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Ce blog voudrait vous permettre de vivre un chemin spirituel au rythme de la liturgie de l'Eglise catholique.

Les méditations s'appuient soit sur les textes bibliques quotidiens, soit sur la prière de l'Eglise.

Puisque nous sommes tous responsables de la foi des autres, n'hésitez pas à laisser vos commentaires.

Nous pourrons ainsi nous enrichir de la réflexion des autres.







dimanche 30 août 2020

22ème dimanche ordinaire A - 30 août 2020

 Il nous faut mourir pour vivre.




(Sieger Köder, Marie tenant le corps mort de Jésus)


          Il nous faut nous souvenir aujourd’hui de la belle profession de foi de Pierre entendue dimanche dernier et du geste inouï de Jésus lui confiant les clés du Royaume des Cieux, parce que la suite de l’histoire est moins belle, moins encourageante. Que s’est-il passé ? Il y a juste cette première annonce par Jésus, de sa Passion prochaine, c'est-à-dire la révélation du contenu de mission de salut. Il faudra, pour que l’homme soit sauvé, pour que le royaume des cieux lui soit ouvert, que Jésus meurt. Comment auriez-vous réagi en entendant votre ami vous dire qu’il va se rendre à Jérusalem pour y être mis à mort ? 

          Pierre, sans doute fort de sa profession de foi (Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant !) n’ose croire ce que ses oreilles viennent d’entendre : Dieu t’en garde, cela ne t’arrivera pas. Comment pourrait-il imaginer un seul instant que Dieu ait donné son Fils au monde pour le laisser mettre à mort ? C’est proprement inconcevable. Selon les Ecritures, le Christ, le Messie, est envoyé par Dieu pour sauver, pour libérer, pas pour mourir. Les morts ne sauvent personne, c’est bien connu ; il suffit de parcourir un cimetière pour s’en rendre compte ! Si nos cimetières sont remplis de gens indispensables, ils n’en sont pas pour autant très utiles, ces gens, à part pour cultiver nos souvenirs. Comment Jésus pourrait-il être utile s’il se retrouve coincé dans une tombe ? Sans doute, les onze autres réagissent-ils, dans leur for interne, de la même manière. Ce n’est juste pas possible, ce que Jésus vient de dire. C’est du grand n’importe quoi ! 

          La question que je me pose est alors celle-ci, bien conscient que je la pose parce que je connais toute l’histoire de Jésus, que Pierre ignore à ce moment-là, mais dont il aurait pu avoir quelques indices s’il avait bien écouté jusqu’à la fin. Je suis persuadé que, submergé par l’émotion en entendant Jésus dire qu’il lui fallait souffrir beaucoup et être tué, il n’est sans doute pas entendu la fin, c'est-à-dire le troisième jour ressusciter. Et quand bien même l’aurait-il entendu, je doute qu’il ait compris le sens de ce dernier mot, personne n’étant encore ressuscité à ce moment-là ! Nous avons plus de deux milles ans d’histoire, de signes qui attestent de cette résurrection : Pierre et les autres n’ont rien ; juste la parole mystérieuse de Jésus, et son assurance. Mais qu’est-ce que cela à côté de l’annonce de sa mort ? Que pèse un mot dont on ignore le sens à côté de deux mots dont on ne connaît que trop bien le sens : souffrir et mourir ? La longue explication de Jésus, précisant qu’il faudra à tout disciple (donc à nous aussi) accepter de mourir pour vivre, n’a pas plus de sens au moment où cette phrase est prononcée. Encore une fois, elle en a pour nous aujourd’hui, vingt-et-un siècle après, parce que nous nous appuyons sur le témoignage rendu par Pierre et les autres Apôtres, après Pâques, après les événements annoncés aujourd’hui dans l’évangile à ces mêmes Apôtres. 

          Je m’interroge alors, non pas sur la foi de Pierre magnifiquement exprimée dimanche dernier, mais sur la foi de tant de chrétiens pour qui la mort du Christ semble totalement inconcevable, à tel point qu’ils préfèrent croire en une réincarnation, toujours signe d’échec dans le bouddhisme, plutôt qu’en la réalité de ce que Jésus annonce aujourd’hui : il doit subir la mort, l’affronter sur son propre terrain, pour la vaincre définitivement et nous ouvrir ainsi la porte du Royaume des Cieux auquel nous sommes appelés. Ce que Jésus nous annonce in fine, c’est que nous sommes faits pour vivre avec lui, toujours, mais que le chemin vers cette vie pour nous, ne saurait être différent du chemin qu’il a lui-même emprunté : il nous faudra, à sa suite, passer la mort pour pouvoir vivre avec lui. Il n’y a pas d’autre chemin, le disciple n’étant pas au-dessus de son Maître, ni plus fort que lui. Quand viendra l’heure de notre mort, il faudra nous rappeler ces paroles de Jésus ; il nous faudra consentir à emprunter ce dernier chemin pour entrer dans la vie véritable, et non pas nous raccrocher à des ersatz laissant croire que nous pourrions revenir et recommencer à vivre ici-bas. Notre vie éternelle n’est pas ici-bas ; elle est en Dieu, auprès de Dieu, auprès de celles et ceux qui nous ont précédés et qui, dans le Christ, ont vaincu le mort. 

          La leçon fut sans doute difficile à entendre pour Pierre (Passe derrière moi, Satan) en ce jour où, pour la première fois, Jésus leur révélait le but de sa vie ; mais elle a pris tout son sens pour lui après Pâques, quand le Ressuscité s’est manifesté à ses Apôtres pour les envoyer en son nom vers les hommes que Dieu aime et sauve en Jésus, mort et ressuscité. La leçon est quelquefois difficile à entendre et à assimiler aujourd’hui encore, mais c’est la même leçon, le même chemin qui sont enseignés. Il n’y en a pas d’autre possible. Comme Pierre, il nous faut apprendre que la mort n’est pas le dernier mot de notre histoire. Nous aussi, nous sommes appelés à ressusciter à la suite du Christ. Que notre vie et nos actes expriment notre foi : seul celui qui renonce à lui-même et qui prend sa croix peut suivre Jésus. Nous ne vaincrons pas la mort en espérant revivre ici-bas (réincarnation) ; nous ne vaincrons la mort qu’en l’affrontant dans la puissance du Christ Sauveur. Amen.

 

 

samedi 22 août 2020

21ème dimanche ordinaire A - 23 août 2020

 Quand Jésus confie à Pierre son Eglise.




Saint Pierre - église de Wolfisheim (67)




            Pierre a-t-il bien compris ce que signifie les paroles que Jésus lui adresse dans l’évangile entendu ce dimanche ? Et nous-mêmes, mesurons-nous la portée de ces paroles et de ce qu’elles signifient pour nous ? Ne croyons pas que, parce qu’elles sont adressées à Pierre seul, elles ne signifient rien pour nous. 

            Certains entendent dans ces paroles la source du pouvoir pontifical. Pierre est établi comme chef de l’Eglise. Il a tout pouvoir. Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise… tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu as délié sur la terre sera délié dans les cieux. Les esprits les plus critiques diront que là est la source de tous les maux, en particulier du mal du cléricalisme. Il est vrai que les petits chefs ne manquent pas dans l’Eglise, et ils ne sont pas tous uniquement dans les rangs du clergé. Est-ce ainsi qu’il faut entendre tout cet épisode ? Est-ce bien là ce que Jésus entendait faire ? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, cette affirmation de Jésus ne vient pas ainsi, comme tombée du ciel. Il y a quelque chose qui précède ; il y a une question préalable. Pour vous, qui suis-je ? On ne peut pas détacher les paroles de Jésus à Pierre de cette question de Jésus à tous et de la réponse que Pierre y apporte. Cela forme un tout indissociable qui nous dit quelque chose de Pierre et qui nous dit quelque chose de Jésus. 

            La question de Jésus vient après une série de signes qui disaient des choses de Jésus. Je vous invite à relire les évangiles des dimanches de ce temps de vacances pour les retrouver tous. Les plus récents sont la reconnaissance par Jésus de la foi d’une étrangère et la libération de sa fille d’un démon, Jésus qui marche sur l’eau, Jésus qui nourrit une grande foule avec presque rien, sans oublier son enseignement sur le Royaume des Cieux, justement, ceci pour ne prendre que les quatre dernières semaines. Il nous faudrait ici tout relire pour avoir la même expérience que Pierre au moment où Jésus pose la question de son identité. Ayant vu les signes posés par Jésus, ayant entendu Jésus prêcher, qu’en déduisent les Apôtres ? Qui est celui qui les a appelés ? Qui est celui qui les conduit ? Mesurons bien que la question n’est pas sans risque pour Jésus. Selon la réponse apportée, il pourrait bien se rendre compte que tout ce qu’il fait ne sert à rien parce que ce n’est pas reçu, pas compris par ses disciples. Pierre sauve les meubles avec sa belle profession de foi, mais si le Père ne lui avait pas révélé cela, qu’aurait-il dit ? Qu’aurions-nous dit à l’époque ? Si nous n’avions pas nos années de catéchèse, mais juste le vécu de Pierre et des autres disciples, aurions-nous répondu comme lui spontanément ? Jésus a pris le risque de la question qui tue. Pierre a pris le risque de la réponse qui tue. Ce que Pierre affirme, c’est ce que les ennemis de Jésus lui reprocheront au moment du procès. Nous apprenons de Pierre son attachement profond à Jésus et sa capacité à comprendre ce que Dieu dit aux hommes par ce Jésus. Il voit au-delà des signes ; il entend au-delà des mots. Et le fait qu’il soit inspiré par le Père n’enlève rien à son mérite : combien d’hommes et de femmes refusent d’écouter Dieu qui se révèle à eux ? Mais cela ne fait pas de lui non plus un super héros ; c’est le même Pierre qui, oubliant sa belle profession de foi, reniera Jésus, par trois fois, dans la cour du palais du Grand Prêtre. Il ne faut pas l’oublier au moment où nous entendons cet épisode précis où Jésus fait de Pierre la pierre sur laquelle sera bâtie l’Eglise de Jésus Christ. 

            Ceci nous amène alors à ce que nous apprenons de Jésus. Parce que si la réponse de Pierre peut sembler une fulgurance, l’attitude de Jésus n’en est pas moins surprenante. Il aurait pu se contenter de son mini-sondage sur sa cote de popularité. Mais il se sert de cette question et de la réponse apportée pour faire un pas de plus, complètement inattendu : il établit Pierre comme « gardien » de son Eglise : Je te donnerai les clés du royaume des Cieux. Et c’est cela qui me surprend le plus. Jésus fait confiance à Pierre au point de lui donner les clés de la maison. C’est Pierre qui ouvrira ou fermera la porte ! Vous rendez vous compte : c’est à un homme qu’il reviendra de décider qui il laissera entrer ; il a les clés ! Jésus, et l’on peut dire sans excès Dieu lui-même, fait confiance aux hommes ! En s’adressant à Pierre, il s’adresse à tous pour qu’ils fassent Eglise autour de lui. En faisant le choix de Pierre, il ne fait pas le choix du meilleur ; en appelant les hommes à faire Eglise, il ne choisit pas que les saints. Jésus fait confiance à des hommes faillibles pour construire son Eglise ; il fait le choix d’un homme faillible (Pierre) pour en faire le gardien des clés. Peut-être est-ce la meilleure des solutions pour que le royaume des Cieux se remplissent. En prenant un homme imparfait, un homme qui reniera, mais un homme qui fera aussi l’expérience de l’immense amour et de la miséricorde infinie de Dieu envers lui, en prenant un tel homme donc, peut-être que Jésus s’assure simplement que cette porte sera bien ouverte parce que le gardien des clés lui-même sera capable de la miséricorde et de l’amour dont Dieu a fait preuve envers lui. La suite de l’histoire donnera raison à Jésus : Pierre ne sera pas un douanier qui ferme les frontières, mais un passeur du Christ, un passeur de grâce. 

            N’est-ce pas le rôle de tout disciple ? N’est-ce pas notre rôle ? Nous n’avons pas les clés du royaume des cieux ; elles sont heureusement dans les mains de Pierre. Mais ne nous comportons-nous pas souvent comme des douaniers, fermant les portes à ceux qui ne correspondent pas exactement à notre vision du chrétien, notamment en matière de morale sexuelle ? De Pierre, apprenons à nous laisser guider par le Père. De Jésus, apprenons à nouveau la confiance qu’il nous fait pour être des passeurs de sa grâce à tous les hommes que Dieu aime. Amen.

 

 


samedi 15 août 2020

20ème dimanche ordinaire A - 16 août 2020

 La Cananéenne, Isaïe, saint Paul : même message, même combat.




(Jésus et la Cananéenne, icône du Patriarcat orthodoxe de Roumanie, Source internet)


          Ne faisons pas comme les disciples ; n’accablons pas cette femme qui poursuit Jésus et ses amis de ses cris pour que quelque chose se passe pour elle et son enfant. Ne faisons pas davantage comme ceux qui disent que l’Ancien Testament est dépassé depuis la venue de Jésus : ce que le prophète Isaïe proclame, nous concerne encore aujourd’hui. Ne faisons pas enfin comme si nous étions désormais les meilleurs ; entendons bien ce que Paul nous partage dans sa lettre aux Romains. Entrons dans chaque parole prononcée ce matin et accueillons-les comme autant de bonnes nouvelles pour nous aujourd’hui. La Cananéenne, Isaïe et Paul, c’est même message, même combat. 

            N’accablons pas cette femme qui crie après Jésus. Elle veut une guérison pour sa fille. Les disciples sont agacés parce qu’elle leur casse les oreilles. Cela doit cesser, d’où leur demande adressée à Jésus : Renvoie-la car elle nous poursuit de ses cris. Vous comprenez, elle ne fait pas partie de leur groupe, elle n’est même pas juive ; c’est une étrangère ! Et Jésus semble aller dans ce sens quand il affirme : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. Pire encore juste après :  Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. Rude, l’intervention. Jésus nous avait habitués à mieux, à plus de compassion, à plus de miséricorde ! Raison de plus pour nous de ne pas accabler cette femme désespérée, d’autant plus qu’elle est des nôtres, elle est nous. Car, à moins que vos ancêtres lointains n’aient été juifs au temps de Jésus, elle est bien de notre camp, elle parle pour nous. Loin de l’accabler, il nous faut la remercier parce que son intervention nous ouvre une espérance, son intervention nous ouvre la porte du salut : Oui, Seigneur, mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Quelle foi admirable est ainsi exprimée. Non seulement elle ne s’offusque pas à cause de la parole de Jésus, mais elle la retourne à son avantage. Elle ne veut rien qui ne soit pas pour elle ; mais elle peut bien profiter de ce que les autres n’ont pas voulu. Si les brebis perdues d’Israël ont laissé Jésus s’en aller vers les régions de Tyr et de Sidon, vers ces régions étrangères, pourquoi les habitants de ces régions ne profiteraient-ils pas de celui qui arrive ainsi chez eux ? Pourquoi ne l’accueilleraient-ils pas ? Pourquoi ne pourraient-ils pas reconnaître Jésus pour ce qu’il est ? Jésus ne s’y trompe pas : il y a là une foi puissante qui est exprimée. Que tout se fasse pour cette femme comme elle veut. A l’heure même, sa fille fut guérie, nous dit sobrement saint Matthieu. 

            Je ne sais pas si cette femme avait lu le prophète Isaïe, mais nous l’avons entendu. Et c’est bien de nous qu’il parlait lorsqu’il prophétisait ainsi : les étrangers qui se sont attachés au Seigneur pour l’honorer… je les conduirai à ma montagne sainte, je les comblerai de joie… Longtemps avant Jésus Christ, le prophète rappelait ainsi la vocation d’Israël d’être lumière pour les nations païennes, et la réalité de cette vocation : elle est effective, des peuples peuvent se convertir en regardant vivre le peuple choisi. Il nous faut bien entendre toute la prophétie de ce jour. Elle commence par ces mots : Observez le droit, pratiquez la justice. Voilà dit clairement ce que doit vivre le peuple choisi pour être fidèle à sa vocation ; mais voilà aussi annoncé ce que doivent vivre les étrangers qui se sont attachés au Seigneur. Le droit et la justice sont signe de cet attachement au Dieu de l’Alliance ; ils sont le chemin qui conduit à la montagne sainte. Que nous entendions ce texte dans les conditions mêmes dans lesquelles il a été prononcé (à savoir nous ne faisions pas partie à l’époque du peuple élu sauf à vivre dans cette région) ou que nous l’entendions avec un regard chrétien sur un texte qui ne l’est pas (à savoir que l’Eglise peut être comprise comme une incarnation de ce peuple que Dieu s’est choisi par la nouvelle Alliance signée dans le sang de Jésus), quelle que soit notre lecture donc, nous n’échapperons pas au devoir de justice, nous n’échapperons pas à l’obligation d’observer le droit. Les dix commandements et toute la Loi ne sont pas abolis, mais accomplis en Jésus. Nous devons être d’autant plus rigoureux dans l’observation de la Loi, dans la pratique de la justice. Je vous renvoie au discours de Jésus sur la montagne en Matthieu chapitre 5 : Vous avez appris qu’il a été dit aux ancêtres… et bien moi, je vous dis… 

            Il n’y a donc pas de quoi prendre la grosse tête au prétexte que nous sommes chrétiens. Le fait de suivre Jésus ne nous rend pas meilleurs que le peuple de la première Alliance qui ne l’a pas reconnu, et Dieu ne s’est pas détourné d’eux. Paul le dit très fort dans la lettre aux Romains. Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance. En clair, Dieu ne regrette pas cette première Alliance ; elle n’est pas annulée par l’Alliance faite en Jésus Christ, mort et ressuscité pour le salut de tous les hommes. Ces deux Alliances ont en commun d’être chacune le signe que Dieu fait miséricorde à son peuple. Chacune mène au salut pourvu qu’elle soit vécue honnêtement. Nos frères aînés dans la foi qui vivent dans le respect de la Loi donnée à Moïse parviendront au salut à cause de leur foi ; le chrétien qui vit l’Evangile de Jésus Christ parviendra au salut par sa foi ; les hommes de bonne volonté, qui ne connaissent ni Moïse, ni Jésus, mais qui vivent selon le droit et la justice, parviendront à la montagne sainte. Car aux uns comme aux autres, Dieu fait miséricorde ; Dieu fait miséricorde à l’homme juste ; Dieu fait miséricorde à celui qui observe le droit. Dieu fait miséricorde à ceux qui aiment, parce qu’au fondement de la Loi de Moïse, au fondement de l’Evangile de Jésus Christ, au fondement du droit et de la justice, il y a l’Amour. Celui qui vit la Loi de Moïse, aime Dieu et son prochain et est aimé de Dieu qu’il connaît par la révélation de cette première Alliance  ; celui qui vit de l’Evangile de Jésus Christ, aime Dieu et son prochain et est aimé de Dieu qu’il connaît par la révélation faite en Jésus Christ ; celui qui pratique le droit et la justice aime son prochain et est aimé de Dieu, même s’il ne connaît pas Dieu ; Dieu se révèlera à lui dans son Royaume. 

            Ayant ainsi mieux pénétrés la Bonne Nouvelle de ce dimanche, nous pouvons réentendre, mieux comprendre et faire nôtre vraiment la prière de ce dimanche entendue au début de la célébration : Pour ceux qui t’aiment, Seigneur, tu as préparé des biens que l’œil ne peut voir : répands en nos cœurs la ferveur de ta charité, afin que t’aimant en toute chose et par-dessus tout, nous obtenions de toi l’héritage promis qui surpasse tout désir, par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen.

 

 


vendredi 14 août 2020

Assomption - 15 août 2020

 Avec Marie, disons notre "Fiat" et notre "Magnificat".





En cette année si particulière, marquée par une crise sanitaire sans précédent qui n’en finit pas de durer, tous les grands pèlerinages sont suspendus par souci de l’autre, par crainte de la maladie. D’où cette opération « Lourdes en Alsace » que notre archevêque nous propose de vivre en ce quinze août, fête de l’Assomption de Notre Dame. A cette occasion, dans le souci d’une démarche réellement diocésaine, Mgr Christian Kratz, évêque auxiliaire, propose deux homélies au choix. Je vais vous en partager une, celle qui nous rappelle que Marie est la figure de tout croyant, appelé à dire à sa suite son « Fiat » et son « Magnificat ». Voici donc le texte de cette homélie. 

            « En cette fête de l’Assomption, notre regard et notre cœur se tournent vers Marie. Arrêtons-nous quelques instants auprès de celle qui a permis à Dieu d’habiter la terre des hommes. Elle est pour nous un repère, un modèle, un signe fort de ce que Dieu veut faire avec chacune et chacun d’entre nous. En effet, notre vocation chrétienne est fondamentalement mariale : il nous faut, comme elle, accueillir l’Esprit de Dieu pour qu’il féconde notre vie, pour que Dieu puisse prendre corps en nous, que nous puissions vivre de sa présence et le donner aux autres. 

            Pour être à la hauteur du projet de Dieu et prendre notre part à la mission de l’Eglise, trois conditions sont nécessaires, trois conditions que Marie a pleinement remplies. 

            Première condition : on ne peut donner que ce que l’on a ! Donc pour donner Dieu au monde, pour en témoigner, il faut en vivre passionnément. Marie était tout habitée de Dieu avant même l’Annonciation ; elle était une de ces pauvres de Dieu éternel et vrai que nous présente la Bible. Dès son plus jeune âge, elle a appris à connaître Dieu, à le fréquenter, à l’écouter, à lui parler. C’est à cela que nous aussi sommes appelés : considérer que Dieu est quelqu’un, un vivant qui se donne à nous pour que nous nous donnions à lui, un vivant qui veut nous faire vivre et nous communiquer son bonheur. Dieu n’est ni une théorie abstraite, ni un principe immuable, ni un code de morale, ni même une habitude. Dieu n’est pas obligatoire ! Dieu est vie ; Dieu est amour ; et le fréquenter, c’est aimer et c’est vivre ! Nombre de baptisés confirmés s’ennuient avec le Bon Dieu parce qu’ils n’ont pas compris que la foi est d’abord une histoire d’amour, une formidable histoire d’amour que Dieu ne cesse de tisser avec chacune et chacun d’entre nous, conjuguant sa grâce qui se donne et notre liberté qui accueille. Renouons avec un désir plus fort de fréquenter les Ecritures, de mieux connaître le Seigneur, de nous mettre un peu plus à son écoute et à son école. 

            Deuxième condition : Marie n’est pas une espèce de météorite qui serait tombée du ciel. C’est une fille d’Israël, membre d’un peuple qui a reçu la Révélation et qui est chargée d’être, au milieu des nations, le signe de la transcendance, de l’unicité et finalement de l’amour de Dieu. Marie, membre d’un peuple ! C’est de ce peuple qu’elle a tout reçu, et c’est à ce peuple qu’elle a tout donné. Oui, Marie est membre du peuple d’Israël et membre éminent du nouveau peuple de Dieu, du nouvel Israël qui a jailli, qui s’est constitué le jour de la Pentecôte ; c’est pour cela que nous vénérons Marie comme Mère de l’Eglise, Mère de ce peuple en marche vers l’accomplissement de son espérance. Cela veut dire qu’il n’y a pas de foi qui ne soit fondamentalement ecclésiale. La foi des chrétiens est ecclésiale ou elle est bancale. C’est parce qu’elle était membre d’un peuple que Marie a pu remplir sa mission et qu’elle a pu répondre « fiat » et « magnificat » à l’Annonciation. 

            Nous aussi, nous sommes membres d’une communauté, d’une Eglise, d’une paroisse. Je sais bien que parfois, c’est un peu lourd à porter, que l’Eglise n’est pas à la hauteur, qu’elle a des défauts… Evidemment qu’elle a des défauts, puisque ce sont les nôtres, les miens, les vôtres, les défauts de chacune et de chacun ; mais l’Eglise n’est pas sainte à cause des membres qui la constituent, mais parce que Dieu l’habite et veut rendre saints tous ceux qui acceptent de se reconnaître en elle et d’y apporter leur contribution, leurs compétences et leur amour. Vous savez, l’Eglise c’est comme une famille ; dans une famille, on s’aime et de temps en temps, on se dispute : les adolescents veulent plus de liberté, les parents freinent ; parfois il sont un peu dépassés. Dans l’Eglise, c’est un peu pareil ! Cette Eglise, même si parfois elle nous fait souffrir, nous devons l’aimer parce que c’est elle qui nous a engendrés à la foi et qui ne cesse de nous enfanter à la vie de Dieu. C’est elle qui nourrit notre foi, qui l’encourage, qui la stimule, qui la régule aussi, car sinon notre foi risquerait de partir dans tous les sens. Pour vivre notre foi, pour vivre notre vocation et notre mission, nous avons besoin de l’Eglise et l’Eglise a besoin de nous. Ensemble, formons une communauté dynamique, appelante pour que d’autres puissent y trouver un sens à leur vie, à leurs souffrances, aux difficultés qu’ils rencontrent, qu’ils puissent se sentir enracinés dans l’Evangile et portés par une communauté de frères. 

Relation à Dieu, membre d’un peuple et enfin, troisième condition pour remplir cette mission de Marie : être, devenir sans cesse des serviteurs. Vous le savez, le seul titre que Marie a revendiqué dans l’Evangile, c’est à l’Annonciation, lorsqu’elle dit à l’ange : Je suis la servante du Seigneur, que tout se fasse pour moi selon ta parole. Autrement dit : Je suis disponible, je suis prête, Seigneur, tu peux compter sur moi, je suis ta servante ! Chacun d’entre nous est appelé à être un serviteur, et l’Eglise est appelée à être servante d’humanité, servante des pauvres, servante pour révéler l’amour incroyable que Dieu porte à notre humanité, pour révéler à tous l’espérance qui nous est offerte et la vie que la Pâque de Jésus et l’Assomption de Marie ouvrent à chacun d’entre nous. Alors, au-delà des tentations du pouvoir qui nous habitent, au-delà des habitudes qui nous enferment, au-delà des peurs qui parfois nous paralysent, soyons des serviteurs et des servantes simples, humbles mais pleins de confiance, parce que nous savons que nous sommes formidablement aimés ; nous savons que Dieu a le projet d’habiter notre cœur. En accueillant ce Dieu pauvre de la crèche, de la croix et de l’eucharistie, ce Dieu pauvre qui, dans quelques instants, va encore se remettre entre nos mains, nous ne pouvons qu’être à notre tour simples, pauvres et disponibles pour que vive et grandisse l’amour dans les cœurs et dans le monde. Vous le savez bien : c’est à l’amour que nous aurons les uns pour les autres qu’on nous reconnaîtra comme les disciples du Crucifié Ressuscité, disciples de Jésus. 

En concluant, je voudrais vous rappeler ces trois impératifs, ces trois conditions que je viens de développer : avec Marie, à la suite de Jésus, vivons une relation forte, habituelle, chaleureuse, vivante au Dieu de la vie et de l’amour ; cette relation, vivons-la au sein d’un peuple, d’une communauté de frères, d’une Eglise et, dans cette Eglise au milieu du monde, soyons les bons serviteurs, les bonnes servantes de la tendresse de Dieu. En cette fête de l’Assomption, redisons comme Marie au Seigneur : Fiat ! Oui, je suis d’accord, Seigneur, d’accord pour me laisser appeler et envoyer, d’accord pour me laisser éclairer, fortifier et transformer par l’amour ; fiat, mais aussi magnificat, car ma vocation, ma mission, et tout ce que tu me donnes, tout ce que tu me confies, c’est cela ma joie profonde. Magnificat, pour maintenant et pour l’éternité. Amen ! »


(Arcabas, Assomption, Congrégation des Augustins de l'Assomption, Paris, 2007)


samedi 8 août 2020

19ème dimanche ordinaire A - 09 août 2020

 Quand Jésus marche sur l'eau...




            

          Il est bon quelquefois de se souvenir pour qui un auteur écrit ; cela permet d’entrer encore mieux dans son œuvre et de la comprendre davantage. Matthieu, quand il rédige son évangile, s’adresse à des chrétiens venant du monde juif, d’où son attention aux pratiques de la religion juive. Il veut montrer, à travers son œuvre, que Jésus est le nouveau Moïse, en mieux, en ce sens qu’il va plus loin, qu’il accomplit parfaitement la Loi. Nous en avions un bel exemple au chapitre cinq de l’évangile, celui qui commence par les Béatitudes et se poursuit par un long discours rythmé par ce refrain : On vous a dit… et bien, moi je vous dis… L’évangile de dimanche dernier n’échappait pas à cette comparaison, puisqu’il nous montrait Jésus nourrissant la foule à partir de cinq pains et deux poissons, établissant un parallèle avec le passage de la manne dans l’Ancien Testament, où l’on voit le peuple conduit par Moïse être nourri quotidiennement par ce don mystérieux. L’évangile d’aujourd’hui va lui-aussi dans ce même sens. 

            Il faut nous souvenir ici du geste libérateur posé par Moïse : il est celui qui a libéré son peuple de l’esclavage qu’il connaissait en Egypte, et par-delà ce geste, dans une compréhension spirituelle, celui qui a libéré son peuple du Mal symbolisé par ce pays oppresseur. Souvenons-nous un instant comment cela s’est fait. Il y a eu les dix plaies d’Egypte pour amener le Pharaon à comprendre son intérêt à laisser partir ce peuple. Il y a surtout eu le passage de la Mer Rouge, Moïse ayant écarté les eaux pour que le peuple puisse passer à pied sec, avant que les eaux ne se referment pour engloutir l’armée d’Egypte. C’est un geste fondateur, libérateur, qui affirme la puissance de ce Dieu au nom duquel Moïse agit. Il y a, dans cet acte dont nous faisons mémoire chaque année au cours de la nuit pascale, l’affirmation que le Dieu qui libère est le Dieu qui donne la vie, le Dieu qui s’oppose au Mal, le Dieu plus fort que le Mal. L’Egypte incarnait ce Mal par sa domination sévère sur le peuple issu de Joseph, autrefois admiré pour avoir sauvé l’Egypte et son peuple de la famine. 

            Dans l’évangile de Matthieu, nous assistons à un nouveau signe sur l’eau, posé par Jésus. Jésus n’écarte pas l’eau de la mer sur laquelle la barque des Apôtres est secouée, mais il marche sur l’eau et calme la tempête. Jésus fait mieux que Moïse, une fois de plus. Il est temps de rappeler maintenant que, dans la Bible, la mer représente le lieu où résident les forces du Mal pour bien comprendre les gestes de Moïse et de Jésus. En écartant les eaux pour que le peuple passe à pieds secs, Moïse écartait momentanément le Mal, le danger, et le peuple s’est retrouvé sur l’autre rive en sécurité, pendant que l’armée de Pharaon s’y noyait, entraînée par le mal qu’elle voulait faire au peuple que Dieu a libéré. Dans l’évangile, Jésus marche sur l’eau ; il écrase le Mal de son talon ; il s’en montre le plus fort, annonçant déjà sa victoire finale sur le Mal et la Mort quand il sera dressé sur la croix. Et quand il est enfin dans la barque, le vent cesse, la mer se calme. Le lieu où résident les forces du Mal n’est plus un obstacle à la mission des Apôtres dès lors que Jésus est avec eux. Autrement dit, le Mal ne peut rien contre les disciples qui vivent avec Jésus. Ils bénéficient de la victoire du Christ sur le Mal, ils sont forts, avec Jésus ; ils sont vainqueurs avec Jésus. 

            Nous en avons une preuve lumineuse avec Pierre. Voyant que c’était Jésus, il prit la parole : Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. Jésus lui dit : Viens ! Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : Seigneur, sauve-moi ! Que se passe-t-il ? Tant que Pierre garde Jésus en ligne de mire pour avancer vers lui, il marche sur l’eau, il domine le Mal, il domine ses peurs. Mais dès qu’il est plus attentif au vent, dès que Jésus n’est plus le premier dans sa pensée, il prend peur et il coule. La force nécessaire pour lutter contre le Mal, pour marcher sur la Mer, nous l’avons tous en Jésus, s’il est bien au cœur de notre vie. Tant qu’il est au centre de notre vie, le Mal ne peut rien contre nous, puisqu’il a définitivement vaincu le Mal sur la croix. Dès lors que d’autres choses deviennent centrales, dès lors que nos peurs reprennent le dessus, nous prenons le risque d’être engloutis par le Mal, nous coulons, comme Pierre, comme une pierre. Il nous faut alors crier vers Jésus pour qu’il nous en tire à bras fort. Nous retrouvons cela sur toutes les icônes de la fête de Pâques ; elles nous montrent Jésus, franchissant les eaux de la Mort pour tirer Adam du séjour des morts, et après lui toute l’humanité. Il ne donne pas sa main à Adam, mais il le tire vers lui, le saisissant au poignant, dans un geste souverain, presque autoritaire, parce que oui, Jésus a autorité sur le Mal et la Mort ; Jésus est plus fort qu’eux, il sauve son peuple, le peuple de Dieu, non pas en écartant le Mal temporairement comme l’avait fait jadis Moïse, mais en écrasant le Mal, en le piétinant, définitivement. 

            Telle est l’œuvre de Jésus, l’œuvre qu’il réalise pour nous, l’œuvre à laquelle il nous associe puisque, identifiés à lui par le baptême (passage par l’eau, faut-il le rappeler), nous avons à combattre le Mal d’abord dans notre vie, puis autour de nous. Il n’y a pas de chrétien qui puisse se dispenser de ce combat primordial ; il n’y a pas de chrétien qui puisse dire : ce combat n’est pas le mien. Laissons-nous rejoindre par Jésus, gardons les yeux fixés sur Lui, et nous tiendrons notre part dans ce combat contre le Mal et la Mort. C’est notre fierté de disciples du Christ. C’est la mission de tous ceux qui veulent vivre de l’Esprit du Ressuscité. Amen.

 

            

    

(Tableau de Philipp Otto Runge, Saint Pierre marchant sur les eaux, 1806, Kunsthalle, Hambourg)

 

samedi 1 août 2020

18ème dimanche ordinaire A - 02 août 2020

D'une apparente contradiction à un accomplissement lumineux.






            Je ne sais pas si vous y avez été sensibles comme moi, mais il y a comme une contradiction entre la première lecture et l’évangile de ce dimanche. Une contradiction due à la différence d’attitude entre Dieu et Jésus. Quelque chose semble opposer les deux textes ; quelque chose semble opposer Dieu qui parle dans la première lecture, et Jésus qui parle dans l’évangile. Je m’explique. 

            L’extrait du prophète Isaïe que nous avons entendu provient du chapitre 55, entièrement adressé au peuple de fidèles appelé à repeupler Jérusalem, dont le chapitre 54 annonçait la restauration. Nous avons entendu les trois premiers versets de ce chapitre. Ils sont marqués par l’invitation renouvelée plusieurs fois à profiter des largesses de Dieu : Venez, voici de l’eau… venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait, sans argent, sans rien payer. Je passe sur la contradiction qui ferait frémir plus d’un commerçant : venez acheter… sans rien payer ! Ce n’est plus vraiment un achat, n’est-ce pas ! N’allez pas, demain matin, vous précipiter chez votre épicier pour acheter sans payer, sous prétexte que Dieu l’a dit par son prophète Isaïe. Ce que Dieu a à vendre et qui n’a pas de prix, ce n’est pas quelque chose qui se trouve chez votre épicier. Ce dont parle Dieu, c’est du vin de son amour, du lait de sa Parole. C’est à cela que Dieu invite les fidèles qui vont repeupler la ville de Dieu, Jérusalem. La suite du texte le prouve : Ecoutez-moi bien, et vous mangerez de bonnes choses… Prêtez l’oreille, venez à moi ! Ecoutez, et vous vivrez. Ecouter, prêter l’oreille, Ecouter : ces verbes ne laissent aucun doute sur ce que Dieu nous vend : il nous vend sa Parole comme source d’une alliance éternelle, une alliance pour la vie, une alliance pour le bonheur. Cette alliance est pour le peuple de ses fidèles. Nous ne trouverons rien d’autre dans le commerce avec Dieu qu’un amour et une Parole ; mais quelle Parole ! Nous pouvons relire toute la Bible, nous constaterons la puissance de cet amour, les bienfaits et l’efficacité de cette Parole. Cet amour et cette Parole n’ont pas de prix ; c’est pourquoi il n’est nul besoin d’argent pour les acquérir. Dieu donne sa Parole au peuple fidèle qu’il rassemble ; Dieu offre son amour au peuple fidèle qu’il appelle. Nous pouvons dire que, dans ce passage d’Isaïe, Dieu régale son peuple !  

           Et c’est là que peut apparaître une contradiction avec l’évangile de ce dimanche. Devant le constat fait par les Apôtres (la foule est trop nombreuse, il faut la renvoyer dans les villages alentours pour que ceux qui la composent puissent avoir à manger), devant ce constat donc, Jésus refuse et invite ses Apôtres à donner eux-mêmes à manger à la foule. Là, devant l’urgence, Dieu ne régale plus ! Imaginez la tête des Douze : ils n’ont que cinq pains et deux poissons. Autant dire que cela ne suffira peut-être même pas pour eux et Jésus. Alors que du temps du prophète, Dieu disait : Venez, voilà que Jésus dit : débrouillez-vous ! C’est du moins ce que nous pouvons comprendre à travers ce : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Ils étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants ! Vous doublez au moins le nombre de bouches à nourrir. Je laisse les bonnes cuisinières et les bons cuisiniers de l’assemblée me dire comment ils font avec cinq pains et deux poissons. A moins que nous n’ayons mal compris Jésus et mal compris le texte. 

            Il y a une différence de situation entre l’époque d’Isaïe et l’époque de Jésus. A l’époque d’Isaïe, il fallait repeupler Jérusalem avec le peuple resté fidèle malgré l’exil à Babylone. En invitant son peuple à rentrer dans la ville de David, Dieu invite son peuple à une fidélité renouvelée à l’Alliance éternelle qui avait été oubliée quelques années avant. Quand Jésus paraît, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre, une nouvelle alliance qui commence, une alliance qui s’adresse à tous les hommes et dont les Apôtres (ceux qui sont fidèles) ont à témoigner. C’est bien à eux qu’il reviendra d’aimer et d’inviter les peuples à la table du Seigneur. C’est bien à nous, fidèles baptisés, qu’il revient d’inviter la foule qui a faim et soif ; c’est bien à nous, baptisés, de partager avec eux le vin de l’amour de Jésus et le lait de sa Parole. Nous les avons reçus gratuitement, comme jadis le peuple dont parle Isaïe. L’amour du Christ et l’enseignement divin ne nous ont pas été donnés pour que nous les conservions, mais pour que nous les partagions, dans l’esprit de Jésus. Ces paroles bibliques peuvent nous sembler n’être que peu de choses (cinq pains et deux poissons), mais c’est tout ce que nous avons, avec en plus la grâce de la présence de Jésus et de son lien si particulier à celui que nous appelons Dieu et qu’il appelle son Père. Jésus est la Parole de Dieu à l’œuvre ; en Jésus, est tout l’amour de Dieu pour les hommes à qui il a donné vie. Le peu que nous avons, multiplié par la puissance de vie et d’amour de Jésus, suffira toujours à nourrir les foules affamées de vérité, d’amour, de justice, de liberté. Ce pain-là ne fera jamais défaut tant que nous accueillerons dans notre vie les grâces que Dieu nous accorde. 

           A nous il dit, comme au temps du prophète Isaïe : Venez acheter et consommer, sans argent et sans rien payer. Ayant bénéficiés des largesses de Dieu, nous sommes invités alors par Jésus, à donner nous-mêmes à manger à ceux qui viennent vers lui sans trop savoir qui il est. Il sera toujours avec nous pour que nos pauvres paroles reflètent la richesse de sa Parole vivante et éternelle, pour que notre pauvre amour reflète l’immense amour de Dieu. Il sera toujours avec nous pour multiplier à l’infini ce que nous voudrons bien partager de son enseignement et de son amour. Il n’y a pas de contradiction entre Isaïe et l’évangile ; il y a continuité, accomplissement à travers nous, dans la puissance du Ressuscité. Ayons confiance en nous ; ayons confiance en la présence éternelle et véritable de Jésus à nos côtés ; et les foules qui viennent vers Jésus pourront encore longtemps être rassasiées. Il ne faut pas plus qu’un peu d’amour et une parole fraternelle pour que les hommes soient rassasiés, du moment que nous présentions cet amour et cette parole à Jésus et que Jésus les offre à son Père. Tout devient possible : osons cet amour, osons cette parole. Amen.

 

 (Tableau de Yvette METZ, collection Les enfants d'Abraham)