. Une occasion de faire la fête, mais rien de plus. Et il y a ce que Dieu veut déclencher en nous : une vraie réflexion sur notre vie, sur le sens que nous entendons lui donner. Devant l’Enfant de la crèche, comment ne pas être séduit par le projet d’amour de Dieu pour les hommes ? Devant l’Enfant de la crèche, comment ne pas entendre Dieu nous dire qu’en lui la vraie lumière qui éclaire tout homme est venue dans le monde ? Qui peut rester indifférent à un enfant nouveau-né ? Tenez un enfant dans vos bras, et dites-moi qu’il n’est pas porteur de promesses infinies ! Tenez un enfant dans vos bras, et dites-moi qu’il n’est pas l’avenir ouvert à l’infini ! Tout est possible dans une nouvelle vie qui commence. Tous les espoirs sont permis. C’est cela que Dieu a déclenché au cœur de notre nuit : la renaissance d’une espérance, la renaissance d’un avenir meilleur, la renaissance d’un monde meilleur. Tout commence quand Dieu parle à l’homme en cet enfant, né de Dieu. Tout devient possible quand l’homme se décide (enfin !) à écouter.

Et maintenant ? Maintenant il faut nous prononcer. Nous avons vu les signes : un enfant né hors de la ville, dans une étable, visité par les pauvres et les exclus du pays, chanté par les troupes célestes. Nous avons compris qu’il n’était pas un enfant de plus, mais bien le Fils unique de Dieu. Comme l’affirme Jean : Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. Maintenant donc, nous pouvons nous laisser séduire et entraîner par cet Enfant à devenir enfants de Dieu nous-mêmesnous pouvons choisir de naître nous-aussi de Dieu. Ou nous pouvons rejoindre le monde [qui] ne l’a pas reconnu. Nous pouvons faire comme si Dieu ne parlait toujours pas ; nous pouvons faire comme si rien ne s’était passé au cœur de la nuit. Nous pouvons continuer à nous ignorer, à nous massacrer, à nous haïr, même au nom de Dieu si ça peut aider à se sentir mieux. Mais il nous faut choisir. Choisir l’un ou l’autre, mais pas les deux. Parce que chacun développera en nous un art de vivre particulier, incompatible avec l’autre. Autrement dit, si je choisis de reconnaître en cet Enfant que Dieu s’est fait homme, je l’accueille dans toute ma vie, dans tous les instants de ma vie : et je deviens enfant de la lumière. Il éclairera désormais toute ma vie. Si je ne le choisis pas, je reste dans les ténèbres, parce qu’il n’y a pas d’autre vraie lumière possible. Seule la vraie lumière chasse définitivement nos ténèbres. 

Vouloir être ou ne pas être fils de la lumière : telle est la question ! La réponse appartient à chacun. Ici et maintenant, devant l’Enfant de la crèche, chacun peut trouver sa réponse. Chacun peut choisir de vivre en vérité. Viens, regarde et choisis ta vie. Amen.

(Enluminure de Frère Jacques)

mardi 25 décembre 2018

Noël : Messe de Minuit - 24 décembre 2018

Ne craignez pas !






            Une enseignante de nos écoles catholiques, qui voulait parler de Noël à ses élèves de CM2, s’était entendu répondre par un enfant : Mais Madame, votre histoire on la connaît depuis l’école maternelle. Que devrions-nous dire, nous qui sommes plus proches des cheveux blancs que des bancs d’école, et qui venons chaque année, au cœur de la nuit, célébrer le Dieu qui vient ? Que nous connaissons l’histoire, nous aussi ? Pourtant, est-elle bien la même d’année en année ? Je n’en suis pas sûr, tant ce que nous vivons, modifie ce que nous percevons. Alors, plutôt que de vous parler de Marie, Joseph et Jésus, je voudrais reprendre avec vous le message de cette fête, tel qu’il nous est donné par les anges. 

            Ce message commence ainsi : Ne craignez pas ! Ce messager de Dieu, qui ne se dérange pas pour rien en général, ne vient pas nous faire peur. Dieu ne vient pas faire peur aux hommes. Comme cela est rassurant à une époque où certains utilisent Dieu pour semer la terreur et la mort. Comme cela est rassurant après des années de discours moralisant de la part de l’Eglise et de ses représentants. Les hommes avaient toujours une bonne raison de se méfier de Dieu : ils n’étaient jamais assez ceci ou alors trop cela pour convenir à Dieu et à ses représentants. Ont-ils entendu ce message de l’ange qui se veut rassurant ? Ne craignez pas, Dieu ne vient pas vous faire misère. Ne craignez pas, Dieu ne vient pas vous demander des comptes. Ne craignez pas, Dieu ne vient pas pour vous faire mourir. 

Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple. De mieux en mieux. Non seulement, il n’y a pas à craindre Dieu, mais en plus voici qu’il livre une bonne nouvelle. Dieu a choisi le camp des hommes, Dieu a choisi de se faire homme : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. A-t-on jamais entendu pareille chose ? Ce Dieu que certains craignaient, ce que Dieu que d’autres utilisaient à leur sombre profit, voici qu’il prend forme humaine et rejoint notre monde. Comme le dira saint Irénée : Dieu s’est fait homme pour que l’homme puisse devenir Dieu. Tout notre Avent nous tendait vers la réalisation de cette promesse ; tout notre Avent aboutit ici, à la crèche, avec cette certitude que nous n’avons pas à craindre Dieu. La rencontre entre l’homme et Dieu, que certains avaient confisqué pour plus tard, quand l’homme ne sera plus qu’un corps mort, voici qu’elle a lieu, au cœur de notre nuit, au cœur de cette nuit. Et c’est une bonne nouvelle ! 

C’est une bonne nouvelle parce qu’elle ouvre pour les humains que nous sommes des perspectives nouvelles. C’est une bonne nouvelle parce que cet enfant nouveau-né vient nous dire que la paix est possible ; cet enfant nouveau-né vient nous dire que la joie est possible, même au cœur de la nuit la plus profonde ; cet enfant nouveau-né vient nous dire qu’un avenir est possible pour les hommes. Il porte en lui la réalisation de toutes les promesses que Dieu a formulées au long de l’alliance. Il porte avec lui la possibilité d’un salut pour les hommes, la possibilité d’une vie qui ne finira jamais. Quand des hommes sont capables de s’extasier devant une nouvelle vie qui commence, alors ils sont capables du meilleur, alors ils sont capables de se reprendre et de construire un monde nouveau dans lequel leurs enfants seront heureux, libres et en paix. 

Cette bonne nouvelle, dans l’évangile, parvient aux bergers, aux parias de la société d’alors. Les bien-pensants, les bien-vivants n’ont rien perçu de ce grand mystère, n’ont rien perçu de cette grande nouvelle. Trop occupés, ils n’ont pas su accueillir celui qui frappait à leur porte : pas de place pour lui dans la salle commune, pas de place pour lui dans la vie de ces hommes. Ce drame n’a pas eu lieu qu’à l’époque, quand Jésus est né de Marie ; ce drame est encore le drame de tant d’hommes et de femmes, qui ne savent pas, ou qui ne veulent pas, accueillir Dieu dans leur vie. Nous en avons des échos chaque année, à l’approche de Noël, quand se pose la question de la présence de crèches dans l’espace public : pas de place pour ça ! Nous en avons des échos quand des hommes se servent de Dieu pour détruire l’homme : pas de place pour un Dieu qui aime les pauvres et les opprimés dans ce monde où ne compte que le profit de quelques-uns. A-t-il une place dans ta vie ? 

Regardez-le bien, ce petit Dieu fait homme : il a déjà les bras ouverts pour nous accueillir tous dans son amour. Il se donne à nous et veut nous attirer à lui. Allons à lui, sans crainte, et demandons-lui de nous rendre capables de lui puisqu’il s’est rendu capable de nous. Puisqu’il a su s’abaisser, il saura nous élever. Amen.

 (Enluminure de Frère Jacques)

 

 

Noël : Messe de la veille au soir - 24 décembre 2018

Joseph, ou comment Jésus est inscrit dans l'histoire des hommes.





          Reconnaissons-le : l’évangile que je viens de proclamer n’est pas banal et nous ne l’entendons pas souvent. Pour certains, il peut même avoir un côté ennuyeux et répétitif avec cette longue généalogie qui semble ne pas finir. Mais en cette messe de la veille au soir de Noël, je trouve qu’il résonne tout particulièrement bien. Pour deux raisons. 

            La première, et c’est cette longue généalogie de Jésus qui nous le rappelle, c’est que cette page d’évangile inscrit bien Jésus dans l’Histoire des hommes. Remontant jusqu’à Abraham, et passant par tous les moments importants de l’histoire du peuple de l’Alliance, cette généalogie fait de Jésus l’héritier des promesses faites par Dieu tout au long de son alliance. Si vous prenez le temps de lire ce commencement de l’évangile de Matthieu et de le méditer, vous verrez défiler devant vos yeux toutes les riches pages de cette alliance, avec ses moments de clarté comme avec ses moments de doute, de trahison et d’oubli de Dieu. En cette veille de Noël, il est bon de nous rappeler que cette histoire de Jésus est aussi notre histoire. Quand il vient dans le monde, quand il s’inscrit ainsi dans l’histoire des hommes, c’est dans notre monde qu’il vient, c’est dans notre histoire qu’il s’inscrit. Nous ne nous souvenons pas d’une vieille histoire, ce soir ; nous relisons notre histoire pour y découvrir l’irruption de Dieu en Jésus. Oui, c’est bien pour nous qu’il vient dans le monde ! Si vous en avez l’occasion, faites donc le tour des crèches de notre communauté de paroisses et regardez bien l’Enfant Jésus. Il est très différent d’une église à l’autre. Dans certains lieux, il est heureux, dans d’autres, il est plus dubitatif, pour ne pas dire triste. Il est à l’image de nos vies : quelquefois heureuses, quelquefois plus lourdes. Quelle que soit notre vie en ce soir, heureuse ou plus triste, Jésus vient pour nous. Il vient dans notre région marquée récemment par l’attentat meurtrier de Strasbourg pour apporter lumière et paix à nous qui pouvons raisonnablement douter de l’homme et de sa capacité à vaincre le Mal. La naissance de Jésus vient nous redire que Dieu ne saurait se satisfaire de ces poussées de violence et qu’il intervient en faveur de ceux qui en sont victimes. La naissance de Jésus vient ouvrir une brèche dans les murs de violence, de refus de l’autre, d’exclusion. Il vient nous dire que Dieu se range définitivement aux côtés de tous ceux et celles qui souffrent. 

            La deuxième raison qui justifie la proclamation de cette page d’évangile, c’est la présence de Joseph, non pas comme un faire-valoir, mais comme l’acteur principal de cette scène. Matthieu nous rappelle les qualités humaines de Joseph : il était un homme juste. Quand il apprend la grossesse de Marie, il ne veut pas la faire souffrir, ni la mettre au ban de la société. Il décide de la répudier en secret. Peut-il montrer davantage son amour pour celle qui lui était promise ? Avant qu’il n’ait pu mettre son projet à exécution, voilà que l’ange du Seigneur intervient. Il révèle à Joseph le projet de Dieu comme il l’avait révélé à Marie. En fait, cette page d’évangile, c’est l’annonciation de Joseph. Il doit décider s’il s’ouvre au désir de Dieu et offre aux hommes la chance d’un salut. Il doit consentir à devenir lui-aussi le serviteur de Dieu, qui accepte sans trop comprendre, sans trop savoir ce que cela va donner. En faisant ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit, Joseph nous offre à tous la chance d’être sauvés. Et il nous invite à entrer nous aussi dans le projet de Dieu. Nous serions bien ingrats envers Joseph si nous ne faisions pas effort pour laisser Dieu guider notre vie. Joseph n’a peut-être pas conçu Jésus, mais à ce moment-là, il devient son père ; il prend sur lui la responsabilité d’accueillir cet enfant qui vient de Dieu et de l’inscrire dans cette longue histoire que la généalogie évoquait. Désormais, le projet de Dieu n’est plus seulement le projet de Marie ; il devient le projet de Joseph, le projet d’un couple, le projet d’une famille. Venu au monde dans cette famille-là, rien ne pourra détourner Jésus de sa mission. Dieu a donné à son Fils, Dieu-fait-homme, une famille humaine toute tournée vers Dieu, une famille où l’homme vit Dieu ! Dieu et l’homme se rejoignent non seulement en Jésus, vrai Dieu et vrai homme, mais aussi en Marie et Joseph, pleinement acquis au projet de salut de Dieu. Quand on comprend mieux l’importance de cette page d’évangile, on comprend moins que certains oublient Joseph. 

            Au cœur de cette nuit, nous accueillerons l’Enfant-Dieu. Au cœur de cette nuit, nous aurons à faire un choix, comme Marie, comme Joseph. Accueillerons-nous Dieu qui se donne à son peuple, qui se donne à nous ? Ouvrirons-nous notre cœur au projet que Dieu porte pour chacun de nous ? Notre présence ici, en cette veille de Noël, se veut déjà une réponse. Emportons avec nous un avant-goût de cette joie de Noël, dans la certitude que Dieu veut notre vie et notre bonheur. Amen.

(Sieger KÖDER, La généalogie de Jésus)

 

dimanche 23 décembre 2018

4ème dimanche de l'Avent - 23 décembre 2018

Avec empressement !







En ces derniers jours du temps de l’Avent, nous croisons la route de Marie, le deuxième personnage emblématique avec Jean le Baptiste de ce temps de préparation. Sans elle, rien de ce qui se prépare n’aurait pu être possible. Elle est l’ultime porte qui nous ouvre le temps de Noël.

Lorsque nous la rencontrons, elle est en route. Elle se hâte à la rencontre de sa cousine Elisabeth, enceinte comme elle. L’évangéliste nous dit qu’elle le fait avec empressement pour souligner la hâte de Marie. Pourtant, elle aurait sans doute mieux à faire. Ne devrait-elle pas plutôt se reposer en attendant la naissance de son premier enfant ? Avec empressement : l’expression convient bien et prend un relief particulier en ce jour. Dans deux jours, nous célèbrerons la naissance de celui qui pour l’heure est encore porté par Marie. Avec empressement convient bien aussi parce que cela souligne l’urgence que Dieu ressent à aller à la rencontre de son peuple. Marie, toute disponible à la Parole de Dieu, ne fait que ce que Dieu attend d’elle. Chacun de ses gestes posés avant la naissance de Jésus devient comme une annonce de ce que l’Enfant qu’elle porte réalisera. Marie se hâte d’aller rencontrer sa cousine : Jésus, adulte, se hâtera à la rencontre de tous les hommes, pour leur annoncer le salut en sa personne. Marie prend du temps au service de sa cousine : Jésus fera du service de l’homme le signe de l’attachement à sa personne : pour être mes disciples, faites-vous le serviteur de tous !

La rencontre de ces deux femmes est bien plus qu’une simple visite de politesse, vous l’aurez compris. Lorsque la jeune fille rencontre la femme âgée, c’est le monde nouveau qui salue l’ancien. Un symbole puissant que cette rencontre banale entre deux femmes réunies par le même bonheur : celui d’être bientôt mère. La naissance de ses deux enfants va bouleverser le monde. Celui de la femme âgée va mettre un terme au monde ancien en l’invitant à se tourner vers Dieu. Celui de la jeune fille va inaugurer le monde nouveau, où tous les hommes seront frères, où tous les hommes seront fils de Dieu. La rencontre de ses deux femmes est comme le lancement du processus qui conduira à cette révolution.

L’évangéliste Luc souligne combien la rencontre de ses deux femmes est aussi et surtout la rencontre entre deux hommes : Jésus et Jean le Baptiste, celui qui sera annoncé à tous les peuples et celui qui l’annoncera. Jean le Baptiste tressaillit d’allégresse dans le sein de sa mère lorsque Marie salue sa cousine. Ce monde nouveau est à portée de main. Il suffit d’ouvrir les yeux, il suffit de reconnaître en Jésus celui qui l’inaugure, il suffit de marcher à sa suite. Il saura dire aux hommes l’amour de Dieu pour chacun d’eux ; il saura donner aux hommes une loi nouvelle, pétrie par l’amour de Dieu ; il saura ouvrir les cœurs pour les inonder de cet amour. Jean le Baptiste, encore en gestation, a fait ce chemin qui nous semble à nous quelquefois si long et difficile. Marie a fait ce chemin en restant attentive à la Parole de Dieu et à sa réalisation. Elisabeth et Zacharie feront ce chemin à la naissance de leur fils. 

Il nous reste deux jours pour nous mettre en route, pour aller à la rencontre de celui qui vient inaugurer un monde nouveau. Il nous reste deux jours pour aller à la rencontre de celui qui vient nous visiter. Il n’est jamais trop tard pour se mettre en route. Celui qui vient est notre vie et notre avenir. Il est celui qui nous remplira de joie. Mais il nous faut nous mettre en route ; maintenant ; avec empressement ! Amen


(Enluminure de Frère Jacques)
 

samedi 15 décembre 2018

03ème dimanche de l'Avent C - 16 décembre 2018

Que devons-nous faire ?





Dans notre vie, nous rencontrons quelquefois des hommes et des femmes qui ont sur nous une influence réelle. Nous aimons les écouter, leur demander conseil. Ils sont même parfois à l’origine de choix radicaux qui ont réorienté toute notre vie. Jean Baptiste était de ceux-là. Les foules nombreuses qui l’ont rencontré, celles et ceux qui l’interrogeaient en témoignent. De cet homme émanait un je-ne-sais-quoi qui ne laissait personne indifférent, qui transformait une vie. Pas étonnant alors qu’ils venaient nombreux vers lui. Pas étonnant qu’ils l’interrogeaient ainsi : Que devons-nous faire ? Son bon sens, sa connaissance de l’homme, sa proximité avec Dieu lui permettaient de répondre en trois verbes : partagez, faites votre devoir d’état, recherchez le Christ. 

Partager : un mot à la mode de nos jours. Plus que jamais nous sommes sollicités pour venir en aide aux nécessiteux de toutes sortes. En ces fêtes de fin d’année, nos boites aux lettres sont inondées de demande d’organismes respectables, qui attendent notre soutien. Deux attitudes sont possibles : classer verticalement (pourquoi vais-je aider des gens que je ne connais pas ou qui ne m’aident pas ?) ou choisir entre différentes possibilités, parce qu’on ne peut pas aider tout le monde). Cette invitation au partage est toujours d’actualité. St Jean-Paul II nous a souvent rappelé que la charité couvrait une multitude de péchés, et qu’elle était donc un bon moyen de se réconcilier avec Dieu. L’acte de partage avec les plus pauvres est un moyen d’exprimer notre volonté de répondre à l’amour de Dieu en faisant preuve d’amour envers celles et ceux qui n’ont pas autant de chance que nous. Quand nous parlons de partage, souvenons-nous aussi qu’il n’y a pas que l’argent à partager : nous pouvons et devons aussi partager notre temps avec ceux et celles qui ont besoin d’être écoutés, accompagnés. Nous pouvons et devons partager notre travail pour faire reculer le spectre du chômage. Nous pouvons et devons partager nos responsabilités pour éviter de cumuler les engagements : à vouloir trop faire, on ne fait plus rien de bien ! Les occasions de partage et les choses à partager ne manquent pas, pour que chacun puisse apporter un peu de sa richesse humaine à qui en a besoin. 

Faire son devoir d’état : c’est ainsi que je comprends la réponse de Jean le Baptiste aux soldats qui l’interrogeaient. En les invitant à refuser la violence gratuite, en les invitant à se contenter de leur solde et donc à ne pas se livrer au pillage, il leur indique une voie honnête pour accomplir le métier difficile qui est le leur. Soldats, ils auront à se battre ; mais cela ne comprend pas les exactions auxquelles ils se livraient parfois. Faire son devoir d’état, c’est donc faire simplement, et de notre mieux, ce que nous avons à faire chaque jour. Que ce soit au travail, en famille, à l’école, dans nos loisirs. Faire son devoir d’état, c’est-à-dire faire simplement ce que j’ai à faire, sans en rajouter pour en imposer aux autres, sans rien retrancher pour ne pas écraser les autres de tout ce que je ne veux pas faire. La liturgie a un adage qui correspond bien à cela : Que chacun fasse seulement, mais totalement, ce qui lui revient ! Pour un chrétien, cela va au-delà de bien mener sa vie. Pour un chrétien, cela comprend bien sûr le respect des commandements de Dieu (aime Dieu, aime l’autre, aime-toi comme je t’aime !) mais aussi une recherche toujours plus grande de la sainteté à laquelle nous sommes appelés. En nous regardant vivre, ceux qui ne nous connaissent pas devraient reconnaître notre qualité de chrétien. Ils devraient voir briller en nous la lumière que le Christ est venu apporter au monde.

Rechercher le Christ : autrement dit : ne pas confondre le messager avec celui qui est annoncé. Je ne suis pas le Messie, répète Jean le Baptiste à qui veut l’entendre. Il n’est que celui qui précède le Messie, celui qui le montre, celui qui nous prépare à l’accueillir. Parce que la réponse ultime à la question de la foule est bien celle-ci : préparez-vous à accueillir le Messie que Dieu envoie ! Le partage, la réalisation du devoir d’état ne sont que des moyens de se préparer à cet accueil. Il faut travailler notre regard sur le monde, notre regard sur les hommes qui nous entourent pour découvrir la trace du passage de Dieu au cœur de notre vie. Nos années liturgiques nous sont données pour redécouvrir toujours mieux ce Sauveur que Dieu a envoyé dans le monde. Loin de revivre toujours les mêmes fêtes, les mêmes temps, nous avons une année de plus pour approfondir nos motifs de croire, d’espérer et d’avancer à la rencontre du Christ, le même hier, aujourd’hui et toujours. Une année entière pour redire : Je crois Jésus que tu es mon Sauveur, que tu donnes ta vie pour racheter la mienne ; je crois que tu me donnes ton Esprit pour reconnaître en Dieu, mon Père, et en chaque homme, mon frère.

En ces temps troublés, qui ont une fois de plus été marqués dans notre région par la violence aveugle et la folie meurtrière d’une idéologie nauséabonde, ce sont ces mêmes conseils qui nous sont donnés pour parvenir à la joie du salut. Il peut sembler paradoxal de parler de joie alors que notre semaine a commencé dans la souffrance et les larmes. Et pourtant, n’est-ce pas là le vrai remède pour changer le cœur des hommes ? Apporter la joie du salut : non pas une joie béate, mais la joie véritable que seule donne la foi en Dieu qui veut le meilleur pour l’homme ; la joie véritable qui ne se réjouit pas de la mort du coupable, mais qui toujours cherche, avec tous les hommes, des chemins d’entente et de paix, pour que jamais plus quelqu’un puisse profaner le nom de Dieu en semant la mort. 

Que devons-nous faire ? Prier me semble une autre réponse adéquate pour que le Seigneur lui-même nous montre le chemin du salut et de la paix pour tous. Prier, pour remettre notre vie entre les mains de Dieu. Lui seul peut donner sens à notre existence ; lui seul peut donner la joie parfaite ; lui seul peut faire advenir la paix entre tous ceux qui se réclament de lui. Plus nous lui serons proche, plus nous leur serons proches. Plus nous recevrons de lui la paix et la joie, plus nous pourrons les vivre et les partager avec tous nos frères et sœurs en humanité. Que notre liturgie, en ce temps de l’Avent, nous tourne vers lui et nous donne de l’accueillir vraiment. Amen.

(Gustave DORE, Jean le Baptiste prêchant dans le désert)

samedi 8 décembre 2018

02ème dimanche de l'Avent C - 09 décembre 2018

Il sera notre chemin.







Avez-vous bien compris ce que nous dit le prophète Baruc ? Il annonce le salut de son peuple. Il parle du rassemblement, à Jérusalem, du peuple juif dispersé de par le monde. Ce retour, Dieu l’opèrera. Car il se souvient de son peuple et n’oublie pas la promesse faite aux Pères de veiller et de faire grandir ce peuple qu’il s’est choisi. L’histoire, avec la chute de Jérusalem et l’exil à Babylone, semblait lui avoir donné tort, mais Dieu n’a pas dit son dernier mot. Il ramènera à lui, en sa maison, ceux qui ont été dispersés dans la nuit de l’Exil. Dieu rassemblera parce que Dieu le veut : et ce que Dieu veut, Dieu le fait ! Les obstacles qui se présentent, il les renverse : c’est lui qui prépare la route du retour ; c’est lui qui abaisse les collines et les montagnes, c’est lui qui comble les ravins pour que son peuple avance, libre et en sécurité, vers la nouvelle Jérusalem, terre de paix et de justice, gloire du Dieu vivant. Dieu ouvre la voie ! 

Avez-vous bien compris ce qu’annonce Jean le Baptiste dans l’évangile de ce dimanche ? Lui aussi parle de chemin, lui aussi prophétise que les montagnes devront être abaissées, que les ravins devront être comblés. Mais il y a cette petite différence : c’est à l’homme de préparer, semble-t-il, la route au Seigneur ! Aurait-il mal compris son prédécesseur ? Un moine copiste aurait-il commis quelque erreur de transcription, au temps jadis ? D’où vient cette subite inversion des rôles ? Je n’ai pas de réponse à cette question. Je constate simplement que là où Baruc annonçait que Dieu préparerait le chemin de son peuple, Jean le Baptiste invite le peuple à préparer le chemin du Seigneur ! Est-ce si différent ? Lorsque le Baptiste nous invite ainsi à la conversion, en nous demandant de préparer la route au Seigneur, il rappelle que l’homme doit faire à Dieu une place dans sa vie. Quand une vie d’homme est remplie d’activités aussi inutiles qu’indispensables, lorsqu’il constate au milieu de son agitation que cela n’a que peu de sens, peut-être doit-il alors réentendre l’appel de Jean à faire une place à Dieu. Peut-être le moment est-il venu de remettre au cœur de sa vie celui qui donne sens. Mais pour que Dieu puisse prendre sa place, il faut que l’homme libère de la place, laisse des choses futiles pour que l’unique Essentiel puisse donner sens à sa vie. Préparer le chemin du Seigneur, ce n’est pas abattre les montagnes, ni combler les ravins, ni aplanir les routes déformées : ce travail-là, c’est celui de Dieu. Lui seul, selon Baruc et selon Jean le Baptiste qui reprend le prophète Isaïe, peut réaliser l’impossible. Vous aurez noté que Jean ne dit pas : aplanissez les chemins, mais bien les chemins seront aplanis !  sous entendu par Dieu. Mais l’homme a sa part de travail dans ce processus de conversion : il doit préparer la route au Seigneur, il doit creuser en lui le désir de Dieu, le désir de voir Dieu lui venir en aide, le désir de voir Dieu donner sens à sa vie. Préparer la route au Seigneur, pour que le Seigneur puisse achever l’œuvre de conversion. Une conversion qui ne s’appuierait pas sur Dieu serait vouée à l’échec : lui seul peut retourner totalement un cœur, mais il faut que le cœur ait en lui ce désir ; il faut que le cœur ait le désir d’être sauvé. 

Il n’y a donc pas à opposer Jean le Baptiste et Baruc. Avec eux, nous comprenons que Dieu est notre chemin et notre salut. Parce que, s’il est bien celui qui nous guide, il est bien aussi celui qui nous sauve. Et le Christ, que nous attendons et dont nous préparons la venue en ce temps de l’Avent, est bien celui qui pourra nous mener à cette joie du Royaume qui nous est promise. N’est-il pas, celui qui vient, la parole ultime de Dieu sur l’homme, sur le sens de sa vie et sur Dieu lui-même ? N’est-il pas, celui qui vient, le Chemin qui mène à Dieu, la Vérité sur Dieu, la Vie même de Dieu ? Laissons à Dieu toute sa place dans notre vie pour qu’il prépare lui-même nos cœurs à la rencontre avec celui qu’il nous envoie. Si Dieu le Père ne met pas en nous le désir de le rencontrer, si l’Esprit ne souffle pas en nous pour nous permettre d’entendre, de voir et de comprendre, comment le Christ pourra-t-il accomplir l’œuvre de salut pour laquelle justement il vient en notre monde ? Comment reconnaître en lui le chemin qui mène à Dieu, si Dieu lui-même n’a pas levé tous les obstacles qui empêchent cette rencontre ?

Préparez le chemin du Seigneur, annonçait le Baptiste ! Ce faisant, il a mis les hommes de son temps en route, très concrètement. Le salut, la foi, passeront toujours par les pieds. Si je refuse de me mettre en route, si je ne veux pas suivre le Christ, il n’y aura pas de part pour moi dans le Royaume de Dieu. L’histoire de l’Alliance est un long pèlerinage menant les hommes à la rencontre de leur Seigneur.  Que nous soit accordée la grâce de nous mettre joyeusement en route à la suite de celui qui vient, à la rencontre du Dieu vivant et vrai ! AMEN.

 

 

 

samedi 1 décembre 2018

01er dimanche de l'Avent C - 02 décembre 2018

Une nouvelle avec le Christ, notre lumière.





 

Aujourd’hui, il n’y a pas que la couleur liturgique qui change, aujourd’hui, nous changeons d’année liturgique. Nous pourrions échanger des vœux, comme nous le ferons dans la nuit du passage à la nouvelle année civile. Mais nous ferons bien mieux de prendre un peu de hauteur pour nous interroger : que nous apportera-t-elle, cette année nouvelle ? Qu’attendons-nous de ce nouvel éclairage sur Jésus que nous procurera la liturgie en général et saint Luc en particulier ? Changeons-nous simplement d’auteur évangélique pour réentendre les mêmes histoires, assister une fois de plus à la naissance de Jésus, à son ministère en Galilée, à l’opposition grandissante des chefs des prêtres, à sa mort en croix, à l’annonce de sa résurrection pour finir avec le don de l’Esprit Saint et divers enseignements de Jésus pour nous faire remarquer qu’il nous faut encore faire des efforts ?
 
Commencer une nouvelle année en liturgie, c’est commencer un nouveau parcours. Nous allons nous mettre à l’école de saint Luc et découvrir ce que lui a appris de Jésus, de Dieu, et ce qu’il a cru indispensable de transmettre aux générations suivantes. Nous allons, avec lui, relire notre héritage, pour y puiser une connaissance renouvelée de Jésus, un approfondissement de notre foi et, je l’espère, des raisons nouvelles d’être croyants, c’est-à-dire d’accorder foi et confiance à celui dont l’Eglise dit qu’il est venu pour sauver tous les hommes. C’est une manière très concrète de rester éveillé, comme Jésus lui-même nous le demande dans l’évangile de ce premier dimanche d’Avent. Autrement dit, nous sommes invités à ne pas nous endormir sur nos connaissances, invités à ne pas croire que, parce que cela fait maintenant quelques années que nous faisons route avec les évangélistes, nous savons tout sur tout, et que Jésus n’a plus de secret pour nous. Le Christ se révèle peu à peu à celui qui veut vraiment le connaître, et il se révèle d’abord à nous dans le quotidien de notre vie. Alors, à moins que notre quotidien de ce 01er décembre 2018 soit absolument identique à notre quotidien du 01er décembre 2017, le Christ se révèlera à nous différemment. Ne serait-ce que parce que nous avons changé durant cette année écoulée ! 

L’invitation à rester éveillé que le Christ nous adresse est aussi une invitation à la vigilance. Il s’agit de ne pas nous tromper sur Dieu et de ne pas nous tromper sur les signes éventuels que nous croyons discerner dans les catastrophes naturelles ou à cause humaine, telle une guerre ou des actes terroristes. Dieu ne se cache pas dans la violence ; Dieu ne se montre pas dans la violence. Celui dont nous attendons la venue est prince de la paix. Celui dont nous attendons la venue est lumière pour le monde, c’est à dire qu’il agit dans la clarté et qu’il fait vivre en pleine lumière. Il n’y a pas de honte à avoir, pas de motif de nous cacher, ni de lui, ni des autres. Ce que promet celui dont nous préparons la venue, c’est une ère de paix, un monde de justice. La promesse livrée par Jérémie deviendra effective en Jésus Christ. Rester éveillé, c’est rester dans cette lumière qu’il vient apporter. Seul celui qui s’endort s’enfonce dans les ténèbres de la nuit ; celui qui reste éveillé guète l’aurore d’un jour nouveau. Ce jour nouveau, pour le croyant, c’est le jour de Dieu, le jour où tout sera en pleine lumière, le jour où le Mal sera définitivement vaincu. 

Pour parvenir à ce jour, pour vivre dans la clarté de Dieu, il nous faut réentendre les enseignements de Paul aux chrétiens de Thessalonique. Vivre dans la clarté est un don à demander à Dieu lui-même : « Que le Seigneur vous donne un amour de plus en plus intense et débordant… Que le Seigneur affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté… » Ne rêvons pas d’y arriver tout seul. La lumière véritable, la seule lumière, c’est le Christ ! A ceux qui sont perdus, à ceux qui doutent, à ceux qui ne savent plus à qui se confier, est annoncée la venue d’un Sauveur, d’un Messie, lumière pour éclairer tout homme venant en ce monde. Une issue existe ; une espérance est possible. Pour la découvrir, il faut accepter que le Christ lui-même nous éclaire de sa Parole. 

Cette année que nous commençons avec saint Luc veut éclairer notre foi, notre connaissance du Christ d’une manière nouvelle. Ce que nous entendrons tout au long de cette année, c’est une bonne nouvelle pour aujourd’hui. Ce n’est pas une simple évocation de ce que Jésus a fait un jour, mais bien le récit de ce que Jésus peut faire pour nous, ici et maintenant. Il est et sera notre lumière ; en marchant à sa lumière, nous ne risquons ni de nous tromper sur Dieu, ni de nous tromper sur le Christ, ni de nous tromper sur l’homme ! Laissons-nous éclairer par le Christ ! Laissons-nous enseigner par lui ! Et nos vies changeront. Je le crois vraiment. Amen.

 

 

 

lundi 26 novembre 2018

Christ, Roide l'univers B - 25 novembre 2018

C'est toi-même qui dis que je suis roi.





Notre année liturgique se termine comme chaque année par la solennité du Christ, Roi de l’univers. Et nous venons d’entendre, dans l’évangile, cet échange entre Jésus et Pilate au sujet même de la royauté de Jésus après que Pilate aie justement questionné Jésus ainsi : Es-tu le roi des Juifs ? 

Nous ne savons pas ce qui a poussé Pilate à interroger Jésus en ce sens. Jésus essaie bien de comprendre, mais Pilate ne répond vraiment à sa question : Dis-tu cela de toi-même ou parce que d’autres te l’ont dit ? Pourtant, n’est-ce pas la vraie question à nous poser aujourd’hui ? N’est-ce pas notre réponse à cette question qui devrait nous préoccuper ? Pour cela, il nous faut d’abord définir quelle est cette royauté de Jésus. Car, reconnaissons-le, au moment où nous assistons à cet échange, la royauté de Jésus n’est pas vraiment ce qui frappe l’auditeur ou le spectateur de la scène. La rencontre à laquelle nous assistons n’est pas une rencontre diplomatique entre deux grands de ce monde ; ce que nous voyons, c’est la rencontre entre un prisonnier et son geôlier, entre un accusé et son juge qui a pouvoir de vie et de mort. Difficile donc de confondre Jésus, Christ, Roi de l’univers, avec les rois dont l’histoire de France nous relate l’existence. Ne cherchez pas de couronne d’or et de joyaux ; il n’y aura qu’une couronne d’épines. Ne cherchez pas de pourpre ni d’hermine ; il n’y a que le manteau rouge dont les soldats ont affublé Jésus. Ne cherchez pas d’escorte militaire, ni de garde prétorienne pour protéger Jésus ; il n’y a que les soldats romains venus l’arrêter et le ligoter. Aucun des signes donc dont nos rois aimaient s’entourer ; juste une caricature de roi, un théâtre de marionnettes dont Jésus sera la victime, mais la victime consentante. Car ce moment-là, dont la rencontre avec Pilate n’est qu’un détail, est le moment de Jésus. Et il va culminer dans la croix dressée, portant le corps souffrant du Christ, révélant dans cette extrême faiblesse, la vraie royauté Jésus : celle de l’amour offert jusqu’au don de la vie afin que les hommes puissent vivre. Rien d’autre n’importe à Jésus que d’accomplir la volonté de salut de Dieu pour les hommes. 

Nous pourrons alors interroger longtemps comme Pilate : Es-tu le roi des Juifs ? Nous n’aurons, pour seule réponse, que la croix dressée et cette affirmation de Jésus : Ma royauté n’est pas de ce monde. Ne cherchons donc pas à comprendre avec nos réalités terrestres, mais entrons plus avant dans la connaissance de la volonté de Dieu pour les hommes, et de ce que l’accomplissement de cette volonté suppose. Nous comprendrons vite que nous n’échapperons pas au passage de Jésus par la croix. Sa gloire vient de son obéissance au Père. Sa vie de ressuscité, il la doit à son obéissance au Père. Notre vie, il la doit (et nous la devons) à son obéissance au Père. Non pas que le Père se délectât de voir son Fils mourir en croix ; mais il fallait que le Fils s’offrît, il fallait qu’il vive la vie humaine jusque dans la mort pour que nous en soyons libérés. N’est-ce pas le premier rôle d’un roi que celui de protéger et de faire vivre son peuple ? Avec Pilate, nous pouvons interroger : Alors tu es roi ? Parce que cette découverte ne vient pas tant de l’enseignement que de l’expérience. Il faut avoir fait l’expérience de ce salut offert, par grâce, pour désirer que le Christ règne dans nos cœurs et gouverne notre vie. Il faut avoir fait l’expérience de cet amour sans limite pour confesser le Christ comme le roi de l’univers, roi non à la manière des hommes, mais à la manière de Dieu.

C’est toi-même qui dis que je suis roi. Le mot de la fin reviendra à Jésus ; il reconnaîtra le chemin que nous avons parcouru. Il acceptera de devenir notre roi pour que vive son amour à travers nous. Car cet événement de Pâques est pour tous les hommes, à travers tous les temps. Il nous revient d’en témoigner pour que tous les hommes, habitant le même univers, puissent reconnaître en Jésus ce roi qui nous offre sa vie, ce roi qui nous libère du péché et de la mort, ce roi qui nous gouverne pour nous mener à la vie en plénitude, avec lui, auprès du Père. Amen.

dimanche 11 novembre 2018

32ème dimanche ordinaire B - 11 novembre 2018

Ne retenons pas les trésors de Dieu !






De quoi nous parle-t-on au juste dans les lectures de ce dimanche ? L’histoire d’Elie et de la veuve de Sarepta, doublée de celle de la veuve qui est remarquée par Jésus pour ses deux petites pièces de monnaie déposées au Trésor du Temple, nous inciterait à répondre que la liturgie nous parle de partage. Pourtant, il y a un autre texte que nous oublions trop souvent quand, en certains lieux, il n’est pas remplacé par un chant ; c’est le psaume qui donne une indication complémentaire sur la teneur des textes. Et le psaume de ce dimanche, le psaume 145, nous parle de Dieu et de son œuvre de salut. Car, ne l’oublions jamais, c’est de Dieu que Jésus est d’abord venu parler aux hommes ; c’est au sujet de Dieu qu’il nous enseigne. Et que nous dit-on alors de Dieu aujourd’hui ? 

Eh bien d’abord que Dieu se soucie de nous, et en particulier du pauvre et du fidèle. Voyez Elie et la veuve de Sarepta. Ils sont dans la main de Dieu, même si la veuve semble l’avoir oubliée. Le prophète Elie, dont la vie est toute tournée vers le service du Seigneur en une époque difficile, l’expérimente régulièrement. Sa demande à la veuve, - le faire manger avant qu’elle ne mange elle-même avec son fils - , semble déplacée et égoïste. Mais elle manifeste surtout sa confiance en Dieu qui ne tardera pas à se manifester : Ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. Il annonce ainsi la proximité de Dieu aux hommes dans leurs épreuves et la récompense qu’il accorde à ceux qui lui sont fidèles. Le salut n’est pas une idée en l’air ; la providence n’est pas une vue de l’esprit. La certitude que Dieu nous accompagne doit être une constante de notre foi, profondément ancrée en nous. Ce qui se passe pour Elie et la veuve de Sarepta, Dieu le renouvelle pour nous. Relisez le psaume pour vous en convaincre : Le Seigneur garde à jamais sa fidélité, il fait justice aux opprimés, aux affamés, il donne le pain. Nous pouvons certes considérer que ce ne sont là que des mots pour la prière ; mais nous pouvons aussi considérer que ce sont là les mots de l’alliance de Dieu avec les hommes, des mots qui engagent Dieu (nous le voyons avec Elie), mais des mots qui engagent aussi les hommes. 

C’est la veuve de l’Evangile qui nous le rappelle discrètement. Elle est certes remarquée par Jésus, mais c’est sans doute le seul qui aura noté son offrande. Qui prête attention à une pauvre veuve alors que tant d’autres (les scribes dénoncés par Jésus en particulier) tiennent à se montrer, à se faire saluer, à être honorés publiquement ? Non, personne n’aura vraiment prêté attention à cette femme, si ce n’est Jésus, si ce n’est Dieu ! Non seulement, il aura vu, mais il aura estimé à sa juste valeur cette pauvre offrande. Elle a mis plus que les autres… Elle a pris sur son indigence, elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. N’est-ce pas là, la part d’alliance qui relève des hommes ? Si Dieu est attentif, miséricordieux, providentiel pour les hommes, les hommes ne doivent-ils pas être à la hauteur de Dieu ? Quand Dieu s’intéresse à nous, ce n’est pas pour nous rabaisser ; il n’intervient pas pour nous humilier. Non, quand Dieu intervient dans la vie des hommes, c’est pour les élever, les faire grandir, les sauver. L’homme ne saurait alors rester sur la touche ; il ne saurait sous-estimer l’œuvre de Dieu. Il cherchera à faire pour d’autres, ce que Dieu a fait pour lui. C’est cela le geste de la veuve. Elle n’a rien fait pour être remarquée des hommes ; elle fait ce qui lui semble juste : donner parce qu’elle a tant reçu de l’amour de Dieu ; donner, alors même qu’elle n’a que très peu. Avec ses deux petites pièces, c’est toute sa foi qu’elle offre à Dieu, sûre que lui peut quelque chose avec ce petit rien. Dans sa pauvreté, elle refuse qu’on puisse dire qu’elle est trop pauvre pour changer les choses ; elle refuse qu’on lui enlève cette dignité fondamentale de l’être humain qui le rend plein de compassion pour autrui. Puisque Dieu ne détourne pas son regard des hommes, comment pourrait-elle détourner le sien ? La pauvreté n’empêche pas de voir le monde tel qu’il est ; elle rend peut-être le regard de l’homme encore plus perçant, et le cœur de l’homme plus attentif à autrui. En faisant remarquer aux autres cette veuve, Jésus nous rappelle que Dieu voit ces petits gestes et leur donne leur juste grandeur. Aucun acte de charité, si petit et si discret soit-il, ne sera perdu ou inaperçu aux yeux de Dieu. C’est même l’amour qui est le critère principal pour Dieu. N’est-ce pas ce que nous rappelait Jésus dimanche dernier lorsqu’il nous invitait à aimer Dieu et notre prochain comme nous-mêmes ? 

Dieu veille sur ceux qui le craignent. Dieu est bon pour tous les hommes, et veut leur salut. Comment dès lors ne pourrions-nous pas aider à répandre ce salut, nous à qui il a été révélé en Jésus ? Comment pourrions-nous vivre comme si de rien n’était, alors que nous connaissons la bonté de notre Dieu ? Dieu déverse des trésors d’amour sur nous ; ne les retenons pas, mais déversons-les à notre tour, à l’image de ces deux veuves, confiants que ces trésors ne s’épuiseront que si nous refusons de les partager. Amen.

 

 

samedi 3 novembre 2018

31ème dimanche ordinaire B - 04 novembre 2018

De Jésus, apprenons ce qu'aimer veut dire.







J’aime beaucoup la langue française, sa musicalité, la richesse de ses nuances ; mais je dois bien reconnaître qu’en matière d’amour, elle manque de vocabulaire. Ainsi, le français aime-t-il la glace à la vanille comme il aime une personne. Un même mot pour exprimer des réalités pourtant différentes. Il y a alors un risque réel de ne plus vraiment savoir ce que signifie ce mot, à force de l’utiliser à tort et à travers. Et je me mets à rêver que la langue française déploie ses trésors d’inventivité pour décliner ces réalités diverses avec des mots divers pour garder au verbe Aimer toute la richesse que le Christ lui donne dans l’évangile de ce dimanche. 

Remarquez bien l’habileté de Jésus : pour ne pas gâter ce beau mot, il le décline sous trois modes inséparables. Il ne crée rien de neuf : vous trouverez déjà ces trois modes dans des textes du Premier Testament. Nous en avons eu un exemple dans la première lecture, quand Moïse exhorte le peuple : Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ce qui peut être nouveau, c’est la manière dont Jésus lie tout cela. A la question du scribe, Jésus répond ainsi : Voici le premier, et il cite la parole de Moïse à son peuple que je viens de rappeler. Puis il ajoute : Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (une reprise de Lévitique 19, 18). Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. Les trois modes de l’Amour sont donnés en deux versets : aimer Dieu, aimer l’autre, s’aimer soi. Ces trois modes ne sont pas à vivre dans une succession à définir, mais ensemble. Jésus nous dit qu’on ne peut approcher le véritable amour qu’en aimant et Dieu et l’autre et soi, dans un même mouvement. Prenons le temps de bien comprendre cette articulation donnée par Jésus. 

Aimer Dieu, voilà qui semble à beaucoup de nos contemporains comme une curiosité de l’histoire. A force de reléguer Dieu aux oubliettes de l’histoire, pourrait-il en être autrement ? Pourtant, toute la révélation biblique s’accorde sur ce point. Il n’y a pas de véritable amour possible sans cette découverte fondamentale : je suis aimé de Dieu et je suis appelé à l’aimer en retour. Ce que saint Jean traduit ainsi : Dieu EST amour. Autrement dit, c’est parce qu’il se sait aimé de Dieu que le croyant se découvre capable de l’aimer en retour. C’est parce qu’il est aimé de Dieu que le croyant devient capable d’amour. Pour aimer, il faut avoir fait l’expérience de l’Amour total que Dieu porte à tous les hommes. Aimer Dieu, c’est comprendre que l’amour est plus grand que tous les sentiments humains ; que l’amour est plus fort que tout ce que l’homme peut imaginer. Se pose alors une question d’importance : celui qui ne connaît pas Dieu, est-il capable d’aimer ? Bien sûr. Mais il aimera d’un amour humain, d’un amour marqué par les limites de notre commune humanité. Ne pas connaître Dieu, ou refuser l’idée d’un dieu, n’empêche pas d’aimer, heureusement ! Mais je crois que cela limite notre manière d’aimer. En effet, c’est en Jésus que Dieu a montré à l’humanité jusqu’où pouvait, jusqu’où devait aller l’amour. En Jésus, Dieu nous apprend qu’il est la source de l’amour ultime. Aimer Dieu, c’est découvrir au fond de soi la capacité d’aimer comme lui puisque nous sommes faits à son image et à sa ressemblance. 

Nous pouvons alors aborder le deuxième terme de l’enseignement de Jésus : aimer son prochain. Voilà qui semble acquis à beaucoup. L’homme comprend très vite qu’il ne peut pas vivre en faisant constamment la guerre aux autres. Vient toujours le moment où il doit surmonter sa rage, sa méfiance, pour dire à l’autre, qu’à défaut d’avoir du prix pour lui, il peut vivre en bonne intelligence avec lui. Finalement, aimer l’autre, c’est peut-être reconnaître qu’il st comme moi : aimable, capable d’aimer, capable d’être aimé, malgré ses défauts et avec ses qualités. Aimer l’autre, c’est donc l’accepter tel qu’il est, c’est-à-dire forcément différent de moi, forcément différent de ce que j’en attends. Lorsque Jésus nous presse d’aimer l’autre, il lie cet amour de l’autre à l’amour de Dieu. Là encore, l’Apôtre Jean a bien saisi l’enseignement du Christ. Dans sa première lettre, il nous dit que celui qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas et qui n’aime pas son frère qu’il voit, celui-là est un menteur. L’amour de l’autre devient, pour Jésus, la marque de l’amour de Dieu. L’autre devient le sacrement de l’amour de Dieu, c’est-à-dire le signe visible de l’amour invisible que je porte à Dieu. Voilà Dieu et l’homme unis de manière absolue. Il ne nous est plus possible de dissocier ce que le Christ a si fortement uni. 

Reste alors le troisième terme de l’enseignement de Jésus : s’aimer soi. Voilà qui peut s’entendre comme quelque chose de nouveau. Nous avons tous été marqués par une sorte de maladie qui nous faisait refuser l’amour de soi. Personne n’aurait l’idée de dire : je m’aime ! Cela paraîtrait pour le moins curieux. Pourtant Jésus nous dit : aime Dieu et aime ton prochain comme toi-même, c’est-à-dire comme tu t’aimes. Comment, en effet, puis-je manifester de l’amour à quiconque si je ne me supporte pas. Il ne s’agit pas de devenir narcissique, mais de se reconnaître capable d’aimer, de se reconnaître tel que Dieu nous a fait, à son image et ressemblance. Comment puis-je accepter que l’autre ait des limites et ne soit pas parfait, si je ne découvre pas d’abord mes propres limites, ma propre imperfection ? Comment croire que l’autre est capable d’amour envers moi, si je ne suis pas capable d’accepter l’image que me renvoie mon miroir ? A moins que Jésus ne veuille dire : aime Dieu et aime ton prochain comme toi-même tu es aimé. Ceci peut s’entendre si le « comme tu es aimé » sous-entend bien « par Dieu ». Jésus nous dirait donc : aime Dieu et ton prochain de l’amour que Dieu lui-même te porte. 

Aimer Dieu, aimer son prochain et s’aimer soi : trois pendants d’une même réalité donc. Supprimer une seule forme d’amour, et vous amputez l’homme dans sa capacité à aimer. Si je ne m’aime pas, je ne suis pas capable de croire que quelqu’un puisse m’aimer vraiment. Si je n’aime pas les autres, je ne suis qu’un égoïste. Si je n’aime pas Dieu, mon amour sera toujours limité par mon humanité. Croyants, nous avons la chance de découvrir dans l’enseignement et dans la vie de Jésus le sens profond et véritable de ce mot : Aimer. Puissions-nous toujours fréquenter ce maître et apprendre de lui à aimer davantage, à aimer toujours mieux. Car seul l’amour nous sauvera ; seul l’amour nous fera entrer totalement dans le monde de Dieu. AMEN.

 
 

mercredi 31 octobre 2018

Toussaint - 01er novembre 2018

Un jour particulier.






Comme chaque année, avec le premier novembre, revient la fête de la Toussaint, où nous célébrons le jour consacré à la mémoire de tous les saints : ils ont imité le Christ pendant leur vie et, à leur mort, ils ont reçu de lui la couronne de gloire (PE 1). C’est avec ces mots que la liturgie de l’Eglise parle de ce jour si particulier de l’année. 

C’est un jour particulier parce que nous pourrions croire que ce jour ne parle pas de Dieu. Et dans nos rapports avec d’autres Eglises chrétiennes, une telle fête peut être un obstacle si notre manière d’envisager les saints nous faisait perdre de vue que Dieu est le seul saint. Dans notre vie spirituelle, les saints ne nous sont pas donnés par l’Eglise pour nous détourner de Dieu, mais bien pour nous rapprocher davantage de lui. J’aime me souvenir de mes saints patrons lorsque, dans ma vie spirituelle, les choses vont moins bien, lorsque je me sens incapable de me rapprocher encore de Dieu. Parce qu’à ces moments-là, j’ai besoin de ces figures toutes humaines pour me souvenir que leur chemin de sainteté n’était pas différent du mien. Les saints dont nous portons le nom sont autant de chemin vers Dieu qu’il existe d’hommes et de femmes différents, autant de chemins vers Dieu qu’il existe de caractères différents. Tous les saints n’ont pas la même histoire et il n’existe pas de stéréotype de saints. Il n’existe que des hommes et des femmes qui ont vécu leur foi, à une époque donnée, affrontant les difficultés d’une vie, mais les affrontant avec Dieu. C’est la seule chose qui caractérise tous les saints : leur désir de Dieu. Et ne croyez pas qu’ils soient tombés dedans quand ils étaient petits. Il n’y a que peu d’Obélix de la sainteté ! 

C’est encore un jour particulier parce qu’il ne nous parle que de Dieu ! Une des préfaces possible de la fête nous fera dire que lorsque [Dieu] couronne leurs mérites, [il] couronne ses propres dons. Ce qu’ont vécu les saints leur a été donné par Dieu. Cette fête nous rappelle alors que, pour nous aussi, pour chacun de nous, Dieu a un projet, Dieu a quelque chose à nous offrir. Une vie faite de bonheur comme décrit dans les béatitudes, une vie pleine, c’est-à-dire bien menée, bien remplie, une vie dont nous pouvons être fiers. Le bonheur que Dieu veut pour nous n’est pas que pour plus tard, lorsque nous serons invité au banquet préparé dans la maison de Dieu (post communion); c’est un bonheur pour aujourd’hui et maintenant, même si la route à suivre n’est pas celle que nous emprunterions humainement. Reconnaissons-le : le chemin des béatitudes n’est pas une partie de plaisir, mais nous savons bien que c’est le seul chemin vers un monde plus juste et plus humain. Tous les saints nous le rappellent, qu’ils aient eu une vie simple ou marquée par les épreuves et le martyr. 

C’est enfin un jour particulier parce qu’il nous rappelle qu’une vie n’est signée qu’à l’heure de la mort. Il y a, chez les saints officiels, des hommes et des femmes dont la vie n’a pas été marquée dès son origine par cette sainteté. Chez certains, il y a clairement une vie d’avant, avant la rencontre de Dieu. Et donc une vraie conversion, c’est-à-dire un moment où Dieu s’est imposé à eux comme une évidence, un moment où la présence de Dieu était tellement forte et claire qu’il ne leur était plus possible de vivre comme avant. La sainteté nous parle aussi de la miséricorde de Dieu qui n’estime jamais que quelqu’un est définitivement perdu. Le retour à Dieu est toujours possible ; l’acceptation des dons de Dieu n’est pas frappée de date limite. Il n’y a pas d’heure pour entrer dans le projet de Dieu. 

Nous pouvons être heureux de cette fête qui nous tourne vers Dieu par autant de chemins qu’il y a de saints, d’authentiques témoins de sa Parole. Nous pouvons, grâce à eux, trouver la route que nous sommes appelés à vivre pour parvenir au bonheur que Dieu promet. Remercions Dieu de nous avoir donné des saints ; remercions les saints de toujours nous mener à lui. Sur le chemin vers le Royaume, comment pourrions-nous nous perdre ? Heureux sommes-nous d’être appelés par un tel Dieu. Amen.

 

 

samedi 27 octobre 2018

30ème dimanche ordinaire B - 28 octobre 2018

A l'école de Bartimée pour devenir disciple.







Comme les choses sont quelquefois étranges ! Nous lisons l’Evangile, et nous en recommandons la lecture aux autres, pour découvrir qui est Jésus, quel est son enseignement, sa doctrine. Et voilà qu’en ce dimanche, dans cet évangile qui nous parle de Jésus, nous découvrons un personnage qui prend plus d’importance que lui. Un personnage, en tous les cas, que nous aurions tort de croire secondaire. Il est, pour moi, le plus important de cette rencontre ; il est celui qui nous fait la leçon. Ce qui compte vraiment, ce n’est pas que Bartimée soit guéri ; ce qui compte, c’est ce qu’il fait de cette guérison, ce qu’il devient par cette guérison. 

Alors que fait-il d’extraordinaire, ce Bartimée, pour que je vous le montre en exemple, à la suite de Marc ? Apparemment, il ne fait rien ! C’est un mendiant, aveugle de surcroît. Il ne peut rien faire de lui-même à part mendier. Mais il est transformé par sa rencontre avec Jésus. Je sais bien, d’autres avant lui, ont rencontré Jésus. Mais peu sont allés aussi loin que lui. Parce que ce Bartimée que Jésus rencontre et guérit, se met à suivre Jésus. Et il le fait à un moment précis de l’histoire de Jésus. Et c’est cela qui change tout. 

Mais revenons au début. L’histoire de Bartimée est simple. Elle est marquée par son handicap, et par le jugement des gens de son époque sur la maladie. Il est né aveugle ; ce n’est pas sa faute, me direz-vous ! Mais à l’époque, voilà que cette maladie le rend paria, rejeté de tous, suspecté d’un grand péché. Que voulez-vous ? S’il est né aveugle, il doit bien y avoir une raison ; personne n’est vraiment innocent ! Et si ce n’est pas lui qui a péché, ce doit être un parent pour qui il expie la faute. Cela peut nous paraître dur, mais c’est bien cela la mentalité des gens de son époque. Vous comprendrez qu’il n’ait pas d’autre choix que de mendier, Bartimée. Chaque jour, sans doute à la même place, il attend assis au bord du chemin. Mais le jour où nous sommes n’est pas comme les autres jours. Parmi les personnes qui sortent de Jéricho, il y a Jésus et ses disciples. Bartimée est peut-être aveugle ; il n’en est pas pour autant sourd. Il entend bien le brouhaha à l’approche de Jésus ; la foule se presse là, pour voir passer l’homme de Nazareth. Mais un seul voit en cet homme plus que l’homme de Nazareth, et il se met à le crier, haut et fort : Fils de David, prends pitié de moi ! Il y a, dans ces mots, toute sa foi et toute sa détresse. Il y a dans ces mots la reconnaissance par Bartimée de la qualité de Jésus : il est plus qu’un prophète, plus qu’un homme particulièrement religieux ; il est le Messie, le seul Fils de David. C’est la première leçon qu’il nous donne, Bartimée. Et il la donne à des voyants alors que lui est aveugle, encore. Mais sa cécité ne l’empêche pas de crier sa foi. Sa foi crie et se crie. 

La réaction des gens ne se fait pas attendre : beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire. Il y a des vérités que l’on ne veut pas entendre. Il y a des hommes que l’on ne veut pas entendre. Qu’il se taise ! Mais lui criait de plus belle ! Sa foi crie plus fort, sans gêne, sans honte. Jésus finira bien par l’entendre au milieu de tous ces gens. Et c’est ce qui arrive. Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le ! » Croyez-vous que cela impressionne Bartimée ? Pas du tout ! Le voilà qui jette son manteau, bondit et court vers Jésus ! Personnellement, je trouve cela curieux : il est aveugle, non ? Comment fait-il pour savoir où est Jésus exactement ? Sa foi lui donnerait-elle déjà un regard perçant ? Il a su voir au-delà des apparences en appelant Jésus « Fils de David ». Peut-être peut-il alors s’approcher de lui, sans le voir de ses yeux de chair. C’est la deuxième leçon donnée par Bartimée : savoir se détacher de son quotidien et ne pas retarder la rencontre avec le Sauveur. Même son manteau, pourtant si utile, il l’abandonne pour courir vers Jésus. Ce serait trop bête de se prendre les pieds dedans. 

Et là, nouvelle surprise : Jésus l’interroge de la même manière qu’il avait interrogé Jacques et Jean, juste quelques temps avant (pour nous, c’était l’évangile de dimanche dernier) : Que veux-tu que je fasse pour toi ? M’enfin ? Comme si cela n’était pas évident ! Allo, quoi ; il est aveugle : qu’est-ce qu’il pourrait vouloir de plus que voir ? Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai bien envie de secouer Jésus pour qu’il se réveille ! Mais Bartimée ne se laisse pas démonter ; il ne s’offusque pas de la question. Il répond, vite : Rabbouni, que je retrouve la vue ! Sa réponse bondit comme a bondi tout son corps à l’appel de Jésus. Rien ne devait l’empêcher de rencontrer Jésus ; rien ne doit retarder sa prière à Jésus. C’est sa troisième leçon, à Bartimée : devant Dieu, il nous invite à formuler notre désir le plus profond, notre besoin réel. Ce n’est pas parce que Dieu sait tout, que je n’ai pas à formuler ma demande. 

Et Bartimée est guéri. L’histoire aurait pu, aurait dû s’arrêter là. Mais pour Bartimée, cela eut été inconvenant, sans doute. C’est décidé, il ne rentrera pas chez lui, il suivra Jésus sur le chemin. Autrement dit, il devient disciple de Jésus. Parce que le disciple, ce n’est pas celui qui croit que Jésus peut quelque chose pour lui, mais celui qui se met vraiment à la suite de Jésus. Et Bartimée devient même le modèle du disciple, parce qu’il choisit de suivre Jésus à un moment crucial de l’histoire : il suit Jésus au moment où celui-ci monte à Jérusalem, au moment où Jésus marche vers sa croix, vers sa mort. Sa différence est là : les Douze ont suivi Jésus au début de son ministère, quand tout allait bien. Ils étaient loin de penser que cela se finirait par l’assassinat de leur Maître.  Bartimée choisit de suivre Jésus alors que cela sent déjà le roussi. Jésus est contesté, il a des ennemis parmi les puissants. Le jeune homme riche, rencontré quelques jours plutôt, n’a pas su aller au bout de sa démarche. Jacques et Jean, et les dix autres, se disputaient encore les premières places quelques heures plutôt, ne songeant qu’à se mettre en avant, mais sans trop comprendre où Jésus les menait. Bartimée ne sait peut-être rien de tous ces événements, mais sa mise en route signe sa guérison complète : il a non seulement retrouvé la vue, mais il devient encore capable d’embrayer le pas à Jésus. Il va le suivre à Jérusalem, il va l’accompagner dans sa Passion. Il réalise ce que Jésus ne cesse de répéter à ses disciples depuis un moment : si quelqu’un veut me suivre, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. C’est la quatrième leçon donnée par Bartimée. Ce petit personnage, que certains ont voulu empêcher de voir Jésus, nous apprend ce que nous sommes appelés à devenir : de véritables disciples reconnaissant dans le Crucifié leur Sauveur, celui qui vient remettre l’homme debout, celui qui vient le guérir de toutes ses infirmités. 

Entendant cette page d’évangile, nous sommes invités à faire le même chemin que Bartimée : passer de notre nuit à la claire vision du Sauveur, et l’ayant rencontré, à nous mettre en route derrière lui. Le début de notre démarche commencera de la même manière que pour Bartimée : une simple question posée par Jésus, une question à laquelle nous devons répondre pour progresser : Et toi, que veux-tu que je fasse pour toi ? La réponse appartient à chacun. Que notre silence et notre prière nous aident à y répondre en vérité. Amen.

 

 

samedi 20 octobre 2018

29ème dimanche ordinaire B - 21 octobre 2018

Quand Jésus parle de pouvoir !







De quoi parle l’Evangile ? Si je faisais passer des petits bouts de papier pour demander à chacun d’écrire en un mot de quoi parle Jésus aujourd’hui, qu’écririez-vous ? Nous parle-t-il du service ? Nous parle-t-il d’ambition ? Nous parle-t-il de pouvoir ? Nous parle-t-il d’autre chose ? Aussi surprenant que cela puisse nous paraître, ce dont il est question dans l’évangile du jour, c’est de pouvoir et de maîtrise. 

Tout commence avec l’ambition de Jacques et de Jean de siéger l’un à droite et l’autre à gauche de Jésus, dans sa gloire. Ils sont cash avec Jésus, même s’ils semblent s’exprimer un peu à part des autres. Ils savent ce qu’ils veulent et n’ont pas de honte à le dire. Un peu d’ambition ne peut pas faire de mal, n’est-ce pas ! Leur demande n’a rien d’exceptionnel dans le monde, comme n’a rien d’exceptionnel la réaction des dix autres : comment osent-ils demander cela à Jésus ? Ce n’est pas tant la demande qui leur déplaît que le fait d’avoir oser la formuler… avant les autres ! Soyons alors réaliste un instant et reconnaissons-le : la question de Jacques et de Jean nous a tous traversé l’esprit à un moment ou à un autre de notre vie. Nous avons tous cherché la reconnaissance, la gloire et la puissance. Nous avons tous une certaine part d’ambition ; nous avons tous la certitude que ce que l’autre peut faire, je peux le faire aussi. Et nous avons tous été, comme les autres, surpris de l’avancement de celui-là ou d’un autre ; nous avons tous estimé qu’on aurait fait aussi bien, voire mieux, et que si quelqu’un méritait cette place, c’était nous ! Pour le dire encore autrement, nous avons tous estimé, à un moment ou à un autre de notre vie, que les autres ne reconnaissaient pas assez nos mérites, qu’on ne nous remerciait jamais suffisamment. Ou encore : vous savez, je l’ai fait de bon cœur, mais un merci, ça aurait été bien ! Cela existe dans le monde des hommes. Cela existe dans l’Eglise aussi. Cela a existé, cela existe encore, cela existera toujours ! A moins que nous ne nous mettions vraiment à l’école de Jésus. 

Je crains, qu’en la matière, nous ne méritions le reproche que Jésus fait à ses disciples : ils ne comprennent rien ! Nous le constatons d’ailleurs dans le dialogue qui s’instaure entre Jésus et les deux frères. Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé ? Le Nous le pouvons qui suit est un peu trop rapide pour exprimer leur compréhension claire de ce que Jésus vient de demander. La coupe dont il parle, c’est bien ce calice qu’il va boire jusqu’à la lie au moment de sa Passion. Il ne s’agit pas de boire avec Jésus au banquet éternel, mais de trinquer soi-même, quand c’est difficile à avaler. L’homme est bien seul dans ces moments-là, comme Jésus sera seul au moment de son procès. Le baptême dont parle Jésus, ce ne sont pas ces trois gouttes que l’on verse sur le front d’un enfant, mais bien ce plongeon dans les eaux de la mort, dans lesquelles l’homme peut se perdre et se noyer si Jésus ne vient l’en retirer pour le faire revivre avec lui. Ce n’est pas de plaisir que parle Jésus en réponse à la question des deux frères ; c’est de risque. Il les invite à risquer avec lui, pour lui. Et cela sera accordé d’avance à Jacques et Jean, sans pour autant qu’ils aient l’assurance de siéger à la droite et à la gauche de Jésus. La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. Voilà une occasion de se taire qui est perdue, définitivement ! 

Face à cette attitude tout humaine de jouer des coudes, Jésus indique alors une autre voie, le chemin du service. Attention, il ne s’agit pas là simplement de savoir rendre service, de temps en temps, pour faire plaisir, ou pour être reconnu dans ses compétences. Non, non, il s’agit de bien plus. Il s’agit d’un art de vivre, d’une tournure particulière de l’esprit. Cela s’apparente au devoir d’état. Je fais ce que je dois faire parce que je peux le faire et que je sais le faire. Sans aucune arrière-pensée ; sans rechercher aucune récompense, aucune reconnaissance ! Exercer le métier de disciple du Christ, c’est être serviteur à temps plein. Et celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous. Mais cette place-là, rassurez-vous, comme personne n’en veut spontanément, elle a été prise par Jésus, une fois pour toutes. C’est ce qui fait de lui la seule tête de l’Eglise, le seul chef possible. Ce que Jésus propose, ce n’est pas de jouer au serviteur ou à la servante ; ce qu’il propose, ce n’est pas d’être plus gentil que les autres en rendant plus service que les autres ; ce que Jésus propose, c’est un état de vie, une tournure d’esprit qui fait de nous les serviteurs des autres. C’est un art de vivre qui place l’autre toujours avant moi. C’est un art de vivre qui n’attend pas de médaille, ni de merci, mais qui ouvre à la gloire… du Royaume ! Jésus ne nous prive pas d’ambition ; il nous dit la voie meilleure pour accomplir notre ambition : Celui qui veut devenir grand parmi vous (ça c’est l’ambition légitime), sera votre serviteur (ça c’est la voie à suivre). Il n’y en a pas d’autre, parce que Jésus lui-même emprunte cette même voie : Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. Nous ne serons jamais plus grand que Jésus ; nous ne pourrons donc emprunter d’autre voie que celle qu’il a lui-même emprunté. Avez-vous jamais entendu, au moment de la lecture de la Passion, quelqu’un dire Merci à Jésus pour son sacrifice ? Vous pouvez relire les quatre évangiles : vous n’en trouverez pas ! Vous y trouverez par contre moqueries, insultes et crachats. Rien de plus ! Rien de joyeux ! Rien d’encourageant ! 

La voie du service, voilà l’enseignement de Jésus quand il nous parle de pouvoir. Il ne s’agit pas de spiritualiser les choses, en disant que l’autorité, dans l’Eglise, c’est un service ! Il s’agit d’être conscient qu’il nous faut sans cesse nous convertir à Jésus, nous placer à sa suite, pour vivre en serviteur de Dieu et des frères. Ce n’est pas temporaire : le temps de mon mandat à l’EAP, le temps de mon passage à la chorale, le temps que je peux rendre service comme sacristain… ou que sais-je encore ! Non, c’est définitivement un style de vie, une attitude profonde de chaque instant, en tout ce que je fais, en tout ce que je vis, vis-à-vis de quiconque traverse ma vie. La récompense ne nous viendra pas des hommes, mais de Dieu seul. Quand nous le verrons face-à-face. Amen.

 
(Dessin de Jean-François KIEFFER, in Mille images d'Evangile, éd. Les Presses d'Ile de France)